Niels Schneider incarne Paul Marchand (grand reporter de guerre) dans le premier film de Guillaume de Fontenay, Sympathie pour le diable, en compétition au Festival International du film de Saint-Jean-de-Luz. Un film et une performance qui laissent des traces. Niels Schneider nous livre sa vision de ce personnage qui voulait ouvrir les yeux de la communauté internationale sur le conflit serbo-bosniaque, et nous dit aussi ce qui le fait vibrer en tant qu’acteur.
Quel a été votre premier contact avec ce personnage ? Connaissiez-vous le travail de Paul Marchand ?
Niels Schneider : Je ne connaissais ni Paul Marchand ni son travail, mais le personnage à la lecture du scénario m’a plu immédiatement. Ce scénario, ce personnage, c’est tout ce que j’aime, De faire un film de guerre en creux – et non pas un film de guerre hollywoodien – avec des personnages non pas héroïques mais humains, c’est toute la force du projet. Paul n’était ni aimable ni détestable, on lui a parfois reproché son arrogance, ce type était une nature, son cigare toujours aux lèvres, et en même temps, il dégageait une humanité incroyable, c’était le contraire d’un hypocrite. Il était très honnête dans son métier de reporter, dans son rapport aux autres. Il avait une certaine éthique, une vision plus radicale que certains de ses collègues. Il était contre les journalistes qui se mettaient des gilets par balle pour couvrir les conflits et qui se mettaient en scène de leurs reportages. Il pensait que ce n’était pas là que ça se jouait. Il avait une énorme carapace, c’était son cynisme, son humour noir, son dandysme aussi. Paul m’a tout de suite fasciné tel qu’il était écrit dans le scénario, je n’ai eu aucune difficulté à me projeter dans le personnage. C’est un personnage rare, intègre, ambigu, et pour un acteur, c’est génial à jouer. Ça m’a forcément attiré, il y avait du défi. J’ai l’impression qu’aujourd’hui, on fait beaucoup du cinéma “idéologique”, un cinéma qui impose une morale et qui nous sert des personnages lisses qui nous font bouffer de la morale à la petite cuillère, sans que les spectateurs aient l’espace de réfléchir par eux-même. Je savais que ça allait être un film compliqué à financer et à tourner. Guillaume (de Fontenay, le réalisateur, NDLR), n’a pas eu d’argent des institutions, parce que justement, le personnage de Paul leur paraissait antipathique. Ce type de réactions, ça m’horripile parce que c’est comme ça qu’on arrive à des personnages désincarnés, sans aspérités ni âme.
Y avait-il des contraintes en termes d’incarnation ? Des écueils que vous vouliez éviter dans le jeu ?
Niels Schneider : La difficulté pour moi d’abord, c’est que Paul Marchand n’est pas une figure très populaire. On sait son travail à Sarajevo, il est connu dans son milieu, celui des reporters de guerre. Ceux qui ont travaillé à ses côtés ou qui l’ont côtoyé l’ont un peu raconté à leur manière. Boba par exemple (personnage joué par Ella Rumpf) est encore en vie et Guillaume l’a bien connue, ils ont eu de longues discussions en amont du film. Paul était tellement particulier qu’il fallait, en tant qu’acteur, qu’à la fois je m’approprie le personnage et qu’en même temps je fasse un pas vers lui, vers l’homme. J’ai consulté des archives. Paul avait une façon particulière de bouger mais aussi de parler. Par la parole, on accède aussi à une pensée. La manière de s’exprimer révèle aussi quelqu’un je veux dire. La façon qu’il a de dire “Brother” à tout le monde, son accent français complètement pourri, ça raconte des choses de lui, et ce sont ces détails qui ont compté pour moi. L’écueil aurait été de tomber dans l’imitation, mais ça ne m’intéressait pas du tout ! J’ai mis énormément de moi aussi, tout s’est assemblé, amalgamé. Ce que je peux vous dire, c’est que j’ai vraiment éprouvé le tournage, physiquement et mentalement. Tout ça était devenu très organique pour moi. C’était de la pure expérience. Il y a une séquence dans le film où Paul dit à un infirmier qui est venu aider à Sarajevo que s’il est ici, et pas à Anvers, où il exerce son métier d’ordinaire, c’est parce qu’il y a quelque chose d’indiscutablement grisant. Une addiction à l’adrénaline. Et Paul avait conscience de ça, il ne le cachait pas. Les reporters de guerre sont accro à l’adrénaline, à la pulsion de mort comme à la pulsion de vie. Paul vivait avec la mort, il la chatouillait en permanence. Ce personnage est très fort en cela, il fait remonter ce qu’il y a de dégueulasse aussi chez l’homme, au lieu de l’enfouir. Il accepte d’être impur, et surtout il regarde le monde comme il est, sans filtre. Dans son livre, Sympathie pour le diable, Paul Marchand dit qu’il ne voulait pas être un mort-vivant ou un homme à demi-conscient. Et son besoin de se confronter au réel et de confronter les autres à ce réel pouvait parfois déranger.
Vous le disiez plus tôt, Paul avait l’habitude de fumer le cigare. Dans le film, vous avez un cubain à la main en permanence. Cet artifice a été difficile à assumer ?
Niels Schneider : C’est vrai que Paul était un fumeur excessif, et Guillaume a voulu montrer cet excès. Dans ses chambres et bureaux, il y avait des montagnes de boîtes de cigares. Mais ce cigare, je crois que c’était aussi quelque part une façon d’assumer son statut. Il y avait une partie de romanesque, mais aussi des raisons pratiques à ça. Paul était à la morgue presque tous les matins, et l’odeur du cigare masquait l’odeur des morts. C’était aussi pour se réchauffer la main, tout bêtement. Mais c’est vrai que j’ai dû fumer pendant le tournage au moins dix cigares par jour ! Le cigare froid à six heures du matin, alors qu’on vient à peine de se lever, c’est quelque chose ! Ce qui est étonnant, c’est que le film m’est tellement rentré dedans que j’ai eu du mal à décocher après le tournage. J’ai continué à fumer le cigare pendant au moins un mois quand je suis rentré à Paris. J’étais très faible, je pesais moins de 63 kilos, mais je n’arrivais pas à quitter complètement Paul. J’ai gardé ses fringues sur moi pendant trois semaines, Les chaussures croco, son gilet, son bombers… Il m’a longtemps collé à la peau.
Votre filmographie s’enrichit de rôles de plus en plus surprenants. Diamant noir semble avoir été un film pivot à cet égard.
Niels Schneider : Je pense qu’on a besoin des autres pour se donner confiance. C’est vrai que Diamant Noir et ma rencontre avec Arthur Harari a changé beaucoup de choses, ça ouvert l’imaginaire, ça m’a libéré de certains emplois qu’on voulait à tout prix me donner. Je ne remercierai jamais assez Arthur pour cela. Si je n’avais pas fait Diamant noir, je n’aurais sûrement pas fait Un amour impossible, ni Sympathie pour le diable, vous voyez l’idée. Je me serais ennuyé si je n’avais jouer qu’un type de personnage au cinéma. J’ai passé des essais pour Sympathie pour le diable. Guillaume a vu pas mal d’acteurs, mais j’étais persuadé que ce rôle arrivait au bon moment pour moi, Guillaume savait que j’étais capable de le faire, moi aussi du coup. Je savais que c’était ce cinéma que j’avais envie de faire et de défendre. C’est un film qui se démarque, un film radical dans sa forme aussi, et qui donne une autre couleur dans le paysage cinématographique actuel.
Après Sympathie pour le diable, on vous revoit où et quand ?
Niels Schneider : Je serai à l’affiche de Revenir de Jessica Pallud qui sort en janvier 2020 et qui a été présenté au Festival de Venise début septembre. J’y joue avec Adèle Exarchopoulos. Et, très prochainement, je commence le tournage du nouveau film d’Emmanuel Mouret, avec Camélia Jordana et Vincent Macaigne pour ne citer qu’eux. Le scénario est génial, et c’est la première fois qu’on m’offre un rôle dans une vraie comédie. Je suis ravi.
Propos recueillis par Ava Cahen et Franck Finance-Madureira.