Chaque samedi, FrenchMania prend le pouls de l’industrie du cinéma français en temps de crise en appelant un professionnel. Aujourd’hui, c’est à Nadia Turincev, productrice, que nous avons passé un coup de fil. Cofondatrice de Rouge International, structure qu’elle a quittée en mai dernier, elle prend un nouveau départ avec Easy Riders Films.
Où en êtes-vous avec Easy Riders ?
Nadia Turincev : Nous avons monté cette maison de production avec Omar El Kadi, dans la foulée de mon départ de Rouge. Un troisième partenaire s’est joint à nous, mais il est encore “fantôme”, donc je ne peux pas en dire plus sur son profil… En revanche, je peux vous dire que je poursuis la ligne engagée avec Rouge, c’est-à-dire produire le cinéma que j’aime, en gros, des films que j’ai l’impression de ne pas avoir déjà vus. Nous avons plusieurs projets dans les tuyaux avec Omar, de la fiction pour le grand écran et pour le petit écrans. Par exemple, nous avons coproduit un film chilien-bolivien-mexicain, Perros, de Vinko Tomičić, réalisateur qui était à la Cinéfondation. Le film devait se tourner en avril, mais heureusement nous avons limité les dégâts au maximum et mis à l’arrêt très vite la pré-production. Pour l’instant, on mise sur l’hypothèse d’un tournage en juillet, mais on reste sur nos gardes bien sûr. Un autre film, Runner de Marian Mathias, que nous coproduisons avec les États-Unis et l’Allemagne, devait se tourner au printemps dans le Missouri. C’est un premier long métrage très excitant. Là encore, en amont du confinement, nous avions senti que le vent était mauvais et décidé de stopper la préparation et de la reporter. Pour des raisons de météo, de climat, le film ne pourra se tourner qu’au printemps prochain, en 2021. Enfin, côté série, nous développons L’âge d’or, d’après le roman de Diane Mazloum (Ed. Lattès).
Comment s’organise le travail actuellement ?
Nadia Turincev : Étant donné qu’Easy Riders est une jeune boite et qu’il nous fallait nous alléger vis-à-vis des frais généraux, nous n’avons choisi de pas avoir de bureaux, de locaux. Donc nous sommes, de fait, habitués à télétravailler. Le confinement ne change pas vraiment les choses. Les rendez-vous se font par téléphone, en visioconférence, à défaut de pouvoir se faire dans les cafés où nous avons nos habitudes, et, une fois par semaine, nous faisons une réunion d’équipe. Nous travaillons actuellement sur un film dont le tournage est prévu fin octobre à Okinawa, on espère que ce sera possible ! C’est un film collectif, coproduit avec le Japon et Tokyo New Cinema qui s’appelle Onsen. L’équipe est moitié japonaise et moitié internationale. On échange beaucoup avec le coproducteur japonais qui est évidemment inquiet. Mais nous sommes parvenus, je crois, à le rassurer : le film est un micro-budget, 120.000 euros pour le tournage, et nous devrions pouvoir chacun réunir les fonds.
Beaucoup de festivals et de rendez-vous pour les professionnels annulent leur édition. Cela joue-t-il dans la prospection des films pour votre catalogue ?
Nadia Turincev : Pas vraiment. J’ai l’impression que ce qu’on fait le plus en ce moment, c’est justement de la prospection ! On a le temps de lire les projets, les scénarios. L’une des articulations de nos réunions concerne la partie acquisition. On partage nos commentaires sur les scénarios qu’on a lus, les courts métrages qu’on a vus. Le festival de Clermont-Ferrand met par exemple toutes les semaines en ligne des courts métrages, ça nous permet ainsi de continuer nos recherches, notamment sur la partie française sur laquelle on avait peut-être pris un peu de retard. Mais globalement, je trouve qu’on ne s’en sort pas trop mal de ce côté-là. Les festivals me manquent pour le contact humain, les rencontres et les films.
Arrivez-vous à vous projeter, même à court terme, dans l’avenir ?
Nadia Turincev : C’est drôle parce qu’on s’est demandé la même chose avec l’équipe lors de notre dernier rendez-vous… C’est évidemment la question des rencontres qui est la plus compliquée, et les rencontres en chair et en os me manquent parce qu’elles sont aussi très stimulantes. Mais nous avons tout à fait les moyens de nous adapter, et si un projet nous tape dans l’œil et que nous avons envie d’en discuter avec l’auteur lui-même, on le fait de manière virtuelle, même si le cadre est un peu plus intime que le contexte dans lequel ce genre de rencontres à lieu en temps normal. J’essaie de rester positive, comme vous pouvez le remarquer, et flexible.
Trouvez-vous malgré tout du temps pour décompresser un peu ?
Nadia Turincev : En réalité, depuis que le confinement a commencé, je ne me suis jamais arrêtée de travailler ! Je regarde des films d’auteurs que j’aime ou avec qui j’aimerais un jour travailler. L’oisiveté, pour moi, est encore très loin, hélas, même si parfois j’en rêve. En dehors des films dont le tournage a été reporté, nous avons aussi plusieurs projets en développement, et ce confinement permet de leur apporter une attention encore plus soutenue. Je pense par exemple au film Les Quinze de Michel et Gaby Zarazir, qui est une coproduction avec le Liban. On discute beaucoup avec les réalisateurs, on réfléchit ensemble aux pistes de réécriture quand elles sont nécessaires, puis on cherche en parallèle un coproducteur. Bref, pas le temps de souffler ! Je suis confinée à Paris avec ma compagne et un de mes trois enfants. Les deux autres me manquent terriblement, ma fille Isis, 13 ans, qui vit à Lisbonne avec son père, et mon fils Alex, 25 ans, qui est cette année à Tokyo. Je fais face à l’incertitude avec humilité, mais je souffre de ne pas savoir quand nous pourrons nous revoir…