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Entretien avec Mikael Buch, réalisateur de Simon et Théodore

par | 13 Nov 2017 | CINEMA, Interview

Je n’aime pas l’idée des modèles. Ce qui m’émeut, ce sont les contres-exemples.

Six ans après la sortie de Let My People Go, son premier film, Mikael Buch revient sur les écrans avec un deuxième long métrage tout en finesse sur l’adolescence, la paternité, et surtout l’amour, inconditionnel. Deux personnages principaux comme le souligne le titre, Simon (Félix Moati) et Théodore (Nils Othenin-Girard), un jeune homme bientôt papa, et un ado élevé par sa mère qui s’enfuit le jour de sa bar-mitzvah. Autour d’eux, la ville, aire de jeu. Échappées belles, fuites en avant, névroses, colères et ecchymoses. Rencontre avec le réalisateur de cette comédie dramatique sensible et singulière. 

Qu’est-ce qui a motivé votre désir de raconter cette histoire dans laquelle deux jeunes hommes sont en colère ?

C’est assez mystérieux. La première scène que j’ai écrite, c’est celle du magasin de jouets (qui se situe au début du film, NDLR), tout est parti de là : un type entre dans un magasin de jouets et veut acheter un cadeau pour son enfant qui n’est pas encore né pour lui assurer que tout va bien se passer en racontant à un vendeur à qui il demande conseil qu’il vient tout juste de sortir de l’hôpital psychiatrique. C’est ce fil là que j’ai tiré. Ce qui était présent dès le départ chez Simon, c’était l’envie de bien faire, et même de trop bien faire, un perfectionnisme un peu névrotique. L’envie d’être un mec bien, et cette envie qui le fait dérailler. J’avais très envie de créer un personnage à la Salinger, comme dans ses nouvelles, des gens qui ont chuté très tôt dans leur vie. Des personnages qui étaient promis à un grand destin parce qu’ils étaient brillants et avaient tout pour réussir, mais qui, très tôt, ont perdu pied. La violence que Simon ressent vis-à-vis de lui-même, c’est l’expression d’une souffrance, celle de ne pas être l’homme qu’il voudrait être. Mais je ne voulais surtout pas tomber dans une étude de cas clinique. Je pensais, en écrivant ce personnage, à Une Femme sous influence, ou à Taxi Driver, et je me disais que la pathologie dans ce genre de film n’est jamais expliquée. Et parce qu’elle n’est jamais théorisée d’un point de vue clinique, on est capable de se projeter, d’être en empathie. Comme avec Jim Carrey dans Fous d’Irène par exemple. On vit dans une époque où les gens sont très en colère, et cela se manifeste dans plein d’endroits, dans le rapport aux autres, dans le vote, … Et se demander  “qu’est-ce qu’on fait de sa colère, la retourne-t-on contre soi ?”, je trouve que c’est une question humaine importante, et une très belle question de cinéma. La colère de Simon est finalement une force vitale, elle produit des étincelles qui sont aussi joyeuses parfois. Cette espèce de trouble, très noir et très dur, c’est aussi un moteur de comédie burlesque.

Simon et Théodore est différent de votre premier film, plus brut, moins onirique… 

Absolument. Mon premier film, Let My People Go,  était très esthétique. Je me suis dit que j’avais envie de sortir de ça pour ne pas entrer dans une sorte de système. Ne pas m’enfermer dans un genre ou une façon de faire alors que j’ai un rapport très hétéroclite au cinéma. J’aime l’œuvre de Woody Allen ou de Roman Polanski par exemple, des réalisateurs qui se permettent une certaine liberté de ton et de genre à l’écran. Le point commun entre le cinéma des réalisateurs que j’admire, c’est cette manière de faire du personnage une valeur absolue, de faire en sorte que ce soit le personnage qui nous emmène quelque part, qui dicte une certaine forme esthétique, le rythme, etc. C’est l’idée que j’ai appliquée aux quatre personnages du film, Simon, Théodore, Rivka, la femme de Simon, et Édith, mère de Théodore. Chacun a ses failles, ses passions, ses élans de colère. Ces quatre énergies dictent les mouvements du film. La colère de Simon et celle de Théodore  se répondent sans être les mêmes, elles sont presque à l’opposé l’une de l’autre. Je n’aime pas l’idée des modèles. Ce qui m’émeut, ce sont les contres-exemples. Les gens qui, dans la vie, essaient de bien faire les choses mais font des erreurs. On apprend plus d’eux que des parcours héroïques ou extraordinaires. Le film parle de la paternité, et quand je me demande “qu’est-ce qu’un bon père ?”, j’imagine que c’est avant tout un être humain qu’on regarde, qu’on admire, mais pas toujours ou tout le temps, et qui va surtout nous apprendre des choses malgré-lui. Simon n’est pas le père de Théodore, mais leur escapade, et les péripéties qui en découlent, vont leur apprendre à chacun des choses sur eux-mêmes et sur l’autre. Des choses qui vont tous les deux les faire grandir.

Vous pensiez déjà à Félix Moati dans le rôle de Simon à l’écriture ?

Non, je n’ai pas écrit pour lui. En réalité, j’ai même mis longtemps à le voir car j’avais encore de lui une image juvénile, je ne l’avais pas vu grandir. Mais à force d’entendre les gens me parler de Félix, nous nous sommes rencontrés. Cela faisait déjà six mois que nous étions entrés en phase de casting et j’avais vu … tout le monde ! Ce casting a été vraiment complexe, et j’ai remarqué une chose récurrente dont Desplechin avait déjà parlé : le rapport compliqué des jeunes acteurs français à la virilité. Voir autant d’acteurs donne, en quelque sorte, un genre de panorama psychanalytique du cinéma français. Et j’ai été très surpris par cette crispation des acteurs français sur les questions de virilité, la peur de ne pas avoir l’air assez fort ou assez dur à l’écran. Le rôle était tout en fragilité, donc j’avais besoin de quelqu’un qui lâche prise. Quand Félix est arrivé, j’ai tout de suite vu que cette question ne se posait pas pour lui. Je savais qu’il serait un parfait Simon. Je ne voulais pas que le personnage soit un grand romantique mais qu’il émane de lui une lumière naturelle – ce que Félix possède. Je voulais quelqu’un qui puisse être juste dans toutes les situations et qui inspire, malgré les épreuves difficiles, quelque chose de joyeux.

Ce casting a été vraiment complexe, et j’ai remarqué une chose récurrente dont Desplechin avait déjà parlé : le rapport compliqué des jeunes acteurs français à la virilité.

Et Nils Othenin-Girard qui interprète Théodore, comment l’avez-vous rencontré ?

Pour le casting du personnage de Théodore, ça a été encore plus long. J’ai vu plus de 200 gamins, et à un moment, je me suis dit que j’avais écrit un rôle qui n’était pas jouable, que j’avais fantasmé un adolescent qui n’existe pas. Tous les jeunes garçons qui ont passés le casting n’avaient pas l’insolence ni la subversion que je cherchais. Ils étaient trop doux, pas assez révoltés, alors qu’il fallait une nature résistante pour jouer Théodore. Quand Nils est arrivé, ce fut un soulagement. Il avait tout. Il levait les yeux au ciel dès que je lui disais quelque chose qui ne lui plaisait pas, l’air de dire « mais t’es complètement con » ! Avec Félix, le courant est tout de suite passé. Ils se mettaient au défi l’un l’autre, se tiraient vers le haut. C’était très émouvant. Félix est hyper sociable, hyper avenant, et je lui avais dit avant de commencer le tournage « Ne parle pas au gamin ! Quand il rentre dans la pièce, tu l’ignores », dans le but de les déstabiliser l’un, l’autre, de trouver d’autres moyens de se découvrir, et de plonger dans leur personnage. Nils est un acteur intelligent, car il a très vite compris ce qu’il devait préserver dans son rapport avec Félix.

Mélanie Bernier, quant à elle, interprète une femme rabbin, un rôle pas banal…

Je connaissais Mélanie, mais sans avoir vu beaucoup de ses films, et je l’ai trouvé stupéfiante au cours de ses essais. Il y a eu quelque chose de tellement immédiat par rapport au rôle – qui pourtant était peut-être le rôle le plus compliqué à endosser. Mélanie joue une femme rabbin, enceinte, qui est à la fois amoureuse de Simon mais inquiète de savoir comment elle va élever son fils avec lui. C’est une actrice naturellement douée qui n’a pas besoin de forcer le trait. C’était très important pour moi d’avoir des acteurs qui savent naviguer entre les tons sans se demander s’ils doivent « jouer la comédie » ou pas. Simon et Théodore est un film qui brasse plusieurs sujets intimes et complexes, comme la psychiatrie, la judéité ou la paternité, il fallait donc que tout ait l’air très simple. L’évidence des personnages vient du jeu des acteurs. Une des seules directions d’acteurs que j’ai donné à Mélanie Bernier pour son personnage, c’est de regarder Une Femme sous influence. Je lui ai dit que Rivka aimait Simon comme Peter Falk aimait Gena Rowlands dans le film de Cassavetes.

Le quatuor d’acteurs est complété par Audrey Lamy, la mère de Théodore, remarquable.

J’avais envie de travailler avec elle depuis très longtemps. C’est une actrice incroyable, tout-terrain. Selon moi, elle pourrait être aussi stupéfiante dans un film d’Haneke que dans une comédie délirante.  Audrey est une femme extrêmement intelligente et humaine. La connexion avec le personnage d’Édith a été instantanée. Je ne suis pas un réalisateur qui dirige fermement ses comédiens et théorise avec eux sur leur personnage. A partir du moment où je confie un rôle à un acteur ou une actrice, je le laisse trouver sa propre connexion émotionnelle, ses propres moyens d’accès au personnage. Chaque personnage dans le film a ses failles, ce qui les rend aussi pénibles que touchants. Dans la vie, on n’aime pas les gens pour leurs qualités, on aime les gens pour ce qui les rend humains. On les aime absolument, dans leur intégralité, avec leurs défauts, leur folie. C’est ce dont parle le film.

Qu’est-ce qui a été le plus difficile à tourner ?

Les scènes de violence. Je n’ai pas un goût spécial pour la violence au cinéma. Je n’ai aucune fascination pour ça, mais c’était l’un des enjeux majeurs du film, l’expression de la colère par les coups, les poings. Il fallait que la violence soit choquante mais, paradoxalement, pleine de vie.  On a travaillé avec des cascadeurs incroyables qui ont vraiment aidé à la mise en scène. Je voulais que cela soit précis et dosé pour ne pas se planter. L’autre enjeu déterminant pour le film, c’était le fait de filmer la ville, et d’arriver à se fondre dedans. Comme dans le cinéma américain des années 70 que j’adore, le fameux « walk and talk » comme dans Macadam cowboy par exemple. Je savais qu’il fallait une très petite équipe pour arriver à se faufiler, de longues focales, de longs plans dans lesquels le personnage nous guide, et qu’on soit en mesure de le suivre. Le format 4/3 est lié également à la façon de filmer la ville. Ça m’a permis de rétrécir le champ, de faire des portraits des personnages, de les isoler du monde, puis de jouer avec des plans plus larges qui les perdent dans ce monde plus grand qu’eux.

Woody Allen dit qu’il y a des films où tout doit être au plus restreint, au plus resserré, du titre au choix de format. Ce film, dès le départ, je le voulais intime et resserré sur les personnages.

L’idée du format était donc déjà prise au moment de l’écriture ?

Tout à fait. Woody Allen dit qu’il y a des films où tout doit être au plus restreint, au plus resserré, du titre au choix de format. Ce film, dès le départ, je le voulais intime et resserré sur les personnages. Le format avait du sens. Je suis curieux et j’aime essayer plein de choses quand je travaille, me mettre aussi au défi. Ce qui compte pour moi, à travers mes films, c’est de parler de la réalité, celle qui ne se conforme pas à des modèles pré-établis, de filmer les états transitionnels, différentes façons de se soutenir et de s’aimer sans jugements. L’écriture du scénario de Simon et Théodore a été plus fastidieuse que pour Let my people go que j’avais écrit en 6 mois. C’était indispensable d’écrire vite ce premier long métrage car si j’avais mis plus temps, j’aurais trop hésité et ça aurait terni la folie initiale du projet. Pour Simon et Théodore, c’était différent, je voulais vraiment naviguer entre la comédie et un film plus noir, et ça a été plus long pour que les jonctions et le mélange se fassent cohérents.

Cela a-t-il été plus difficile de monter et sortir ce deuxième film ?

C’est toujours difficile de faire un deuxième film. Plus compliqué qu’un premier peut-être. En France, aujourd’hui, en tout cas, c’est beaucoup plus dur. J’avais 28 ans quand j’ai réalisé Let My People Go, plus insouciant, et là j’ai vieilli, donc je n’appréhendais pas forcément les choses de la même manière. Mais les questions de financement ne m’angoissaient pas trop car je savais qu’on pouvait faire ce deuxième film avec une petite équipe et des petits moyens. C’est un film dont la force esthétique part des acteurs, donc je n’avais pas besoin de beaucoup pour être heureux. C’est encore une fois une gourmandise de cinéma que de vivre des tournages très différents les uns des autres. J’ai eu la chance de faire un premier film pour lequel j’ai eu les moyens de construire un pur monde de cinéma et là, l’enjeu c’était d’être capable de filmer le coin de la rue, d’accueillir les imprévus, comme dans L’Epouvantail de Schatzberg par exemple. Une manière de filmer des personnages à un endroit précis, une époque précise. Mais la fantaisie des personnages les décolle du naturalisme pour aller vers quelque chose qui est vraiment un monde de cinéma.

Vous citez beaucoup de films et réalisateurs américaines, comment cela s’explique-t-il ?

En fait je n’ai pas grandi en France, je suis arrivé pour y faire mes études. J’ai grandi à Barcelone, un père argentin et une mère marocaine. J’ai toujours connu le cinéma américain. Mon enfance a été bercée par lui. J’ai découvert le cinéma français un peu plus tard, à 18 ans. Truffaut, et Demy surtout, je regardais leurs films presque avec un regard d’étranger. Ce sont eux-même des cinéastes qui ont un rapport particulier, étroit au cinéma américain. Dans la banlieue de Barcelone où j’habitais enfant, il y avait un vidéo-club avec une étagère « films classiques » avec 10 films que je regardais en boucle et je me dis que si le propriétaire du vidéo-club avait choisi 10 autres films, ma cinéphilie serait complètement différente ! Il y avait Annie Hall de Woody Allen, Cabaret de Bob Fosse, Les 10 commandements de Cécil B. DeMille, Le Dictateur de Chaplin, la Soupe aux Canards des Marx Brothers, … Ce sont des films que j’ai vu 3 millions de fois ! C’était devenu mon étagère, et je reprenais inlassablement les mêmes films. Aujourd’hui, je suis toujours un affamé de cinéma et je regarde énormément de films, mais j’en reviens toujours à cette étagère !

Propos recueillis par Ava Cahen et Franck Finance-Madureira

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