After d’Anthony Lapia, en salles depuis mercredi, est un film libre, fou et réjouissant comme une anomalie dans une production française pas toujours ouverte aux projets singuliers. Une fête et un after entre deux trentenaires qui « refont le monde » comme on disait dans les années 70. Un film sur l’époque qui met en scène une comédienne qu’on adore pour ses choix, sa présence lumineuse et son intelligence des mots. Louise Chevillotte revient pour FrenchMania sur cette expérience et sur deux étapes marquantes de sa carrière…
After est un projet au long cours puisque tout a commencé il y a plus de 5 ans c’est bien ça ?
Louise Chevillotte : J’ai rencontré Anthony Lapia, le réalisateur, en 2018, il avait ce scénario à me proposer et le comédien Madj Mastoura était déjà associé au projet. Je l’avais vu dans Hedi, un vent de liberté (2016) et je l’avais adoré dans le film. Anthony me raconte son projet qui était à la base un court-métrage. Il me parle d’un désir de repolitiser le cinéma, qu’il y a une certaine pensée de gauche qui n’est pas assez représentée et il trouve qu’il y a un manque de cette parole-là au cinéma. Donc il me tend le scénario. Ça ne se passait qu’en after et c’était très dense. J’ai aimé l’énergie du projet et j’adorais les personnages. J’aimais bien qu’ils soient complètement antagonistes mais surprenants. Que ce soit le chauffeur Uber qui soit utopiste avec un vrai projet de société et que la fille, d’un milieu plus bourgeois soit complètement nihiliste et désabusée. On a énormément travaillé le texte ensemble et après, on s’est embarqués dans une première semaine de tournage. C’était l’été d’après, je pense, donc en 2019. On a pu tourner en pellicule dans cette atmosphère de petit appartement parisien avec beaucoup, beaucoup de paroles pour nous, ça faisait comme des espèces de petits enjeux par prise. On savait qu’on avait peu de pellicule, peu de temps. Donc After, au départ, c’est une espèce de plongée assez électrique.
Et c’est en voyant le premier montage de ce court métrage que l’envie de continuer à tourner naît ?
Louise Chevillotte : Oui, il lui manquait quelque chose. Un an après, il nous a demandé de retourner une fin alternative. Et un an après, il nous a dit : mais en fait, je pense qu’on peut faire un long-métrage et il faut qu’on voit la fête ! Et il a monté 10 jours de teuf qui constituent maintenant la première partie du film. Donc c’est vraiment un film au long cours mais qui a gardé son cœur et je crois qu’il a beaucoup, beaucoup, beaucoup gagné. Et c’est génial de suivre l’excitation créatrice d’un réalisateur qui se rend compte qu’il a une matière géniale.
Cela dit aussi beaucoup de vos choix en tant qu’actrice…
Louise Chevillotte : Je ne me rendais pas compte avant à quel point les acteurs participent aux représentations et à quel point c’est fondamental car nos imaginaires sont fondés sur les représentations. Le temps est trop précieux, et je ne vais pas passer deux mois de ma vie à raconter des histoires qu’on a déjà entendues cent fois. Quitte à parfois me tirer des balles dans le pied quand je rencontre des réalisateurs, je dis : ça, j’y arriverai pas, quoi, donc, soit on discute ensemble et on le modifie, soit vous le ferez mieux avec quelqu’un d’autre. Je me fais de plus en plus confiance dans ce que j’ai envie d’incarner, parce que c’est quand même pas rien, ça devient nos mots, ça devient notre corps, et puis tu vis avec longtemps. J’ai pris conscience que jouer est un engagement total. Donc, un film comme After, à cette époque où on peut plus dire grand-chose, j’en suis très heureuse. Je ne suis pas d’accord avec tout, parce que, moi, je ne suis pas du tout une nihiliste, je ne suis pas du tout cynique, Mais au moins, il y a un propos, il y a des choses qui se disent, qui m’intéressent, ce que ces deux personnages se disent, ça m’intéresse.
Vous avez commencé à tourner très jeune il y a une dizaine d’années. Est-ce qu’aujourd’hui vous constatez une évolution dans la typologie des personnages féminins qu’on vous propose ?
Louise Chevillotte : Oui absolument, il y a enfin des personnages qui ratent, qui mentent, qui floutent, qui se démerdent, qui se prostituent. Alors, je ne sais pas ce que dirait d’autres, parce que je ne reçois pas l’intégralité de la masse scénaristique française, mais je suis plutôt contente de voir cette évolution.
Revenons sur l’une des étapes importantes de votre carrière : quel souvenir gardez-vous du tournage de Benedetta de Paul Verhoeven ?
Louise Chevillotte : J’avais 23 ans, je n’avais fait que deux films et il m’a considéré comme si j’avais une grande carrière… C’est-à-dire que, quand on s’est rencontrés, il m’a dit : « Je ne veux rien te dire. Tu fais ce que tu veux. Je te fais confiance. Et puis, si ça ne va pas, je te dirai ». Et donc, moi, je me dis, sur un film énorme comme ça, un film d’époque, avec un personnage d’antagoniste fort… En fait, ça l’amusait de ne pas savoir ce que nous, on pensait. C’était un film sur la vérité et toutes ses facettes. Il est le premier avec qui j’ai pu aller beaucoup plus loin parce que je me disais qu’il n’y avait pas de limites. Et ça, c’était génial. Donc, je pense qu’il m’a apporté la confiance en moi. Et puis, surtout, j’ai vu ce qu’était la virtuosité et l’humilité. Franchement, Verhoeven fait partie des personnes les plus intelligentes que j’ai rencontrées de ma vie. Il donnait des notes d’intention par demi-journée à son équipe ce qui fait que tout le monde savait ce qu’il avait à faire. Nous, on avait beaucoup de liberté dans le jeu et le plateau était hyper calme. Et lui, il était dans le plaisir. Il est la preuve qu’on peut faire des choses très poussées artistiquement, dans le jeu, dans la forme, en toute délicatesse. Il avait déjà plus de 80 ans, et encore aujourd’hui, je suis impressionnée par mes souvenirs de ce tournage. Je n’avais jamais vu ça et je pense qu’il m’a déployée, on va dire.
Votre rôle de jeune étudiante qui découvre le strip-tease dans A mon seul désir est aussi un moment charnière dans votre parcours ?
Louise Chevillotte : Oui. Complètement. Même en jouant la petite amie de, ou la femme de, quand je comprenais la nudité, je n’ai jamais eu de souci avec ça, mais ça a commencé à me poser des questions. Et ça, j’en avais un petit peu marre, parfois, je me disais qu’il y aurait tellement d’autres manières de dire, de faire et de montrer. Et là, je me retrouve dans un film où, concrètement, les passages où je suis habillée sont vraiment minoritaires ! Sauf que c’était pas du tout la même nudité. Je crois que ce film, déjà dans le rapport au corps, m’a permis de me rencontrer, de voir que je pouvais être non seulement un corps désiré mais un corps désirant. Parce que j’ai l’impression que ces filles, en s’affichant, en s’exposant, ce sont elles qui désirent. Elles désirent être vues, elles désirent avoir le pouvoir, elles désirent être dans la puissance. C’est une prise de pouvoir. Et je l’ai vraiment vécue en répétant, j’ai vu des féministes radicales, des pirates, des pirates du désir… et j’ai réalisé que je pouvais être actrice et fondamentalement puissante, et pas seulement regardée et objet de désir. Donc, en fait, sur la conscience de mon métier et la conscience de mon corps dans cette industrie, ça a été une révolution. Et j’ai eu une rencontre absolument fondamentale avec la réalisatrice Lucie Borleteau qui m’a permis d’aller très loin.