Révélé au grand public par son rôle d’Hervé dans la série Dix pour cent, Nicolas Maury est un acteur à part qui insuffle à ses personnages conviction, sens de la langue et folie douce. Avec Garçon chiffon, son premier film en tant que réalisateur, il parvient à créer plus qu’un personnage : une persona, qui n’est ni tout à fait lui, ni tout à fait un autre, un peu comme un masque qui révélerait plus qu’il ne cache. Rencontre cinéphile avec un garçon passion.
A quel moment vous êtes-vous autorisé à vous imaginer réalisateur ?
Nicolas Maury : Assez tôt parce que quand j’étais avec les amis de ma sœur vers 13 ou 14 ans, j’écrivais des scénarios gore-rigolos pour les impressionner. Je ne les ai jamais tournés et je pense que tout le monde a un peu fait ça. Mais après, de façon plus nette, en 2009, j’ai écrit un film pour une actrice, Julie Lesgages. Cela s’appelait Virginie ou la capitale et c’était un film de 50 minutes que j’ai réalisé avec une mini-DV et plein d’actrices. Je voulais faire un film sur des femmes entre elles, et il y avait déjà là l’idée d’une provinciale qui arrivait à Paris. Elle changeait de prénom et lançait à son amie “Maintenant c’est Cynthia !“. C’était aussi film sur la jalousie. Je me souviens, il avait été projeté à Pantin et à la Cinémathèque et j’avais été très touché d’avoir un petit article dans Les Cahiers du cinéma. J’étais très inspiré à l’époque par le cinéma de Lodge Kerrigan, un cinéma de portraitiste, un peu noir mais avec des sentiments, très précis, comme si chaque personnage était un cas métaphorique de la société qui le dépassait un peu lui-même.J’étais aussi inspiré par Irma Vep d’Olivier Assayas. Cela se passait dans un univers de femmes lesbiennes qui faisaient du cinéma et ce qui est assez drôle c’est que Kéchiche a voulu le voir quand il préparait La Vie d’Adèle. Commencer à écrire, c’était comme “outer” mes références. Pour Garçon Chiffon, cela a été beaucoup plus sérieux, j’ai commencé par écrire une cinquantaine de pages tout seul, une suite dialoguée, à l’été 2011. Très vite, j’ai demandé à rencontrer Sophie Fillières qui a accepté d’écrire avec moi.
Pourquoi cette envie de travailler avec Sophie Fillières ?
Nicolas Maury : Pour moi c’est une cinéaste unique qui génère un monde qui rapproche son cinéma du cubisme. Elle écrit dans la continuité, en avançant, elle crée des films-cellules, des films autonomes avec une approche très lacanienne du langage. Elle écrit des comédies psychanalytiques qui lui ressemblent beaucoup, qui sont des films du cœur, très précis sur les personnages. J’avais l’impression qu’on était vraiment du même bord et cela s’est confirmé. Quand elle a vu le film, qu’elle a donc coécrit, elle a été bouleversée et m’a demandé d’écrire avec elle son prochain film. Ça m’a troublé et réjoui. Elle m’inspire beaucoup, c’est un bon sparring partner. L’idée de la scène du “compost”, cette formule, elle vient d’elle : “Je me sens comme un trognon sur du compost qui attend juste d’être biodégradé“. Cette réplique de Sophie, c’est comme un vêtement ou une parure de diamants. Le souci, qui veut dire le soin étymologiquement, du mot choisi pour les personnages, c’est quelque chose qu’il y a chez Woody Allen par exemple, dans le cinéma que j’aime ou au théâtre, et qui peut me bouleverser.
Justement qu’avez-vous gardé de vos années de théâtre dans cette expérience de réalisateur ?
Nicolas Maury : La tenue du texte peut-être. Cette idée qu’un texte peut être graphique, qu’il peut être inscrit par un acteur devant une caméra : dire des répliques comme des titres de livres à la façon de ce que Jean-Pierre Léaud faisait avec Truffaut. J’aime bien cette espèce de soumission à la langue, à la réplique, mélangée avec une grande porosité affective. Mais le cinéma et l’idée du gros plan m’ont beaucoup apporté en tant qu’acteur de théâtre, sur la façon dont je suis dans mon corps sur un plateau de théâtre. Les actrices de mon Panthéon comme Isabelle Huppert ou Isabelle Adjani sont très fortes dans leur art du théâtre comme du cinéma. Elles vont toujours chercher une forme d’évidence.
Quand on parle d’influences cinéphiles pour Garçon Chiffon, vous citez Hong Sang-Soo et Judd Apatow. Pourquoi eux ?
Nicolas Maury : Je pense que c’est une rencontre improbable mais ce sont deux cinéastes qui filment le familier, le précis, le détail mais pas l’anecdote, la parentelle, ce qui très proche d’eux mais qui en même temps donne des nouvelles du monde du cinéma. Ils sont issus de leurs pays mais aussi de la culture de leurs pays. Moi je suis français, et je porte très haut un cinéma très français que je ne trouve pas ringard d’aimer. On a des cinéastes illimités en France. Quand je prends ces deux pôles, c’est une forme de yoga interne, une diffraction du moi. Quand Hong Sang-Soo dans Seule sur la plage la nuit raconte une histoire d’amour entre le cinéaste et son actrice, il va très loin, beaucoup plus loin que moi dans la part autobiographique et cela emprunte des chemins qui n’appartiennent qu’au cinéma de fiction. Par la fiction, on peut inventer des moyens pour dire l’indicible. Dans 40 ans mode d’emploi d’Apatow, ce qui me bouleverse, c’est ce qu’il fait avec ses acteurs, il les sort d’un carcan hollywoodien, des injonctions de montrer des héros virils et positifs. Il y a des états chez Apatow de mal-être filmé comme du dessin animé, cela m’a inspiré pour Garçon chiffon, cette facture assez “mainstream” un peu enfantine et une vraie noirceur, quelque chose de cassé qui pourrait faire penser à Al Pacino jeune dans les rues de New-York. Le retour au pays d’origine c’est aussi quelque chose de très présent dans le cinéma d’Hong Sang-Soo, les endroits un peu ingrats, un peu mats, des entre-deux mondes. Ces films parlent de la façon dont on peut se réincarner, se réparer, renaître, redevenir celui qu’on est et le rester. Ça fait un peu malin de citer ces deux cinéastes un peu opposés mais c’est signifiant, mon chef op a tout de suite compris. Le cinéma, c’est toujours donner des nouvelles du monde, même quand il est inventé.
Il faut parfois oser les silences.
Comment avez-vous abordé le volet technique du travail de réalisateur ?
Nicolas Maury : Je suis entré là-dedans avec beaucoup de passion et de doute. Je ne voulais pas me sentir en retard sur les techniciens, ne pas me faire avalé par l’entreprise de la peur. Mon mantra c’était une phrase que disait Vinaver : “Tout accomplissement d’une tâche est relatif au temps dont on dispose“. Je panique énormément et les idées c’est le plus facile. Avoir les couilles et l’audace de se montrer comme l’idiot, celui qui est sans idée, sur un plateau de cinéma c’est important. J’ai beaucoup observé Yann Gonzalez travailler, il fait les choses simplement et c’est un grand styliste. J’aime les accidents, les cadres hasardeux parfois, mais il y avait certains plans très structurés dès le départ. J’aimais bien trouver ma façon propre de me servir de la technique, avec mon chef opérateur, mon ingé son, je crois que nous avons créé notre langage qui n’était que celui de Garçon chiffon, et ça c’est très beau. Une chose que j’aime bien faire en termes de mise en scène, c’est requestionner la dynamique du champ/contrechamp dans un dialogue, m’interroger sur la manière dont une réplique peut dévaster. Je ne voulais pas tomber dans une musique conventionnelle mais trouver ma propre musique de dialogues. Les gens sont savants quand il s’agit d’oralité dans la vie, au cinéma, souvent, on lisse cela, alors que ça fait partie de la mise en scène pour moi. Il faut parfois oser les silences. J’aurais pu faire quelque chose de plus attendu sur le rythme mais mon côté filou c’est que j’ai beaucoup pensé le montage en amont. Il faut toujours aller vers une zone non polie, qui frotte jusqu’à l’insupportable. Le milieu, le moyen, le concerté, sont pour moi des zones où le cinéma fuit. Le dénominateur commun doit être un point de départ pas d’arrivée. J’aime mettre le spectateur en instabilité, entre rires et larmes, pour le faire se rapprocher de la palpitation de Jérémie (son personnage dans le film, NDLR).
Quand on se met en scène avec un personnage qui est de tous les plans, comment manie-t-on les concepts d’égocentrisme, de pudeur ?
Nicolas Maury : Je ne me suis jamais posé la question, je ne me suis pas embarrassé de ses notions. Je voulais aller au bout d’un geste sans coquetterie. Ce film est une façon de me regarder là où pour le cinéma, je ne suis pas regardable. Pas par frustration d’acteur mais juste pour essayer de rejoindre des zones un peu crues. Je me suis donné un rôle très cru. Il fallait que je sois un capitaine en tant que metteur en scène et quand j’étais devant la caméra, je switchais, je reconvoquais mes forêts profondes en quelques secondes. A la fin c’était comme du sport de haut-niveau ! J’avais dit que je ne voulais pas me regarder au combo et très vite j’ai regardé les prises et je savais ce qui allait ou pas, cela m’a beaucoup apaisé.
Comment on se choisit des partenaires et notamment un amoureux de cinéma ou une mère de cinéma ? Qu’est-ce qui a guidé ces choix-là ?
Nicolas Maury : Il y a un besoin d’être en confiance. Le film commence par un couple qui est usé, épuisé, et il fallait voir de l’amour. Ce n’était pas évident, j’ai rencontré beaucoup d’acteurs … Quand soudain, Arnaud Valois. Je l’avais rencontré, en dehors des plateaux, et je ne l’avais pas envisagé… Cet espèce de guépard très beau qui était un peu intimidé avec moi. Il m’a fait pensé à un homme que j’avais rencontré dans la vie. Je me sentais une responsabilité de filmer deux hommes qui s’aiment, je voulais que cela soit précis. Il a fait des essais et, au bout d’un moment, il m’a parlé de ses expériences. Nathalie Baye, elle le voyait Jérémie, elle voyait qui était ce fils. Quand elle a lu le scénario, elle ne m’a pas parlé de son personnage mais beaucoup de moi et de Jérémie. Pour ce qui est de Bernadette, son personnage, elle en a eu au départ une lecture très comique, puis c’est devenu de plus en plus complexe sans être grave. C’est une femme douce comme le sont souvent les mamans.