Après Willy 1er, réalisé en quatuor avec Marielle Gautier et Hugo P. Thomas, Ludovic et Zoran Boukherma revisitent avec Teddy le film de loup-garou en y insufflant, sans jamais se prendre trop au sérieux, un véritable propos politique sur l’état du pays, ses traumas récents, l’exclusion sociale et la radicalisation. Un film qui réussit le pari du genre à la française et donne très envie de suivre de près ce duo pertinent nourri à la pop culture (mais pas que…) que FrenchMania a rencontré.
Pouvez-vous nous parler du postulat de départ de Teddy ? Il y a toujours l’envie de s’intéresser aux laissés pour compte de la société comme c’était le cas dans Willy 1er ?
Ludovic Boukherma : Oui, un peu et c’est ce que ces deux films ont en commun. Je ne sais pas si c’est une volonté de notre part ou quelque chose qu’on défend spécialement mais nous, on a grandi dans les classes populaires et, qu’assez naturellement on écrit sur les gens qu’on a connus. C’est un peu comme l’accent, on a grandi dans le Lot-et-Garonne et assez naturellement on imagine très volontiers des personnages qui ont l’accent du Sud et qui font partie de l’univers qui était le notre quand on était petits.
Zoran Boukherma : Et je dirais que les laissés pour compte, c’était un peu inhérent au projet de Teddy puisqu’on voulait faire un film sur l’exclusion et la radicalisation, on avait besoin que ce soit un personnage de fait assez marginalisé dès le départ. Willy 1er c’était un peu une remontée vers la lumière d’un personnage qui, à la base, part d’assez bas et Teddy, c’est un peu l’inverse, une descente aux enfers, une réponse à des frustrations par la violence.La thématique du paria était là dès le début parce que ce qui nous intéresse dans le fait de faire un film de loup-garou en 2020, c’est de se dire que si on respectait la structure classique du film de loup-garou, première griffure, mutations de plus en plus sévères jusqu’au moment où il tue des gens puis est tué lui-même, il fallait changer de lecture, sortir du teen-movie habituel pour aborder la marginalisation, les attentats, les tueries de masse…Quelque chose qui résonne un peu différemment en 2020.
Ludovic Boukherma : On est assez proches de Teddy, parce que quand on pense à la jeunesse un peu désœuvré, on pense volontiers aux banlieues et à juste titre mais il y aussi toute une partie de la jeunesse qui vit dans les milieux ruraux et qui est invisible et dont nous faisons partie. On n’avait pas beaucoup de perspectives d’avenir et, au collège on était plus du côté des bizutés que de celui des gens populaires. Je pense que nous avons eu de la chance d’avoir une passion qui sortait un peu de nulle part pour la réalisation et le cinéma donc assez tôt on s’est dit qu’on avait envie de partir. Mais on se dit que sans passion, nous aurions pu aussi vivre cette colère qui engendre la violence.
Le film de genre, ça fait partie de cette culture qui a nourri votre passion pour le cinéma ?
Zoran Boukherma : Oui, faire un film de genre, c’était l’idée de départ parce qu’on avait envie de revenir à nos premières amours cinématographiques, on a grandi avec les films de Wes Craven, les adaptations diverses et variées des Stephen King comme La Ligne verte, Ça …
Ludovic Boukherma : Ou les mauvais téléfilms qui passaient sur M6 dont certains duraient plus de 3 heures avec des coupures pub dans tous les sens et des effets spéciaux hyper pourris.
Zoran Boukherma : Ce sont des références dont on a eu honte assez longtemps et on s’est dit qu’il fallait être sérieux pour faire des films, qu’il ne fallait pas déconner, que les références de films d’horreur c’était sympa mais c’était pas ce qu’il fallait pour devenir des grandes personnes… Et puis finalement, on en est revenu à se dire “pourquoi pas ?”. L’idée du film de loup-garou c’est venu de ce constat qu’il y avait des choses à creuser en rapport avec l’actualité, qu’on pouvait revisiter ce mythe-là avec ça en tête. On a commencé à écrire en 2017 en se disant que c’était peut-être le bon moment.
Comment avez-vous justement géré pendant l’écriture ce sous-texte sur l’actualité, la radicalisation, la tuerie de masse ?
Zoran Boukherma : Cela n’est jamais frontal, cette lecture est possible mais, si on ne le sait pas, cela reste un film de loup-garou assez classique dans son architecture.
Ludovic Boukherma : Et la réception dépend du public, l’écho est différent partout. La lecture centrée sur les attentats est une lecture possible. Quand le film a été montré au festival d’Austin au Texas, et, les gens pensaient tous aux tueries dans les lycées. Cette colère, cette marginalisation qu’on décrit dans le film, elle entraîne toutes formes d’expression de la violence. On peut aussi penser à l’extrême-droite.
Sachant que le thème sous-jacent, c’est celui du déterminisme social…
Ludovic Boukherma : Absolument ! Et le fait de fait un film de loup-garou pour évoquer tout ça permet de garder une certaine légèreté qui fait mieux passer ce genre de sujets. On en voulait pas faire un film trop grave, il fallait qu’il y ait une bonne dose de “fun”.
On constate un vrai renouveau du cinéma de genre en France qui prend des directions très différentes, comment vous situez-vous dans cette mouvance ?
Zoran Boukherma : On est très content qu’il y ait enfin un engouement pour le cinéma de genre, on a l’impression que la tradition française du naturalisme social n’est plus forcément la norme. Cela date peut-être de Grave. Les choses s”ouvrent et les gens ont envie d’autre chose, d’un cinéma plus stylisé, moins naturaliste.Mais on ne défend pas que le cinéma de genre. Il s’avère que Teddy est un film de genre et que notre prochain film le sera aussi mais on ne s’interdit rien pour la suite car ce n’est pas le seul cinéma qu’on défend.
Ludovic Boukherma : On a grandi avec des séries B mais aussi avec des films d’horreur, des jeux vidéo, on est d’une génération et d’un milieu qui n’a pas eu les “bonnes références” entre guillemets. Mais on a très envie de se permettre de faire des mises en scène qui peuvent parler de la société tout en s’éloignant du naturalisme, c’est ça qu’on a envie de défendre.
Zoran Boukherma : Et c’est vrai que le genre permet ça ! Nos références sont très américaines mais on ne voulait pas pasticher le cinéma américain et faire un vrai film français. Petits, on pouvait tout à fait passer de Fellini à la Playstation. J’ai l’impression qu’on a des références plurielles.
Pendant très longtemps les réalisateurs venaient des mêmes écoles, avaient les mêmes profils et les mêmes références…
Ludovic Boukherma : Oui et on a toujours l’impression qu’il y a d’un côté le cinéma d’auteur et le mauvais cinéma populaire de l’autre. C’est bien de voir tout ça s’interpénétrer et de pouvoir faire exister quelque chose qui ne soit ni l’un ni l’autre.
Zoran Boukherma : Xavier Dolan a été un des premières à revendiquer cette inspiration populaire, il a commencé sa carrière en donnant des références plus pointues parce que c’est ce qu’on a tendance à faire au début et maintenant dans son discours, j’adore qu’il puisse dire qu’il est fan de Jumanji et de Mrs Doubfire !
Parlons de votre casting, comment s’est-il composé ?
Zoran Boukherma : On a pris l’habitude de travailler plutôt avec des comédiens non-professionnels et, un peu naïvement, à l’écriture, on s’était dit qu’on allait faire pareil et trouver un gamin dans la région pour jouer Teddy. Puis on a vu La Prière de Cédric Kahn et on a découvert Anthony Bajon. On s’est rencontré et ça s’est très bien passé humainement, c’est quelqu’un de super, de très bosseur, de sérieux et ce qui nous a sauté aux yeux, c’est la douceur qu’il allait apporter au personnage. On avait peur que le spectateur ne s’attache pas à Teddy qui est plutôt un gamin violent, qui fait des « fuck » et qui insulte les gens. Anthony a résolu le problème car il est attachant et qu’il crée l’empathie, en le rencontrant cela nous a paru assez évident.
Ludovic Boukherma : Anthony nous a réconcilié avec les comédiens professionnels parce qu’on avait un petit a priori là-dessus. On adore les non-professionnels parce qu’ils amènent de l’imprévu dans leur façon de travailler. Nous, on est très carré, très angoissé, on écrit des dialogues très précis, on découpe beaucoup et les non-professionnels amènent un peu d’accident dans tout ça, cela nous permet de nous laisser surprendre. Sur Willy 1er, il y a plein de séquences qu’on n’a pas pu faire parce que le texte était compliqué à restituer. Ludovic Thorrand qui joue Pépin, l’oncle adoptif de Teddy, on l’avait à la base casté pour faire un micro- rôle, je crois qu’il était « éleveur 3 » et qu’il n’avait qu’une réplique. On a transformé le rôle du grand-père en oncle car on voulait absolument le confier à Ludovic. Il a un vrai décalage, il est très drôle et en même temps très touchant.
Zoran Boukherma : Garder une petite partie du casting non-professionnel cela permet aussi d’ancrer les films dans leur territoire, dans la région où on les tourne, on a quand même à cœur que même si les acteurs pro portent les films, on n’y entende le parler des régions. Il ne s’agissait pas que de faire un film fantastique mais de faire un film fantastique dans la campagne du Sud-Ouest avec des gens qui ont l’accent, l’envie vient aussi de là. Christine Gauthier qui joue Rebecca est une comédienne professionnelle qui débute, c’est son premier rôle dans un long-métrage nous avions déjà travaillé avec elle sur un moyen et sur un court-métrage, c’est une super actrice qu’on aime beaucoup.
Et il fallait incarner cette cristallisation amoureuse qui est le point de départ de la « radicalisation » de Teddy…
Ludovic Boukherma : Totalement ! C’est une histoire d’amour tragique, cette déception amoureuse cristallise toutes ses frustrations. Et puis il y a Noémie Lvovsky ! On avait tellement adoré travailler avec elle sur Willy 1er où elle avait un rôle assez sérieux. Dans la vie, elle est assez fantasque et drôle et on avait vraiment envie de lui donner un rôle un peu plus rigolo. C’est une actrice extrêmement généreuse et c’était l’occasion de s’amuser un peu plus avec elle, on a beaucoup laissé tourner la caméra parfois juste pour elle.