À la recherche des souvenirs perdus
Six ans après 120 battements par minute (Grand Prix du Festival de Cannes 2017), Robin Campillo revient au cinéma avec L’Île rouge, un film romanesque et personnel parsemé d’éléments autobiographiques et inspiré de faits historiques qui forment le point de départ de la fiction et des grandes désillusions du héros, Thomas, 8 ans. Le cinéaste choisit de situer l’action à Madagascar, où il a vécu enfant dans une base militaire française, à l’orée des années 1970, époque marquée par le colonialisme à la française. C’est un paradis qui est décrit de prime abord : l’île rouge est « le plus bel endroit du monde » pour les militaires français qui y vivent, entourés de leur famille, et qui, malgré l’indépendance proclamée de l’île, continuent d’exploiter un passé qui leur donne encore des privilèges. Pour raconter les derniers mirages des colons, Campillo adopte donc le point de vue de Thomas, remarquablement interprété par Charlie Vauselle (révélation). Un jeune garçon rêveur – alter-égo du réalisateur – qui vit avec ses frères, son père, sous-officier de l’armée de l’air plutôt macho, joué par l’acteur espagnol Quim Gutiérrez, et sa mère, jeune femme indépendante campée par l’incandescente Nadia Tereszkiewicz. Le tour de force de ce mélo teinté d’onirisme, c’est de réussir à nous faire voir les événements tels que Thomas les voit, depuis ses yeux d’enfant. Robin Campillo parvient à recréer avec une certaine magie ce monde (en déclin) de l’enfance et y glisse au passage des clins d’œil à ses idoles de jeunesse, comme Fantômette, justicière masquée à laquelle Thomas s’identifie volontiers. De ce beau récit initiatique fait d’enchantements et de désenchantements va naître un autre récit, qui s’esquisse dans la dernière partie du film et lui offre une issue sublime. Le réalisateur adopte progressivement un nouveau point de vue (signe des temps qui changent), et nous fait découvrir le visage de la comédienne Malgache Amely Rakotoarimalala, qui incarne l’une des figures de la révolution de mai 1972 (réappropriation de Madagascar par ses habitants) et entonne la chanson « Veloma » de Mahaleo : « Boire, fumer, et même baiser, bonjour à tous les pêchés. On va goûter à tous ces nouveaux jeux. Chaque jour aura un goût de miel. Au revoir l’enfance ». Des paroles qui dévoilent les principaux thèmes du film, à savoir l’enfance perdue de Thomas et la liberté retrouvée pour l’île rouge, Madagascar.
Réalisé par Robin Campillo. Co-écrit avec Gilles Marchand. Avec Charlie Vauselle, Nadia Tereszkiewicz, Quim Gutiérrez… – 1h57 – Memento Distribution – En salles le 31 mai 2023.