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Maxime Jean-Baptiste (Kouté Vwa) : “Ce qui m’a aidé, c’était de savoir quelles images je ne voulais pas reproduire”

par | 18 Juil 2025 | CINEMA, Interview, z - Milieu

Avec Ecoutez le battement de nos images, leur court métrage documentaire nommé aux César en 2023, Maxime Jean-Baptiste et sa sœur Audrey exhumaient des images de l’aménagement du site de lancement spatial de Kourou sur leurs terres guyanaises. Pour son premier long en solo, Kouté Vwa, Maxime Jean-Baptiste propose une fois de plus d’écouter des battements. Ceux des cœurs d’une mère endeuillée et de son petit-fils venu auprès d’elle pour les vacances, ceux des tourments des proches qui restent 10 ans après un tragique assassinat, ceux des percussions qui donnent le rythme des parades du carnaval. Au cœur de cette histoire familiale, il tisse des liens, créant un fil narratif singulier et puissant, laisse la parole se libérer, et observe la vie qui continue sur cette terre lointaine et si proche. Sublimé par une direction photo remarquable, cet échange constant qui tient lieu de fil rouge entre Nicole, mère du jeune homme assassiné (et tante du réalisateur) et Melrick, son petit-fils ado francilien, est à l’image du film : juste, pudique, tendre et puissant. FrenchMania a rencontré Maxime Jean-Baptiste pour évoquer la genèse de ce premier long métrage, en salles depuis mercredi.

Est-ce qu’on peut dire que ce premier long métrage s’inscrit dans la lignée de vos courts, celle d’un territoire, la Guyane, et des liens familiaux ?

Maxime Jean-Baptiste : Pour moi, c’était assez important. J’avais travaillé, c’est vrai, sur les précédents courts métrages avec des réutilisations d’images et aussi une réflexion sur le territoire de la Guyane mais aussi sur les images qu’on a faites de ce territoire qui sont souvent des images exotiques, assez problématiques. C’était important pour moi de faire tout ce travail avant de pouvoir faire des images de ce pays. C’était important en termes de déconstruction. Après, je me suis dit: « OK, je suis prêt à me lancer ». Effectivement, là, le lien familial était aussi présent, mais dans le film, je n’ai pas voulu le mettre en avant. Dans le court métrage, je parlais de mon ressenti. Là, j’ai voulu vraiment me mettre en distance et être au plus près des ressentis des personnages.

L’idée, justement, de, pour la première fois, produire des images de ce territoire, quel genre de questionnements cela vous-a-t-il amené à avoir ?

Ce qui m’a aidé, c’était de savoir quelles images je ne voulais pas reproduire. Je pense que c’est un travail important à faire, parce que parfois, sans le savoir, inconsciemment, on veut faire partie d’un système et on se retrouve parfois à reproduire des images. C’est vrai que là, d’être entouré, c’est important. Audrey ma sœur, notamment, a coécrit avec moi, elle avait aussi réalisé Fabulous dont j’avais suivi les versions de montage et tout le tournage. C’était un travail de déconstruction que de repenser des regards plus intimes liés à ce territoire. Cela nous a aidé à pouvoir faire les images qu’on désirait, mais qui étaient aussi liées au vécu des personnes : Nicole, Melrick, Yannick. L’idée était d’essayer de trouver à chaque fois des manières de les représenter dans le territoire.

Pouvez-vous revenir en quelques mots sur ce fait-divers tragique qui hante le film ?

Oui. À la base, c’est cette histoire tragique en 2012 du meurtre de Lucas Diomar qui était mon cousin. Du coup, c’est vrai que j’ai mis du temps à digérer ça. Ce qui est aussi assez fort, c’est qu’avec Lucas, on avait le même âge donc on a grandi un peu ensemble. Un moment, surtout vers l’adolescence, c’est là où les chemins diffèrent, notamment par rapport à des questions de masculinité, à des questions d’être, d’expérience, d’entourage. On a pris des directions complètement opposées. On ne s’est plus trop vus si ce n’est quelques mois avant sa disparition. Quelques années après, je suis retourné en Guyane pour revoir Nicole, la mère de Lucas, ma tante. Et j’ai fait des entretiens avec elle pour savoir comment elle a vécu avec ça. Cela a été le point de départ à tout le travail sur ce film.

C’est à ce moment-là que vous avez su ce que vous aviez envie de raconter ?

Oui c’était vraiment un point de départ. Il y avait ça, il y avait Nicole, mais je pense que le point de départ encore plus fort, c’était quand j’ai rencontré Yannick, qui est le meilleur ami de Lucas, qui était sur la scène du crime, qui a reçu des coups de couteau, et est resté un moment dans le coma. Quand je l’ai revu, ça faisait neuf ans qu’il n’était jamais revenu en Guyane, il m’a livré toute son histoire pendant deux heures. Il ne l’avait racontée à personne et c’est là où ça m’a bouleversé, on a pleuré. C’est fou parce que ce qui me fascinait chez lui, c’est qu’il avait grandi dans ce milieu, dans ce quartier, mais en même temps, il avait une réelle émotion. Il est très fragile, alors que c’est un grand mec hyper musclé mais, à l’intérieur, c’est quelqu’un qui est extrêmement blessé, qui est à vif. Et du coup, ça, ça m’intéressait aussi.

Et il y a Melrick, le petit-fils de Nicole…

Après la rencontre avec Yannick, je suis retourné en Guyane avec lui pour un hommage organisé pour Lucas. À un moment de cet hommage, il y avait ce petit garçon, Melrick, qui passait une année en Guyane avec sa grand-mère. Il était très curieux. En fait, avec Arthur Lauthers, le chef opérateur, on a fait juste des petites interviews avec lui à côté du tournage. En fait, il crevait l’écran. Il parlait de sa grand-mère, il avait 12 ans. J’ai eu l’impression d’avoir un adulte devant moi. Il y avait une espèce de justesse dans ses mots. Et, encore une fois, un truc d’écoute, de fragilité qui me fascinaient aussi. C’est là, en revenant en écriture avec Audrey qu’on s’est dit que c’était lui le protagoniste principal du film. Il rappelle aussi Lucas, il lui ressemble, il est plein de vie et d’intelligence.

Oui, et puis, lui, n’a pas vécu les événements, il en perçoit uniquement les répercussions…

Oui, c’est ça. Exactement. Il a vécu les choses indirectement. Il avait deux ans quand ça s’est produit et il a vécu surtout vécu en France métropolitaine. Il avait aussi beaucoup envie de se reconnecter à la Guyane. C’est toujours difficile de faire un deuil quand c’est un proche. Mais quand c’est un meurtre, il y a quelque chose de très particulier parce que, quelque soit l’âge, c’est horrible. Ça s’arrête très violemment. Il y a cette difficulté à en parler, même dans la famille : On ne sait pas quel mot dire, on ne sait pas comment parler à Nicole. Et, malgré tout ce silence et les non-dits, ça boue à l’intérieur. Et du coup, Melrick, il grandit, il n’a pas connu ça, mais, lui, il peut parler, il n’a pas cette espèce de réserve. Il peut faire le lien. Il le fait bien.

Comment se pose, dans ces cas-là, la question de la frontière entre le documentaire, le réel et cette fiction mise en scène ?

C’est vraiment une grande question. J’aime bien laisser le trouble parce qu’il y a des gens qui le classent en doc et d’autres en fiction. Moi, j’aime bien être dans les deux. À la fin, avec les distributrices, on s’est dit qu’on voulait vraiment pousser l’aspect fiction parce que c’est quand même une grosse part du film, mais au tout début, ça a commencé comme un documentaire. Donc, j’ai fait des entretiens avec Nicole. Il y a aussi dans le film un moment de flashback. On voit Melrick plus petit pendant l’hommage. Là, c’était très documentaire au sens de l’observation. Mais en revenant, on s’est dit que le fait d’être juste dans l’observation de ce qui se passait, ça ne suffisait pas. C’était aussi même risqué par rapport à des personnages qui sont traumatisés. Donc, le fait d’écrire précisément ce qu’on fait, tout en en ayant un champ libre, ça permettait aussi de baliser et d’être plus précis aussi pour nous en termes d’intentions. C’est vrai que la fiction a aidé pour ça. La vie a continué. La vie continue. Il fallait la distance pour voir tout ça, ce qui se passait autour.

Et pour finir, est-ce que vous pouvez expliquer le choix de ce titre ?

Kouté Vwa, ça veut dire « écoute les voix ». C’est un peu une invitation d’abord à Melrick, d’écouter les voix du quartier de sa grand-mère et puis aussi d’écouter les voix invisibles, ceux qui ont disparu. Il y a ce côté spirituel. C’est aussi pour le spectateur, pour la spectatrice, une invitation à découvrir cette histoire comme une expérience.

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