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Nicolas Maury (Un couteau dans le cœur) : “C’est rare de jouer un personnage bienveillant, qui est là pour l’autre”

par | 23 Juin 2018 | Interview

A l’occasion de la sortie le 27 juin du deuxième long métrage de Yann Gonzalez, Un couteau dans le cœur, nous avons rencontré les principaux acteurs de cette histoire de chair et de sang. Il était Udo, la soubrette inquiétante, dans Les Rencontres d’après minuit, il est désormais Archibald, cheville ouvrière de la société de production de pornos gays dirigée par Anne (Vanessa Paradis). D’entrée de jeu, les souvenirs de l’aventure collective vécue à Cannes reviennent …

A Cannes, j’ai eu l’impression de ne pas monter les marches pour ma gueule. On m’a dit “t’étais raide”, “t’étais ému”… Mais j’étais traversé par quelque chose de fort. Le lendemain, je suis allé au Vertigo (club cannois interlope, NDLR) et le meneur de revue (Florian aka Loona Jones, NDLR) m’a dit « Merci pour hier soir ». C’est con mais cela m’est apparu tellement cohérent et pas théorique.

Votre personnage en quelques mots ?

Je dirais que c’est une sorte de coach qui tente un numéro pas évident : aller vers la lumière alors qu’il n’y a aucune raison d’y aller. On pourrait croire qu’il est autiste ou dans son truc, mais il est complètement à l’écoute de tout ce qui passe autour de lui et prend en charge concrètement cette boutique (la société de production de porno gay au cœur du film, NDLR). Plus globalement, il prend en charge le fait de continuer à faire des films, à croire en la fiction, à croire en la jouissance aussi. C’est un être qui a la délicatesse de ne pas imposer aux autres ses souffrances et qui aime sa productrice, sa patronne, plus que tout au monde. Et je trouve que dans les fictions aujourd’hui, où il faut toujours trouver les conflits entre les personnages, les discordes, les choses à régler, les problèmes, c’est rare de jouer un personnage bienveillant, qui est là pour l’autre. Voilà comment je le décrirai, j’ai ce sentiment-là.

Et ce choix du blond platine, c’est une décision personnelle ou une idée du réalisateur ?

Je crois que Yann dit que cela vient de moi… Mais j’ai oublié (Rires) ! Après, je devais aussi devenir le personnage d’Anne dans un des films qui se tourne dans le film, donc l’idée d’une blondeur commune faisait sens. J’imaginais déjà à la lecture du scénario, quand Archibald jouait à jouer dans ses pornos, quelque chose d’un peu mélodramatique, du Fassbinder, devenir soi-même une sorte de poupée. Le personnage prenait plaisir à se « marionnettiser » et je trouvais que le blond était intéressant pour un vrai brun comme moi ! Pas sûr que je le refasse, même si j’ai eu beaucoup de succès en blond dans la vraie vie… (Rires)

Si le film avait été une comédie musicale ou un opéra… 

Oh c’est hyper dur ! Je ne suis pas très doué en comédie musicale, mais cela serait Vissi d’Arte, Vissi d’Amore (Tosca, Puccini, NDLR) chanté par La Callas. Je pense que ça aurait été cet air-là. (Il chante). La vie d’art et d’amour, je pense que ça lui irait bien.

Dans le film, il y a des films qui se font. Quels sont les autres films – qui mettent en scène le processus de création, qui filent les mises en abime – qui vous tiennent à cœur ?

Alors c’est très simple tous les films qui parlent de création j’adore, même quand ils sont ratés ! C’est quelque chose qui n’est pas tautologique, qui ne s’adresse pas à un public particulier. Plein de gens ne connaissent pas ces milieux-là et adorent voir à travers une fiction comment les choses se fabriquent. Il y a un film que je trouve très beau là-dessus, qui n’est ni très fun ni punk mais assez réussi, c’est Vanya 42ème rue de Louis Malle avec Julianne Moore. J’aime beaucoup aussi le film de Paul Thomas Anderson sur le porno, Boogie Nights, ou L’Amour fou, film incroyable de Rivette avec Jean-Pierre Kalfon et Bulle Ogier. Ils répètent Andromaque dans une espèce de relation sado-maso, c’est dingue. Je pense aussi bien sûr à Après la répétition de Bergman ou Fanny et Alexandre. Ce dont il est question, comme dans le roman sublime de Virginia Woolf Entre les actes, ce sont les humains et leur passion à fabriquer les choses. Cette tension subtile qui veut qu’on se décolle de son monde pour aller vers la fiction, l’imaginaire… C’est justement le sujet du premier long métrage que je réalise et dans lequel je joue. Une comédie comme on en faisait dans les années 1990, très dialoguée, parce que j’adore les dialogues…

On parlait de films dans les films et spontanément, c’est de créations théâtrales dans les films dont il a été question ! Le théâtre, c’est la base de tout ?

Oui, le théâtre, c’est la base ! Souvent quand on parle de théâtre, on imagine un monde fermé. Mais pour moi c’est l’inverse. Parfois je vais voir des pièces et je trouve ça  rigide, fermé, c’est affreux, mais quand je le vis c’est vraiment l’inverse, tout fait corps, tout fait sentiment, tout est glorieux et désastreux en même temps. C’est vraiment monter à cru et parfois être porté comme une immense rocker ! Pour moi, c’est vraiment l’endroit de l’audace et de l’amour des formes hétérogènes, plurielles. C’est ce qui m’habite aussi. Marivaux c’est le maître de ça, de la représentation dans la représentation qui ne sait pas qu’elle est une représentation. Le plus important, c’est l’expérience que cela procure au spectateur. Chez Yann, c’est beau parce que c’est une expérience tournée vers l’autre, tournée vers les spectateurs aussi. C’est une histoire collective qui s’écrit et je pense qu’on fait des bons films en aimant et en reconnaissant la place de chacun, on ne ramène pas tout à soi ! Je suis souvent très choqué de la place accordée aux scénaristes dans le cinéma par exemple parce que ce sont des auteurs impressionnants, incroyables, qui n’ont pas le costume ou l’apparat de l’auteur et qu’on condamne à l’ombre. Ils ont droit à la lumière, à une fière exposition, tout autant que les acteurs.

Comment décririez-vous Yann Gonzalez sur le plateau ?

Très concentré au moment de la prise, attentif, désireux d’être surpris par les autres, en demande de fantaisie, et très pudique. On se parle peu lorsqu’on tourne, parfois je vois son visage, il me dit quelque chose comme “Oui, là c’était …“, et je réponds “Oui, je sais“. Ça peut paraître abstrait mais même sans mots, je comprends Yann. Ce que je trouve vraiment fabuleux et que je n’ai jamais vu ailleurs, c’est qu’il n’est ni hype, ni branché, ni Monsieur bon goût, ni homme de chapelle, c’est l’inverse, et c’est en cela que c’est un grand artiste. Yann est très gourmand, il n’a pas peur du trop, il n’a pas peur tout court ! Il a compris qu’il fallait s’adresser à l’esprit créatif de chacun, que tout le monde est un créateur sur un plateau, que les gens ne sont pas des exécutants. Ça, c’est très rare.

Est-ce que vous avez noté une évolution dans sa manière de travailler, vous qui étiez dans son premier long métrage ?

Dans la forme peut-être… Yann écrivait encore en repérage, il était constamment en ébullition, prêt à réadapter une scène si besoin. j’ai eu l’impression qu’il se servait davantage de la “machine” production. Charles (Gilibert, le producteur, NDLR) lui a beaucoup appris aussi et Yann a continué à écrire son film jusqu’au dernier moment. Je sentais qu’il fallait s’inscrire dans sa peinture, dans son tableau, et il avait son rôle de maître, sans grandiloquence, mais il tenait son rôle de maître du plateau. Il est toujours conscient de tout ce qu’il se passe.

Presque tous les personnages du film sont queer. Est-ce qu’il y a pour vous des auteurs, des films queer qui ont une importance signifiante dans votre parcours d’acteur ? 

D’abord, il y a des cinéastes. Des cinéastes que je trouve queer par leur audace, leur manière d’être eux-mêmes sans concession. Quand j’ai rencontré le cinéma de Fassbinder, ça a été extrêmement violent pour moi, une violence heureuse et folle ! Plus tôt, j’avais déjà eu un choc en voyant La Reine Margot. Le film n’est pas forcément queer mais le personnage de Jean-Hugues Anglade me paraissait très ambigu. Je trouvais que la façon dont Chéreau mettait en scène le tremblement des hommes était étrange, il octroyait le côté “homme fatal” à des acteurs. J’ai commencé dans son film Ceux qui m’aiment prendront le train avec Vincent Pérez en travesti, un choc aussi. Vincent avait demandé à ce qu’on l’appelle vraiment Viviane sur le plateau, cela me fascinait, j’avais 16 ans. 21 jours de tournage fous, j’avais l’impression d’être dans l’endroit qui m’a sauvé la vie, cela m’a permis de parler à mes parents… Et puis je discutais des bons restos du coin avec Trintignant, je voyais Valéria Bruni-Tedeschi dont j’étais fan depuis Les Gens normaux n’ont rien d’exceptionnel. Elle aussi elle m’a sauvé la vie, ce coup de tête qu’elle donne dans la vitrine dans le film, ça a eu un impact fort sur moi. Pour en revenir au queer, je trouve certaines actrices complètement queer. Isabelle Huppert par exemple, elle est totalement queer pour moi !  Elle fait partie de cette catégorie d’artistes qui se sont auto-engendrés et qui tiennent un cap contre tous les vents. Le queer c’est un tremblement, l’audace d’être soi sans forcément vouloir conquérir le monde, mais aussi, parfois, faire son malin, être insupportable ! J’aime beaucoup cette idée d’insupportable : souvent les gens qui me détestent disent que j’ai une voix “insupportable”, que je suis “maniéré” … Je suis ravi, je trouve ça magnifique la manière !

Vanessa Paradis est votre patronne dans le film. Comment s’est passée votre collaboration ?

Vanessa, c’est quelqu’un que j’aime depuis que j’ai 7 ans. Même là, d’en parler avec vous, c’est presque irréel. Je me suis toujours dit secrètement que je la rencontrerais un jour par mon travail. Une superstition. Vanessa Paradis m’a aidé à me construire dans ma chambre plus jeune, à affirmer mes goûts face à mes parents. Quand je l’ai rencontrée lors d’un déjeuner avec Yann, qu’elle m’a pris dans ses bras et dit qu’elle me connaissait en tant qu’acteur, le sol s’est dérobé sous mes pieds.  C’était de la folie. C’est la partenaire la plus à l’écoute, la plus concentrée. Elle n’est jamais dans un labeur excluant. C’est celle qui rameute tout le monde autour d’elle, celle qui, à Cannes, porte ma valise ! A Cannes, j’avais dit à ma famille de ne pas faire de photo d’elle, de profiter du moment. Le lendemain matin, elle m’envoie une photo en disant “Regarde les femmes de ta vie” : elle avait pris en photo ma mère et ma sœur. Vanessa, c’est un vecteur de lien pour nos vies. La rencontrer, c’est mieux que d’avoir un Oscar !

Un titre et pitch imaginaires pour le prochain film de Yann Gonzalez ? 

J’adorerais que ce soit un film de vampires. Peut-être dans la police, Les Vampires Ripoux ?

Propos recueillis par Ava Cahen et Franck Finance-Madureira

Photo : Ella Herme

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