Madeleine et Pauline vont en bateau
Pour ce 22ème long métrage, Mon Crime, François Ozon délaisse le huis clos fassbinderien entre hommes de Peter von Kant pour retrouver les actrices, au cœur de son cinéma depuis toujours. Le cinéaste qui a contribué à la révélation de certaines débutantes comme Ludivine Sagnier ou Marine Vacht et dirigé les plus grandes de Catherine Deneuve à Isabelle Huppert, de Danielle Darrieux à Jeanne Moreau en passant par Fanny Ardant, Sophie Marceau, Isabelle Adjani, et même, Jacqueline Bisset… place ici sous les projecteurs deux des comédiennes les plus prometteuses du moment : Nadia Tereszkiewicz (Les Amandiers, Babysitter…) et Rebecca Marder (Une jeune fille qui va bien, Simone, le voyage du siècle…). La blonde et la brune, Maryline Monroe et Jane Russell (voire Katherine Hepburn) façon screwball comedy hollywoodienne. Car il s’agit bien d’un retour à la comédie jouissive et grand public pour le prolifique réalisateur. Mon Crime semble venir compléter une trilogie féministe amorcée il y a vingt ans avec le cruel et musical cluedo féminin 8 Femmes puis dix ans plus tard par la comédie de mœurs Potiche. Dans ces deux films, Ozon utilisait l’art de la distanciation théâtrale et du kitsch des années 50 puis giscardiennes pour raconter l’émancipation de personnages féminins occupant des places dédiées aux hommes que ce soit dans la société, la politique et évidemment devant une caméra, au cinéma. À l’origine de ce nouvel essai comique, également une pièce de théâtre, des années 30 cette fois-ci, écrite par Georges Berr et Louis Verneuil. Elle sert de base au scénario pour être détournée et enrichie par le souffle d’un féminisme contemporain. Le cinéaste conserve le contexte historique et décors et costumes sont au service d’une reconstitution visuelle stylisée. Nadia Tereszkiewicz et Rebecca Marder interprètent Madeleine et Pauline, deux jeunes femmes endettées qui vivent dans une petite chambre mansardée. L’une mauvaise actrice, l’autre avocate sans dossiers. Le meurtre inaugural d’un producteur pervers et véreux avec lequel la jeune comédienne avait rendez-vous fait d’elle la parfaite coupable pour la justice, la parfaite affaire pour Pauline et… le parfait rôle pour Madeleine. Le procès devient le lieu du réquisitoire contre le patriarcat et la défense des droits des femmes (jolie sortie pour un mercredi 8 mars) : « N’est-il pas possible, en 1935, de mener sa carrière, sa vie de femme, sans contrainte, en toute liberté, en toute égalité ? » Demande Madeleine. L’appropriation du crime par les mensonges et manipulations contre les hommes libère ainsi une parole pas si éloignée du mouvement #MeToo. D’ailleurs, le cinéaste prend le parti inverse des traditionnelles comédies où les femmes sont présentées comme des rivales pour montrer une réelle sororité entre Madeleine et Pauline, quoi qu’il en coûte. Pour enrober, ce fond très contemporain, Ozon se sert donc des situations de théâtre de boulevard où les répliques fusent, où tout est joyeux et où les actrices et acteurs s’amusent. Autour des deux comédiennes, un casting venu d’écoles différentes de jeu viennent compléter la jubilation : Isabelle Huppert en ancienne icône du muet aux allures de Sarah Bernhardt, Fabrice Luchini en juge réac, Dany Boon en richissime allié à l’accent sudiste (très Yves Montand), André Dussolier en patron d’usine conservateur, Michel Fau en procureur, Régis Laspalès en inspecteur et pour compléter le tableau les jeunes premiers Édouard Sulpice, jeune amoureux de Madeleine et Félix Lefebvre dans un rôle de journaliste. Avec Mon Crime, François Ozon fait ce qu’il maitrise le mieux, utiliser la distanciation et le rire pour rendre hommage aux femmes, aux actrices et, évidemment, au cinéma.
Réalisé et écrit par François Ozon. Avec Nadia Tereszkiewicz, Rebecca Marder, Fabrice Luchini, Dany Boon, André Dussolier, Isabelle Huppert… 1h 42 – En salles le 8 mars 2023 – Gaumont Distribution.