Les étés des possibles
Sous-titré « un film en trois étés », Mourir à Ibiza, le long métrage à six mains de trois vingtenaires rencontrés sur les bancs de la CinéFabrique – Anton Balekdjian, Mattéo Eustachon et Léo Couture – a la ferveur du premier geste exaltant. C’est d’ailleurs par le biais d’une démarche impulsive que s’ouvre le film, l’arrivée de Léna (l’éblouissante Lucile Balézeaux) en gare d’Arles sous la moiteur des vacances d’été : une idée en tête, revoir Marius (César Simonot) rencontré deux ans auparavant à Marseille. Celui-ci, fuyant, se faisant désirer, la jeune femme croise alors la route de Maurice (Alex Caironi), saisonnier et de son ami Ali (Mathis Sonzogni) rejouant le gladiateur dans les arènes locales. Confrontée à ce sublime personnage féminin contemporain et romanesque, sachant en permanence ce qu’elle veut, les trois garçons affichent une candeur s’inscrivant dans une touchante impossibilité de communication émotionnelle. C’est de son initiative à elle, sans cesse en mouvement et de sa capacité à rassembler, que le film prend sa force et nous embarque pour les deux étés suivants. Après cette chaleur arlésienne comme lieu des premières rencontres, l’âpreté des falaises d’Etretat précipite le quatuor dans des abîmes mélancoliques plus intimes et les festivités d’Ibiza renversent le film pour le transformer en comédie musicale, seule possibilité d’expression des sentiments. Mourir à Ibiza, avec ses trois parties comme trois œuvres dissociables, pourtant liées par l’évolution de ces personnages que l’on retrouve d’été en été aux âges où un an peut contenir mille changements – capillaires comme psychologiques -, va se métamorphoser d’un naturalisme au plus près des protagonistes à la convocation d’autres genres cinématographiques qui vont créer une forme de distanciation : Léna et les garçons poursuivent leurs aventures, tenus par cette amitié inéluctable. Si l’atmosphère estivale des errances amoureuses hésitantes convoque Rohmer, il y a dans la démarche des cinéastes, une dynamique proche de Cassavetes, cette méthode de « cinéma-vérité » qui n’a de cesse de redonner du souffle à la production cinématographique hors des sentiers battus, privilégiant la spontanéité et l’improvisation, louant le collectif et le travail entre copains, dévoilant des têtes encore jamais vues (pour certaines non-professionnelles) dans une construction instantanée d’images artisanales. L’idée est de saisir en un geste fort, un temps, un âge – la vingtaine – où tous les possibles sont offerts. Anton Balekdjian, Mattéo Eustachon et Léo Couture s’emparent brillamment de leur jeunesse, celle de tous les garçons et les filles de leurs âges, perdue entre la solitude et les désirs multiples avec une envie forte de créer un cinéma singulièrement vivant. Sous le soleil de ces idéaux et de ces incertitudes professionnelles, sentimentales et donc forcément existentielles, cet excitant laboratoire de recherche cinématographique est galvanisant et donne envie de découvrir la suite de cette œuvre collégiale prometteuse.
Réalisé et écrit par Anton Balekdjian, Mattéo Eustachon et Léo Couture avec Lucile Balézeaux, César Simonot, Mathis Sonzogni, Alex Caironi…1h47 – France – En salles le 7 décembre 2022 – Shellac.