Après Compte tes blessures, le deuxième long métrage de Morgan Simon, Une vie rêvée poursuit l’étude des relations familiales tout en faisant le portrait d’une mère, d’une femme et surtout d’une actrice : Valeria Bruni Tedeschi. Rencontre avec le réalisateur.
Dans votre deuxième long métrage, on retrouve des thématiques de vos précédents films, qu’est ce qui vous animait pour raconter Une vie rêvée ?
Morgan Simon : Avec le temps, j’ai pu comprendre que certaines choses que nous avons vécu avec ma mère n’étaient pas normales. Elle a vraiment voulu donner son corps à la science pour ne pas payer les frais de son enterrement, par exemple. Ça me paraissait vraiment choquant que ça arrive et en même temps ça racontait quelque chose dans la relation mère-fils. Il y avait peut-être trop de sacrifices de sa part. Cet événement-là a sans doute déclenché l’envie de faire le film. Il y avait quelque chose de social, jamais entendu dans les médias, et en même temps, purement dans les sentiments intra-familiaux, quelque chose qui montrait que sa vie était trop dédiée à son enfant et peut-être pas assez à elle. Ce film finalement est un film de libération, de renaissance. À un âge où la société nous dit qu’on est foutus, qu’on ne peut plus trouver de boulot à 50 ans, il peut y avoir un nouveau départ.
En prenant pour base ces éléments autobiographiques, est-ce que cela paraissait évident d’adopter le point de vue de la mère et non celui du fils ?
Morgan Simon : À la base, le film était écrit du point de vue du fils. C’était avant que je fasse Compte tes blessures, donc ça fait longtemps que j’ai ce projet en tête. J’avais fait le portrait d’un jeune homme de 24 ans. Et dans ce projet, ce qui était le plus intéressant, c’était de suivre cette femme à travers sa vie, son regard et sa libération à elle. Mais aussi de pouvoir faire comme une sorte de coupe transversale de notre société. C’est un film très local qui se passe dans peu de lieux, dans un quartier. La moitié du film se déroule quasiment dans un seul appartement donc en étant à ce point dans l’intime pour moi tout pouvait rejaillir de ce que je voulais raconter de la société.
Comment on fait justement pour ne pas tomber dans le piège du misérabilisme dans l’écriture ?
Morgan Simon : En connaissant le sujet. Le film vient des tripes et beaucoup de scènes du film ont vraiment été vécues même si elles ont été retravaillés et poussées à l’extrême. Tous mes films sont toujours sur la crête que ce soit Compte tes blessures ou même Plaisir fantôme, ça peut très vite basculer dans des mauvais côtés mais c’est un jeu d’équilibriste de chercher tout le temps la nuance. C’est ce que j’adore chercher dans l’écriture, le jeu d’acteur, les costumes, les décors, que les choses s’équilibrent, que ça n’aille jamais tout le temps au même endroit.
Au niveau de la mise en scène on est dans quelque chose de très âpre au début dans des cadres serrés sur ce qu’elle vit. Comment avez-vous travaillé sur les décors et les cadres pour ensuite arriver à la libération et à la lumière qui rentre complètement dans l’image ?
Morgan Simon : C’est vrai que dès le début du film, on est vraiment avec cette femme et cette « vie rêvée » du titre est ironique par rapport à ce qu’elle vit. Tout est chaotique, c’est le bordel dans sa vie et rien ne marche. Elle est quand même beaucoup dans son appartement, on a des cadres assez serrés et fixes. Mon premier long métrage était tourné en caméra portée. Là, c’est une sorte de tableau. Le film est tourné en format 1.66, donc un format beaucoup plus serré que le Scope et que le 16:9, un peu plus large que le 4:3, ça permet d’isoler les personnages sans trop les enfermer. Et beaucoup de scènes du film, au début, se passent la nuit ou dans des environnements clos. Même physiquement et même s’il y a de la couleur, il y a un sentiment d’oppression car c’est ce que cette femme ressent. Le film est un peu plus lent que mon premier long, parce que c’est une femme de 50 ans et on est à son rythme à elle. Elle n’arrive pas à trouver de boulot, donc ses journées passent d’une certaine façon. Et s’il y a peut-être la même colère, il y a une résignation chez cette femme et le rythme du film est lié à ça. Et puis, peu à peu, on commence à sortir avec elle. Une fois que son fils est parti, l’extérieur nous appelle. Même au niveau de la météo, on a été chanceux. On a tourné en février, il faisait très gris. Et le seul moment où on doit tourner la scène où elle danse à la fin sur la dalle, le soleil tapait à l’angle même où on était en train de filmer, alors que ce n’est pas du tout prévu. C’était miraculeux. Et ça participe à ces sentiments de liberté et de légèreté qui arrivent à la fin du film. C’est, je pense, un peu salvateur.
Votre écriture est souvent concentrée sur un duo qui va être perturbé par l’entrée d’un troisième personnage qui créé un déséquilibre ou un nouvel équilibre, qu’est ce qui vous intéresse là-dedans ?
Morgan Simon : Le triangle est une figure qui aide beaucoup parce qu’elle crée toujours un déséquilibre. On voit beaucoup ça dans les films d’auteurs dans tous les pays depuis des années, ça permet de créer de la complexité et de faire venir quelqu’un de l’extérieur pour chambouler un environnement déjà établi. Aussi, simplement, venant d’une famille monoparentale, j’ai ce modèle-là inconsciemment. Ce n’est pas comme dans les films de Desplechin où il y a 100 personnes dans une famille. À Noël, on est deux… Ou trois. Je crois beaucoup aussi aux duos dans des scènes où les personnages peuvent se parler et créer de longues scènes de dialogue dans le film. Dans La Maman et la putain c’est trois heures de dialogue face à face et je crois qu’avec cette figure-là de cinéma très simple qui demande peu d’argent, on peut déjà raconter et faire ressentir un certain nombre de choses. Bien sûr le film ne se limite pas à ça mais il y a quand même 2/3 scènes comme ça qui structurent le film avec Lubna Azabal, avec le banquier, avec la fille de France Travail. Ce ne sont pas juste des informations.
Est-ce que ça permet de creuser plus l’intimité et la complexité des personnages ?
Morgan Simon : Oui bien sûr complètement. C’est le portrait d’une femme à 360 degrés. Peut-être même aussi de cette actrice ! Essayer de percer son mystère à elle, à Valeria Bruni Tedeschi et de sans cesse essayer de trouver un endroit pour voir la faille dans ce personnage. Donc, il y a aussi une volonté de chercher tout le temps la nuance dans le jeu et dans ce que le personnage va exprimer. J’essaie de parler aux acteurs tout en les laissant aussi parfois libres de changer le texte. C’est vraiment une relation triangulaire entre le scénario, ce que ressentent les acteurs et ce que je ressens moi sur le plateau. Je suis toujours à côté d’eux, je ne peux pas être dans une pièce ailleurs.
À quel moment, Valeria Bruni Tedeschi est entrée dans le projet ? Particulièrement dans votre film, elle fait beaucoup penser à Gena Rowlands, qui est, une de ses inspirations en tant que comédienne…
Morgan Simon : Une fois le scénario écrit, je me suis demandé qui pouvait jouer le rôle, et Valeria arrivait comme étant la personne qui permettait d’obtenir de la liberté, de la complexité, de l’humour, de l’émotion dans une même séquence ou dans un même dialogue. On peut avoir tous les sentiments en même temps, c’est un tourbillon d’émotions. Et c’est une chance d’avoir quelqu’un comme ça qui accepte de jouer quelqu’un qui ressemble à sa mère. Et c’est assez simple de travailler avec elle, en réalité, sur le jeu. Elle propose tout le temps des choses, elle n’a pas peur de se tromper. Oui, c’est un peu notre Gena Rowlands, dans un sens et c’est émouvant de la voir jouer. Ça m’avait fait ça aussi avec Kevin Azaïs, Monia Chokri ou Nathan Willcocks pour Compte tes blessures, filmer des acteurs et se dire qu’ils sont nés pour ça !
Et qu’est ce qui vous a intéressé chez Félix Lefevbre et Lubna Azabal ?
Morgan Simon : Lubna, j’ai très vite senti que c’était elle. Elle a lu le scénario, elle a dit oui tout de suite. Donc c’était très simple. Félix il y a eu des essais, on a fait un casting où c’était vraiment jouissif de pouvoir lui inventer des scènes qui sont en dehors du scénario et de jouer un peu avec tous les cas de figures possibles entre sa mère et lui. Très vite il a montré qu’il était tout le temps dans le jeu et dans l’amusement et qu’il maîtrisait déjà le scénario et le personnage.
Quelle est la suite ? Vous aviez un autre projet de long métrage, est-il en préparation ?
Morgan Simon : Il y avait un autre film qui devait exister avant Une vie rêvée. On avait un casting, un distributeur, mais la pandémie a mis un coup d’arrêt au projet mais là j’ai envie de relancer. Une vie rêvée aurait pu être le troisième film mais c’est sans doute celui qu’il fallait faire pour finalement réaliser un diptyque beaucoup plus clair avec Compte tes blessures. En fait, c’était un choix avec les producteurs de Compte tes blessures de savoir celui qu’il fallait lancer en premier ? Compte tes blessures était quand même beaucoup plus avancé, et c’était comme ça qu’il fallait que je fasse. Et heureusement, parce que le temps aidant, ça m’a fait prendre conscience que c’était le point de vue de la mère qui était le plus intéressant et que c’était un film qui était dédié aux mères et qu’il fallait avoir le recul et la distance nécessaire. Jamais je n’aurais pu faire Une vie rêvée il y a cinq ans !