De filles en mères
Quelques années après le suicide (en 2016) de sa mère, l’autrice et photographe Carole Achache, la cinéaste Mona Achache (Les Gazelles) s’empare du cinéma et de tous ses outils pour raconter son histoire. Little Girl Blue est un objet étrange et fascinant où se rencontrent, dans un même dispositif, le documentaire, la fiction, la reconstitution et l’expérimental, comme pour mieux appréhender une catharsis personnelle. Le film prend pour cadre un appartement dans lequel la réalisatrice entrepose des archives laissées par sa mère (il y en a du sol au plafond) : photographies, enregistrements audio, journaux intimes, lettres… Elle va les exposer ainsi sur les murs vierges, comme si elle débutait une enquête policière. Car, c’est ce dont il est question : mener l’enquête, comprendre, pour mieux se réparer. L’enquête est remplie d’énigmes du passé et des crimes longtemps cachés, des abus et viols subis par les femmes de cette famille. Autant de traumatismes qui ont été enfouis à cause de l’omerta d’un certain milieu intellectuel germanopratin. Dans ce que Carole Achache considérait comme une « malédiction », Mona Achache y voit la possibilité d’une guérison en redonnant la vie à la femme, la fille et la mère par l’expérience plastique permise par le cinéma plutôt que par la littérature, comme Carole Achache a pu le faire avec sa propre mère, Monique Lange. Intervient alors la figure d’une actrice sur-identifiée, une star contemporaine, en la personne de Marion Cotillard. Dans une scène de métamorphose, filmée presque comme un duel entre la réalisatrice et l’actrice, celle-ci revêt tous les atours de Carole Achache, vêtements, chaussures, bijoux, jusqu’aux lentilles de couleur marron et le port d’une perruque, pour accomplir la transformation. L’incarnation prend corps progressivement et l’on assiste au travail de la comédienne, dirigée par Mona Achache, adoptant les postures de Carole Achache, s’entraînant à parler en synchronisation (sur la voix, enregistrée sur cassettes, de Carole Achache). C’est vertigineux. On observe le film se faire sous nos yeux, et si la cinéaste maîtrise la reconstitution et nous pousse dans une analyse de plus en plus psychanalytique, elle laisse les émotions affluer, pendant que les archivent se muent en fiction et que les blessures peuvent se refermer avec beauté.
Réalisé et écrit par Mona Achache. Avec Marion Cotillard. Durée : 1h35 – En salles le 15 novembre 2023.