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Marisha Triantafyllidou (Her Job) : “Au cinéma, le regard ne trompe pas, je ne pouvais pas tricher”

par | 28 Avr 2019 | CINEMA, Interview

Jour2Fête

C’était la directrice de l’Eden Club dans Eden à l’Ouest de Costa Gavras, mais aussi Vivi dans Xenia de Panos Koutras. Marisha Triantafyllidou, actrice grecque à la lumière si singulière, peut être toutes les femmes. Elle se glisse dans Her Job, premier long métrage de Nikos Labot, dans la blouse d’une mère au foyer fatiguée qui, en acceptant un job de femme de ménage dans un centre commercial, va retrouver force et confiance. Entretien avec Marisha Triantafyllidou.

Comment avez-vous été approchée par Nikos Labot, le réalisateur de Her Job, pour le rôle de Panayiota ?

Marisha Triantafyllidou : Il y a plusieurs années, Nikos m’a appelée pour que j’auditionne pour le rôle de Panayiota. Mais entre ce jour-là et le moment où nous avons tourné le film, il s’est passé 3 ans ! Trouver des financements a été une bataille. Finalement, Nikos m’a rappelée pour me dire que le film pouvait enfin se faire, que nous pouvions reprendre le travail là où nous l’avions arrêté. C’est à ce moment que j’ai lu le scénario, car lors de l’audition, il n’y avait aucun texte écrit, je n’avais encore rien lu. J’ai proposé le nom de trois autres actrices à Nikos parce que j’étais convaincue qu’elles seraient plus à même de jouer ce rôle que moi. Mais Nikos m’a convaincue du contraire. Il a insisté pour que je sois sa Panayiota. Nous avons alors passé beaucoup de temps à lire et relire le scénario, à approfondir le personnage, à nourrir les situations.

Concrètement, quelle forme cela a pris ?

Marisha Triantafyllidou : Nous avons fait toute une série d’essais. Parfois je jouais seule, parfois avec la famille du personnage ou ses collègues devenues copines… Ces essais et répétitions étaient nécessaires à la construction du personnage, pour éviter la caricature. Nous voulions voir à l’écran une vraie personne, mais aussi un ressenti valable en 2019. Qu’on sente l’encrage dans notre époque. En dehors de ça, la préparation du rôle a été très physique. J’ai du prendre du poids, 12 à 14 kg. Je suis une personne d’ordinaire très souriante et expressive, le contraire de Panayiota qui porte un masque, et ce masque devait apparaître sur mon visage figé par la fatigue. On a pensé le personnage avec Nikos jusqu’à la coiffure, jusqu’à son allure, sa gestuelle, la tenue du corps, les épaules tombantes, comme si elle portait un fardeau invisible mais permanent.

Avant d’être intellectuelle, l’approche du monde de Panayiota est sensible. D’ailleurs, la caméra ne la lâche pas, elle est le réceptacle des émotions du personnage, même les plus sourdes.

Marisha Triantafyllidou : Oui, nous nous sommes vraiment concentrés sur les regards, les expressions passent par eux. Mais pour pouvoir avoir un regard qui exprime quelque chose, il faut avoir déjà travaillé le monde intérieur du personnage pour pouvoir le projeter à travers le regard. Au cinéma, le regard ne trompe pas, et la caméra était si proche de moi que je ne pouvais pas tricher.

Qu’est-ce qui vous touche, vous, en tant que femme, dans ce personnage ?

Marisha Triantafyllidou : Ce qui m’a surtout touchée, c’est l’innocence du personnage. Panayiota découvre un tout nouveau monde, c’est une surprise vue et vécue pour la première fois. Ce qui est très beau, et ce que le film retranscrit très justement, c’est la révolution intime, personnelle de Panayiota. Au moment où elle prend conscience qu’elle peut être autre chose qu’une femme de second plan qui s’oublie, elle assume sa nouvelle vie, et c’est quand même quelque chose d’énorme quand on fait ça à l’âge adulte, peu importe ce que on a vécu dans le passé. Cette prise de conscience me touche. J’aimerais la voir partout, ailleurs qu’au cinéma, chez toutes les femmes. Les sociétés actuelles, et patriarcales, obligent les femmes, peu importe le rôle qu’elles tiennent ou jouent, à prouver leur valeur. Il n’y a qu’à soi-même qu’on doit prouver quelque chose, pas aux autres.

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Le regard du mari de Panayiota et celui de ses enfants changent d’ailleurs progressivement…

Marisha Triantafyllidou : Oui, absolument. Quand on change soi-même, le regard des autres changent aussi. Dans un premier temps, le mari de Panayiota est bousculé par ce changement. De prime abord, ce personnage incarne tous les stéréotypes du macho. Mais on voit aussi que ses préjugés se fissurent. Il essaie sans doute de manière très maladroite de changer, de s’adapter, d’évoluer, parce qu’il aime sa femme et la soutient. Malgré le fait qu’il soit dans une situation qui est en train de casser son cadre, il essaie, il fait des efforts. Pour moi, la question, c’est qu’est-ce qui va se passer après ? Une fois les changements acceptés, une fois la prise de conscience effective, que va-t-il advenir de Panayiota et de Kostas, son époux ? Il faut demander à Nikos d’écrire le second volet de l’histoire !

Est-ce qu’on peut parler de Her Job comme d’un film politique et féministe ?

Marisha Triantafyllidou : Oui, si on s’intéresse au cadre stricto sensu, la dimension sociale et politique est très active. Le film parle de ce qui se passe en Grèce en ce moment-même. Ce qu’on voit ici, dans ce contexte, c’est que le premier rôle est donné à une femme qui essaie de se définir, de trouver sa place, d’avoir sa propre vie, de construire son propre socle. Ce qu’ont réussi Nikos et Dounia (Sichov, monteuse du film, NDLR), c’est assez unique ! Non seulement on sent la dimension politique et féministe, mais on sent aussi l’évolution sentimentale et psychologique de l’héroïne. D’être arrivé à combiner ces deux dimensions, c’est ça le tour de force du film. Ce que j’ai remarqué dans les festivals où nous avons présenté Her Job, c’est que chaque spectateur a une appréhension différente du film, que l’identification ne se niche pas au même niveau pour tous.

Où va-t-on vous voir prochainement ?

Marisha Triantafyllidou : Actuellement, je suis sur trois films. Mais, c’est comme ça en Grèce, on ne sait jamais si on va obtenir les financements pour les tourner ! C’est un long processus. Her Job a réussi à se faire malgré toutes les difficultés rencontrées, donc ça me donne de l’espoir pour ces projets en cours ! Sinon, j’aime terriblement le cinéma français, j’essaie d’apprendre à parler la langue…

Her Job – En salles le 1er mai. GRÈCE – FRANCE – SERBIE

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