Chronique d’une révolte joyeuse
par Diane Lestage
À quelques jours des résultats des élections présidentielles, Antonin Peretjatko livre un nouveau moyen métrage engagé, simultanément en DVD, sur la plateforme du Club Shellac et pour quelques projections exceptionnelles au cinéma.
Les Rendez-vous du samedi prend la forme d’un pamphlet politique et poétique, d’un brûlot dont la voix semble émerger d’un passé radiophonique même si elle relate des événements récents. En moins d’une heure, le réalisateur de La Fille du 14 juillet parvient à imposer la distance cinématographique nécessaire. Celle qui va révéler la violence de deux ans de crise opposant le bouillonnement des samedis où se réunissent les gilets jaunes au calme désertique des confinements : « Une révolte étouffée, le drame de ce quelque chose qui voulait jaillir et jamais ne l’a pu. »
Car si le cinéma français s’est rapidement emparé de ces sujets d’actualité brûlants (J’veux du soleil de François Ruffin et Gilles Perret, Un pays qui se tient sage de David Dufresne, La Fracture de Catherine Corsini ou plus récemment Un peuple d’ Emmanuel Gras), Antonin Peretjatko y ajoute son espièglerie satirique sur laquelle plane l’imagerie des films-essais de Chris Marker et de Godard. Pour dénoncer cette furieuse répression du peuple, il utilise toute une grammaire de cinéma ludique jouant avec les bruitages et le montage. La caméra Bolex capture ces révolutionnaires en 16 mm pendant que les acteurs du pouvoir politique prennent des vacances au ski ou fêtent leur anniversaire en boite de nuit non loin des manifestations. Pierre Bolex, le narrateur, se présente comme ayant le même âge qu’Emmanuel Macron, et énumère les faits chronologiques de façon à la fois journalistiques et quasi lyrique, parsemant son discours de citations de Prévert ou d’Aragon.
Mais les images documentaires rencontrent avec légèreté la fiction. Le titre d’ailleurs apparaît comme un clin d’œil pastiche au long métrage bourgeois de Rohmer, Les Rendez-vous de Paris car en marge de ces mobilisations, le héros évoque ses émois amoureux avec plusieurs jeunes femmes. Domino, Sophie, Valentina ou Héloïse apparaissent comme des personnages rétro au look seventies renvoyant au temps de l’insouciance. Ces divagations sentimentales sont comme des pantomimes aériennes sur les toits parisiens, uniques lieux de liberté durant les débuts de la crise sanitaire ou dans les escaliers de la symbolique « Dame de Fer ».
Sur fond de fausse liberté printanière, les notes de la Symphonie n° 5 de Beethoven ramènent sans cesse au cœur du sujet : les rassemblements jaunes sur les Champs-Élysées en un seul et même bloc, la communion des laissés-pour-compte, du peuple oublié et un réquisitoire contre le président actuel qui, par la poésie, rappelle avec force que tout est politique, surtout le cinéma.
Réalisé et écrit par Antonin Peretjatko, avec Alma Jodorowsky , Éléonore Rambaud , Damien Bonnard… – 53 minutes – France – Disponible depuis le 1er avril en vod notamment sur le Club Shellac (7 jours d’abonnement offerts)