Une vie pour les autres
L’hôpital public brûle et Sébastien Lifshitz ne nous fait pas regarder ailleurs. Pendant la crise du Covid, le réalisateur des Invisibles et d’Adolescentes, maître du portrait documentaire, désire dresser celui d’une femme en lutte, montrer l’humain derrière l’institution et faire incarner par un visage les invisibles que l’on applaudissait à nos fenêtres pendant le confinement du printemps 2020. Parmi celles et ceux qui selon les statistiques ne peuvent pas tenir plus de sept ans, il y a Sylvie Hofmann en poste depuis quarante ans au service oncologie de l’hôpital nord de Marseille. Cette cadre infirmière, résistante, héroïne au service des autres (soignants, patients, mère, fille, compagnon…) est la combattante du quotidien que le cinéaste cherchait. Et on le comprend. À l’heure du départ à la retraite, et alors qu’elle commence à perdre l’ouïe, l’infatigable Sylvie Hofmann irradie l’image de vie, de sa force lumineuse et son accent chantant. Pourtant, à l’intérieur même de ce système de santé, celle qui répète sans cesse « Bienvenue dans ma vie ! » Se bat contre plusieurs moulins : dégradation des soins due aux manques de moyens, de personnels, de places, et même… de blouses. Téléphone à la main, c’est sur ce terrain qu’elle se bat contre un hôpital en voie d’être transformé en une entreprise déshumanisante et qui fait face au secteur privé attirant de plus en plus les soignants par ses salaires alléchants. De son œil d’humaniste, Lifshitz observe la routine et l’intimité de Sylvie, des couloirs de l’hôpital à sa vie privée. La caméra la suit dans les Alpes rendre visite à son mari parti y vivre en pré-retraite après des soucis cardiaques, discuter des heures durant avec sa mère touchée par plusieurs cancers héréditaires et ancienne aide-soignante dédiant elle aussi sa vie au soin des autres. Malgré le rapprochement du moment où elle lâchera sa blouse pour vivre enfin pour elle, Sylvie ne se repose toujours pas, ne sait pas penser à elle. Derrière ce corps marqué par le mouvement et le sacrifice, le réalisateur lui offre des instants, visage offert face caméra où dans l’obscurité de son appartement, elle peut se confesser sans filtre et laisser paraître fragilités et tourments d’une guerrière défendant comme dernier bastion, une utopie qui s’effondre ; avant de repartir vers les autres et la lumière.
Réalisé par Sébastien Lifshitz. Durée : 1h44 – Ad Vitam – En salles le 10 avril 2024.