Chaque samedi, FrenchMania prend le pouls de l’industrie du cinéma français en temps de crise en appelant un professionnel. Aujourd’hui, c’est à Charles Tesson que nous avons passé un coup de fil. Il est le délégué général de La Semaine de la critique (Cannes).
Le Festival de Cannes a annoncé qu’il reportait ses dates à fin juin. Comment travaillez-vous, malgré les inconnues et le confinement, à la sélection des films ?
Charles Tesson : A ce jour, nous travaillons en effet sur l’hypothèse du report du Festival de Cannes au 23 juin – hypothèse qui sera, selon l’évolution de la situation, validée ou invalidée en temps et en heure. Mais c’est en tout cas sur ce scénario du report que nous travaillons tous et que nous sommes mobilisés avec le comité de sélection. Ce qui change évidemment la donne, c’est que nous voyons tous les films depuis chez nous, en lien Viméo, et non en salle et ensemble. Tout le monde s’est adapté à cette situation de crise, y compris bien sûr les producteurs qui n’aiment d’ordinaire pas beaucoup que les films soient vus dans ces conditions et qui craignent le piratage avec les liens. Mais nous les avons rassurés, et c’était de toute manière la seule façon pour que les films soient vus partout, par tous les sélectionneurs. Ils ont bien joué le jeu et ont réagi vite.
Cela a-t-il eu des conséquences sur le nombre de films reçus cette année ?
Charles Tesson : Pas vraiment, nous avons reçu autant de films que l’an dernier à ce jour et on continue d’en recevoir. Certains demandent un peu plus de temps pour les finitions, parce que le confinement a aussi mis à l’arrêt la chaîne de post-production. Donc nous nous adaptons bien sûr. Mais en général, nous ne constatons pas de baisse. Les films que nous devions voir en mars en salles, au CNC ou chez Unifrance, nous les avons reçus en liens, donc il n’y a pas de perte pour le moment.
Comment maintenez-vous le lien avec le comité de sélection ?
Charles Tesson : Nous faisons des réunions chaque vendredi par téléphone ou visioconférence. Ça n’a pas la même charme évidemment que les réunions hebdomadaires que nous faisons d’ordinaire tous ensemble au bureau parisien de la Semaine en période de sélection, mais là encore, nous nous adaptons aux conditions et gardons le rythme et le lien. Nous avançons dans la construction de la sélection, même si aujourd’hui tout reste encore hypothétique. C’est en réalité le processus d’invitation des films qui est plus complexe dans la mesure où rien n’est assuré pour Cannes à ces nouvelles dates. Si ces dates ne sont pas confirmées, ça change évidemment la donne.
Comment se passe la communication avec la sélection officielle et les autres sélections ?
Charles Tesson : On discute beaucoup par téléphone, à la fois avec Thierry Frémaux et Paolo Moretti de la Quinzaine des réalisateurs, surtout depuis l’annonce du communiqué officiel cannois. Avant le confinement, nous avions eu tous ensemble un déjeuner de travail et avions évoqué la situation aux vus des informations que nous avions début mars, à ce moment-là. Le report ou l’annulation du festival, c’est une décision qui appartient au Festival, au CNC, au Ministère de la Culture, au gouvernement, au préfet et au maire de Cannes, donc nous ne sommes pas maîtres de la décision. A partir du moment où l’annonce du 23 juin a été faite, pour les films, nous gardons ce scénario en tête en termes de préparation. Chaque section s’aligne sur ça. Nous sommes sur une ligne commune. Ce qu’on fait surtout, c’est qu’on discute avec tous les partenaires de la Semaine de la critique, avec les vendeurs, avec les producteurs, pour savoir quel est leur sentiment aujourd’hui. Ce qui se dégage de la part des professionnels avec qui nous sommes en contact, c’est que les films ont besoin d’exister, que la Semaine de la critique est un label fort utile pour cela, et donc nous ne pouvons rien lâcher pour le moment même si nous n’avons aucune certitude.
Est-ce une bonne année en termes de premiers et deuxièmes films globalement ? Quelle est la tendance ?
Charles Tesson : Oui, je dirais que c’est une bonne année, à la fois pour les films français – nous en avons reçu beaucoup – et pour les films internationaux. Il y a du niveau, de la qualité, et donc de quoi faire une bonne sélection 2020.
Plus personnellement, comme vivez-vous ce confinement ?
Charles Tesson : Ce qui me manque par rapport au processus de sélection habituel, c’est la convivialité, le partage physique des films, d’avancer en groupe, avec le comité. Mais nous sommes occupés par les visionnages, le confinement aide à se concentrer, et le comité reste très investi, malgré les circonstances. Après, c’est un état particulier parce que nous voyons beaucoup de films, mais notre attention est tout de même tournée vers la réalité, les informations, le drame, la maladie. Ça crée un hiatus incroyable entre là où nous emmènent les films et là où la réalité nous ramène. C’est une situation extrêmement particulière à cet égard.