Festival de Saint-Jean-De-Luz, l’invité du jour : Épisode 2
“Faire un court métrage, c’est faire un film. Ce n’est pas un brouillon ou une esquisse, c’est faire un film à part entière. Pour moi, la question du format n’engage pas de différence à ce niveau-là” nous confie Morgan Simon à l’issue de la projection au Festival International du Film de Saint-Jean-De-Luz de son court métrage Plaisir Fantôme, déjà plébiscité à la Quinzaine des réalisateurs lors de sa dernière édition. Il met en scène une actrice de film X, également maman d’une petite fille, en proie aux doutes. Cette actrice, c’est Anna Polina. Morgan Simon revient pour nous sur les origines de ce film court en quatre questions-réponses.
Pourquoi avoir choisi Anna Polina plutôt qu’une autre actrice de sa génération ?
Morgan Simon : Anna est une véritable star du milieu X, l’actrice la plus connue de sa génération. Elle est arrivée à un niveau où elle peut se permettre aujourd’hui de ne tourner que deux ou trois films par an, là on l’industrie mise beaucoup sur la cadence et la performance. Je n’ai pas écrit ce rôle spécifiquement pour elle. On s’est rencontré en casting, et j’ai trouvé cette fille super, fine, maline, et fiable, ce qui n’est pas le cas de toutes les actrices sur-sollicitées et pressées par le milieu. J’avais vu certains films dans lesquels Anne joue. Pour moi, c’est un peu la Anna Karina du X, un regard intense, un charme particulier, une photogénie qui capte l’attention de la caméra. C’est pour ça qu’elle crée à mon sens l’engouement, et c’est assez rare finalement. Anna était tout de suite dans l’énergie du film, elle m’a paru être l’actrice idéale pour incarner ce personnage qui est traversé par des sensations et émotions qui lui sont intimes et connues.
Vous avez beaucoup échangé en amont du tournage ?
Morgan Simon : On a répété les scènes, fait des lectures. Le jour du tournage, on était prêt. Anna a même fait des entraînements en bassin avec la queue de sirène qu’elle porte dans la dernière séquence, un costume fait d’ailleurs sur mesure par Rachèle Raoult, costumière d’Atlantique de Mati Diop. C’est Marlène Serour, ma directrice de casting, qui a trouvé la petite Élise Havelange pour jouer la fille d’Anna. Une petite épatante, et plusieurs personnes à la suite de la projection à Cannes m’ont dit qu’ils étaient persuadés que c’était la vraie fille d’Anna Polina, alors que pas du tout ! C’est qu’on a bien fait le travail.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de raconter cette histoire-là ?
Morgan Simon : J’ai l’impression que le porno, on s’en réfère comme à une culture, il en a pris la forme. Mais je n’ai jamais perdu de vue qu’il s’agissait de fiction. Un porno, c’est une fiction pour adultes. Avant, il y avait de personnages stéréotypés, une histoire, des costumes, des dialogues. Aujourd’hui, le point de vue a changé, on est davantage à la première personne, l’effet de réalisme est augmenté, c’est plus cash et cru. Pourtant, ça reste une fiction, le plaisir n’est pas automatique, c’est de la performance. Tout n’est que construction, et c’était ça l’idée principale de Plaisir Fantôme, de faire un pas de côté et d’aller vers la déconstruction, des clichés, d’un tournage, et de ce qui se passe dans la tête d’une actrice à succès qui tourne depuis longtemps. L’automatisation de sa mission si je puis dire, l’usure du boulot. Le film n’est ni pour ni contre le porno, là n’était pas l’enjeu. C’est la question de l’usure dans le travail qui m’intéressait. Dans le film, Anna joue une actrice très sûre d’elle, évoluant dans le monde des apparences, mais on sent qu’une partie d’elle est ailleurs ou aimerait être ailleurs. Le cœur du film est dans ce léger décalage, ce petit décrochage.
Pourquoi avoir tourné le film en 35 mm ?
Morgan Simon : C’était une façon de sortir de la HD un peu pourrie des films porno, de sublimer la réalité. Un genre d’écrin pour mettre en valeur cette héroïne qu’on regarde ainsi autrement. Ça apporte au film une forme de chaleur, de la couleur et du grain. Chaque cadre a été préparé et pensé avec le chef opérateur Paul Guilhaume. On a regardé ensemble des séries de photos de Larry Sultan sur l’univers du porno, ça nous a servi de références aussi avec la chef costumière, on a vu des documentaires sur le sujet diffusés sur Netflix notamment, des peintures d’Hockney, pour les ambiances de piscine, les couleurs chaudes… Tout ça a fait partie des nourritures référentielles.
Propos recueillis par Ava Cahen et Franck Finance-Madureira
Copyright Photo en Une : Pablo Gomez.