Chaque samedi, FrenchMania prend le pouls de l’industrie du cinéma français en temps de crise en appelant un professionnel.
Aujourd’hui, c’est à Sophie Dulac que nous avons passé un coup de fil. Elle est à la tête de Sophie Dulac Distribution mais également des Écrans de Paris, un réseau de 5 salles (et de 13 écrans) et du Champs Elysées Film Festival qui devrait se tenir à la fin du mois de juin.
Est-ce qu’on est préparé à une crise comme celle qui touche le cinéma en France actuellement ?
Sophie Dulac : Non seulement on ne l’est pas mais personne ne l’est ! Il n’y pas de précédent et de mon expérience professionnelle d’une vingtaine d’années je n’ai jamais vu une crise pareille, et surtout des cinémas qui ferment, tous les lieux de culture qui ferment. Cela peut arriver pour une matinée de travaux ou au pire une journée mais tout fermer et mettre 65 personnes au chômage partiel sans savoir à quel moment on va pouvoir rouvrir, c’est totalement inédit. Du jour au lendemain, c’est très compliqué. Et la réouverture ne va pas se faire de manière aussi simple.
Comment envisage-t-on les jours à venir dans ce contexte ? Comment l’activité prend forme ?
Sophie Dulac : Il y a le festival des Champs Élysées qui doit se tenir du 16 au 23 juin, même si Cannes a annoncé qu’ils se mettraient peut-être fin juin ce qui n’est pas très simple. Pour le moment, on continue chacun de chez nous d’avancer sur le festival parce qu’on peut avoir une chance qu’il ait lieu quand même, dans un format réduit et sans Américains peut-être. Pour le reste, rien ! Je suis chez moi, on a fait une réunion avant de partir, on s’occupe des salariés, des plateformes de chômage partiel, de l’argent qui était encore dans les coffres des cinémas, … Pour la distribution, c’est la même chose, on avait un film qui devait sortir le 18 mars (Cancion sin nombre, NDLR) qui n’est évidemment pas sorti, on en a reculé un autre qui devait sortir le 15 avril (Pingouin et Goëland & leur 500 petits, documentaire signé Michel Leclerc), on est tout au jour le jour. On continue à déposer quelques dossiers, à lire des scénarios, mais la difficulté c’est de ne pas avoir d’échéance. Je suis en contact avec les gens de ma société et du festival. On espère que dans un mois et demi j’espère, on va pouvoir envisager la suite et se demander comment les gens qui se sont appropriés les différentes plateformes confinés chez eux vont se réapproprier le cinéma. Rien n’est évident, il va y avoir une période de suspicion après a pandémie et cela va se faire au compte-gouttes.
Le CNC a ouvert une brèche avec l’idée de pouvoir proposer les films qui était à l’affiche de se reporter sur la VOD, qu’en pensez-vous ?
Sophie Dulac : Je crois que c’est une bonne idée parce que, de toutes façons, il y a tellement de sorties qui se sont décalées à peu près au même moment, en juin, septembre, octobre, que les salles de cinéma ne pourront pas absorber tous les films qui vont arriver sur le marché et, en plus, reprendre ceux qui étaient déjà sortis ! Et ceux qui s’étaient positionnés bien en amont, n’auront pas le temps de reprendre la promotion le jour où on rouvrira ! Mais si Cannes devait ne pas avoir lieu cette année, il n’y aura pas tous les films de Cannes qui arrivent entre septembre et novembre, cela donnerait un tout petit peu d’oxygène. Tout cela étant comme d’habitude au conditionnel !
Vous avez également lancé une opération de programmation VOD avec Universciné …
Sophie Dulac : Oui on a lancé ce ciné-club avec Universciné avec la distribution et le festival pour proposer aux gens de voir ou revoir des films de notre catalogue pendant le confinement avec de liens et un petit jeu à l’appui. C’est une manière ludique de rester en contact avec le cinéma et de continuer d’exister. On postera toutes les semaines d’autres propositions et c’est aussi notre manière de dire qu’il n’y a pas que les plateformes et de proposer de regarder un cinéma différent, d’art et essai, de chez soi.
Où en êtes-vous de votre réflexion sur le calendrier et notamment sur le Champs Elysées Film Festival ?
Sophie Dulac : Il y a plusieurs écoles ! Soit on pourra faire le festival mais on le ferra peut-être dans des conditions un peu plus restreintes avec moins de films, moins de présences des équipes américaines si ce n’est par Skype ou autres, ce qui ne serait en soi pas très grave si dès le mois de mai on peut ressortir, les gens auront quand même envie de reprendre un lien social, de revenir au cinéma… Soit on décale le festival nous aussi, mais l’été est chargé, comme le mois de septembre avec Deauville et Venise. Soit on annule, je fais un point avec l’équipe lundi après-midi. En tout état de cause tout cela ne me parait pas d’une gravité absolue, cela permet de relativiser les choses, quand on voit le nombre de morts, qu’on a pas de masques, un festival de cinéma ne reste que du superflu ! On est tous confinés et à la merci d’un virus.
A titre personnel, comment vivez-vous cette période de confinement ?
Sophie Dulac : Moi, à part les week-ends ou les vacances où je m’organise pour ne pas travailler, là je dois m’adapter, alors au bout de 3 jours, je commence à me dire que je peux dormir un peu plus et ne pas mettre de réveil le matin. J’en profite pour faire des choses chez moi, du grand rangement et je me remets à la cuisine ! Mais je me sens parfaitement inutile ! Il faut un petit temps d’adaptation. C’est compliqué mais on va s’y faire parce qu’on n’a pas le choix. Je suis incapable de me projeter dans l’avenir, je ne peux pas.