“Est-ce ainsi que les hommes vivent ?”
Cette phrase d’Aragon, citée dans le texte en off du très beau journal intime de Frank Beauvais, Ne croyez surtout pas que je hurle pose, par le biais d’un film-montage, cette question existentielle mais rhétorique.
Ne croyez surtout pas que je hurle est un film saisissant, un journal intime construit par le montage d’extraits de films, très courts (quelques secondes, on imagine qu’il s’agit de respecter les règles du copyright ou du droit de citation) et percutants.
Il y a d’abord la voix du réalisateur-narrateur qui dit beaucoup, se raconte. Et puis les images qui s succèdent au fil du récit. Elles semblent presque avoir leur vie autonome, elles ne collent que très rarement aux mots, faisant office de recul critique ironique quand nécessaire, de soulignement délicat parfois. Les mots et les images entretiennent une correspondance poétique, un vague cousinage qui, malgré l’enchaînement quasi frénétique des séquences, laisse de l’espace à chacun pour se faire sa propre idée de la réalité évoquée. Ce récit de l’intime est simple et bouleversant. Le très beau texte en voix off dit, avec intelligence et sans fausse pudeur, les mois difficiles traversés à binge-watcher des films de tous ordres, du matin au soir (400 pour être précis, ceux-là même dont sont extraits les images qui ont servi au film, la boucle est bouclée) et surtout le pourquoi et le comment. Comment on se retrouve dans un bled paumé bien que familier (et familial, sa mère y vit) après un exil alsacien choisi à deux et mal vécu après la rupture, quand on se retrouve seul. Pourquoi on est malheureux, seul et accro aux films, pourquoi la dépression, les médocs et l’alcool, comment on (ne) vit (pas) sa vie d’homo dans un village isolé, passablement réac, et, qui plus est, sans le permis de conduire.
Sans la filmer mais en la documentant ainsi à coup d’images-pastilles, Frank Beauvais nous invite dans sa vie, nous laisse nous immiscer dans sa pensée analytique capable de se focaliser alternativement sur son état comme sur celui de la France et du monde. On pense à la puissance du Et Maintenant ? de Joaquim Pinto, c’est dire. On sourit beaucoup, on rit parfois, on est ému tout le temps. On sort anéanti. Anéanti mais joyeux parce que l’avenir s’éclaire, que demain n’a pas dit son dernier mot et qu’on a l’impression de s’être tout dit comme lors d’une première nuit bavarde avec un amant qui redonne de l’espoir quelque soit la suite de l’histoire. “Et leurs baisers au loin les suivent …” poursuivait Aragon.