Dans le nouveau film mystérieux de Paul Vecchiali, Un Soupçon d’amour, celle qui fut sa Rosa la rose, fille publique dans les années 80, incarne Geneviève Garland, une comédienne qui répète Andromaque de Racine et qui perd pied avec la réalité. Pour FrenchMania, Marianne Basler évoque sa relation particulière avec le réalisateur qui a fêté ses 90 ans et le trouble que ce personnage a rencontré en elle.
Rosa la rose, fille publique a été votre premier rôle de premier plan, quel souvenir en gardez-vous ?
Marianne Basler : C’est un drôle de sentiment que j’ai aujourd’hui, j’ai l’impression de revivre cette époque, celle de Rosa. C’est assez étrange. C’est la troisième fois que je joue un rôle principal dans un film de Paul Vecchiali (Rosa la rose en 1986 et L’Impure, fiction télévisée en 1991, NDLR) et je retrouve ce même engouement. J’espère que le succès sera au rendez-vous car la période n’est pas propice et le sujet difficile. Le film est construit d’une manière plus opaque mais je retrouve quelque chose que je n’ai pas connu depuis longtemps. A chaque fois que je tourne avec Paul, il y a quelque chose de différent qui se passe, c’est une alchimie qui fonctionne. Cela fonctionnait au théâtre avec Jacques Lassalle et aussi avec Mocky notamment sur Vidanges. Là, retrouver ce que j’ai vécu avec Rosa, c’est très agréable, comme un sentiment que le temps n’est pas vraiment passé, ce qui n’est évidemment pas vrai. J’ai du mal à penser qu’autant de temps est passé, je ne me sens pas si différente que ça. A l’époque je ne savais rien, je me disais que je ne serai jamais à la hauteur. Je travaillais, je m’immergeais, je rencontrais des gens, je faisais tout pour m’identifier le plus possible au personnage par des chemins assez particuliers, je me mettais dans des situations étranges, c’était une drôle de manière de travailler. Là, c’est différent, les années ont passé donc je sais un peu mieux le chemin qui compte pour aller jusqu’à un rôle. Mais je pense que le rôle m’a attrapée, j’étais dans une situation de deuil dans la vie et le travail d’une comédienne se fait à son insu. Quelqu’un de mon entourage était en train de mourir, c’était très difficile à vivre et les deux se sont un peu mélangés. Et là mon frère vient de mourir, je suis aussi en deuil aujourd’hui. Le film aura été accompagné par des deuils pour le tournage et la sortie et cela me fait encore plus comprendre ce personnage.
Quand Paul Vecchiali parle du personnage de Geneviève, il dit que c’est lui. Comment avez-vous réagi à l’idée d’être dans ce film son alter ego ?
Marianne Basler : Je crois que c’est ça qui permet au personnage d’être réussi ! Paul comme Jacques Lassalle sont des gens qui parviennent à se projeter dans les personnages de femmes. Pour Paul, c’était sans doute plus facile de faire jouer ce personnage à une femme mais je trouve ça extraordinaire ces metteurs en scène qui comprennent mieux les femmes que les hommes, qui s’identifient d’avantage aux femmes qu’aux hommes. Je trouve que les personnages de femmes sont magnifiques dans les films de Paul, peut-être parce qu’il a eu une mère extraordinaire. J’échafaude des théories mais je n’ai pas la réponse. C’est triste parfois de tourner avec des metteurs en scène pour lesquels les femmes sont soit des caricatures, soit des terra incognita, des entités inexistantes. On le sent tout de suite quand on va être dans une enveloppe vide. Mais avec Paul, c’est riche, c’est mystérieux, c’est construit, c’est plein d’amour et d’empathie mais aussi fait de quelque chose qui n’appartient qu’à lui et qui m’a beaucoup fait peur pour Rosa. Je me disais que j’étais trop loin de son univers mais, et c’est ça qui est mystérieux, une alchimie s’est créée. Paul Vecchiali a trouvé quelque chose en moi que je ne connaissais pas moi-même. Sur ce tournage j’ai été prise d’un vertige au sens propre comme au figuré, très difficile à vivre et je vois ça quand je vois le film, j’ai été réellement saisie. C’est un très beau personnage, un personnage magnifique que j’avais déjà approché une première fois avec Christian Petzold dans Fantômes, c’était une femme qui partait à la recherche de sa fille disparue à l’âge de 3 ans. C’est quelque part la deuxième fois que je me retrouve dans un personnage qui est à la recherche d’un enfant ou dans le déni de réalité, c’est quelque chose que je comprends très bien. Très souvent j’oublie que les gens sont morts.
Paul Vecchiali produit ses films, les distribue souvent, travaille vite et dans une économie particulière. Comment c’est de tourner avec lui ?
Marianne Basler : C’est mon neuvième film avec Paul et j’ai tout connu comme un film fait à Cuba avec plusieurs millions et celui-là tourné en 9 jours. Il y a un budget mais Paul ne se paye pas et les gens sont moins bien payés qu’ailleurs. Mais il tourne rapidement parce qu’il a envie de tourner comme ça. Le film est tourné en 9 jours mais il faut prendre en compte les nombreux jours de répétitions et la façon dont il sait exactement où mettre sa caméra pour chaque plan, sans se couvrir par des champs/contrechamps. Le film est pensé et réfléchi avant. La manière dont il tourne les plans impose une vie, un rythme, un style. Cela lui appartient. Il réfléchit, rebondit et s’adapte. Cela rejoint le cinéma de Renoir ou Rivette qui sait faire du plan séquence. C’est une forme de cinéma qui est intéressante mais qui va à l’encontre des standards de la télévision. Dès que j’allume la télévision je vois des bons acteurs qui ne peuvent pas être bons, leur jeu est rendu stérile. Chez Paul, tout est signifiant et les acteurs ont le bon cadre pour s’exprimer.
Vous n’avez jamais arrêté de travailler que ce soit au cinéma, au théâtre ou à la télévision. Qu’est-ce qui guide vos choix ?
Marianne Basler : C’est un mélange oui. Mais je crois que c’est surtout ce que j’ai pu dégager qui a fait que certaines personnes sont venues vers moi et pas d’autres. Parfois j’ai tenté d’autres directions. Mais j’aime bien jouer ! Le théâtre m’a vraiment beaucoup occupée, j’ai travaillé avec des gens que j’ai adorés.
Quels sont vos projets ?
Marianne Basler : Je devais partir au Kosovo pour un tournage mais c’est très compliqué en ce moment de prévoir ce genre de déplacement. Je vais reprendre mon monologue au théâtre basé sur L’Autre fille d’Annie Ernaux et faire des lectures publiques de livres comme je le fais souvent. Puis je tourne très bientôt un film de Florence Basilio aux côtés de Marie Rivière.
Un Soupçon d’amour réalisé par Paul Vecchiali. avec Marianne Basler, Fabienne Babe, Jean-Pierre Puymartin, Ferdinand Leclère, Pierre Sélénas – 1h32 – France- En salles le 9 septembre – Epicentre Films