Dans Animale d’Emma Benestan, Oulaya Amamra incarne Nejma, jeune femme qui rêve de remporter une course camarguaise. Rencontre avec la comédienne à l’occasion de la sortie en salles du film ce mercredi.
Animale est votre troisième collaboration avec la réalisatrice Emma Benestan, après le court métrage Belle Gueule et son premier long métrage Fragile. Elle a écrit ce rôle pour vous. Pouvez-vous nous parler de votre travail ensemble ?
Oulaya Amamra : Effectivement, on se connaît depuis 12 ans ! J’avais 17 ans au moment du tournage de Belle Gueule. Je savais qu’Emma aimait les films de genre, mais je ne m’attendais pas du tout à ce que le nouveau film d’Emma soit un film de genre aussi violent, un western fantastique à cheval, avec des taureaux, sur la course camarguaise … Je ne connaissais pas l’existence de ce monde-là. Mais avec Emma, on a extrêmement confiance l’une en l’autre, et on a beaucoup parlé du personnage de Nejma, de la manière dont elle voulait que je l’incarne. Je savais que tout n’allait pas une partie de plaisir, les conditions, les taureaux, et tout ce qui concerne le costume et le maquillage, mais j’ai foi en Emma, et sa passion pour le cinéma est contaminante. J’aime beaucoup la voir travailler. Elle est hyper précise, et c’était beau de la voir parler avec Ruben Impens, le chef opérateur. Ce tournage a été difficile, mais un peu magique aussi, et ça se voit dans certaines séquences. Je pense à la scène où on voit les têtes des taureaux au dessus d’une épaisse brume. On ne voit pas leurs pattes, ce qui donne l’impression qu’il flotte comme des esprits. Ces bêtes font partie de ce paysage et sont même presque plus présentes que les humains. Elles représentent la puissance, et le film parle en partie de ça.
Comment travaille-t-on avec un animal sauvage et puissant comme le taureau quand on est actrice ?
Oulaya Amamra : On l’écoute beaucoup, et on écoute les conseils des manadiers ! C’est un animal qui peut faire peur, parce qu’il est sauvage et imposant, et aussi parce que, dans l’imaginaire, il incarne quelque chose de dangereux, des muscles et de la testostérone. Mais j’ai découvert un animal plus sensible que j’imaginais, végétarien, comme le personnage de Nejma. Le but du jeu pour le film, c’était d’essayer de capter son regard, et j’ai souvent été bouleversée par le regard triste et mélancolique du taureau. Je me souviens d’une scène qu’on a tourné pour la deuxième course de Nejma, ça faisait des heures que l’on attendait, et à un moment, le taureau s’est approché très près de moi. J’étais dans une espèce de cage dans la contre-piste, il ne pouvait pas m’attaquer, mais je sentais son souffle. Instinctivement, par peur, j’ai voulu partir, mais le manadier m’a dit de ne pas bouger et de respirer calmement. Effectivement, le taureau ne m’a rien fait, il m’a simplement regardé, et c’était presque un moment de grâce. On touchait au sacré. D’un coup, il n’y avait plus de cinéma, seulement cet animal qui vous regarde. Un peu comme les bébés, les taureaux sont dans le présent immédiat.
Vous êtes entourée de comédiens non-professionnels, ce qui donne au film un aspect un peu documentaire, en plus de sa dimension fantastique. Qu’est ce qu’ils vous ont apporté pendant le tournage ?
Oulaya Amamra : Je n’aime pas trop dire non-professionnels parce que, quand on regarde le film, pas de doutes, ce sont vraiment des acteurs ! Ils m’ont vraiment bluffée, notamment dans les scènes où ils devaient jouer la peur ou faire comme s’ils se faisaient charger par un taureau. Ce n’est pas évident de réussir à transmettre des émotions sans les théâtraliser ou les surjouer quand on débute, mais pour eux, ça avait l’air presque facile ! Au delà du jeu, ils sont tous de la région, ils l’aiment, ils en connaissent ses trésors et ses secrets. Encore une fois, moi je ne connaissais rien du tout. Pendant les quatre mois de préparation en amont du tournage, ils m’ont emmené donner à manger aux bêtes, ils m’ont aidé à monter à cheval… Je les ai beaucoup observés, vivre et travailler. En tout cas, ce ne sont pas les gars du film, ils sont beaucoup plus gentils dans la réalité !
J’ai souvent été bouleversée par le regard triste et mélancolique du taureau.
Ça vous parle d’être la seule femme dans un univers très masculin ?
Oulaya Amamra : Je n’ai jamais eu a ressentir ça, pas comme Nejma le ressent. Quand on fait du théâtre ou du cinéma, on est quand même dans des milieux beaucoup plus mixtes. Dès que j’ai eu mon bac, je suis rentrée au conservatoire, et j’ai commencé à travailler assez vite. Mais par contre, j’ai éprouvé ce dont vous parlez à travers des rôles, comme quand j’ai joué une femme cheffe d’orchestre (Divertimento, 2022, Ndlr). C’est un milieu où il y a très peu de femmes, seulement 4 % en France je crois, et je pense que le cinéma a un rôle à jouer pour décloisonner les imaginaires et peut créer des opportunités de rôles inattendues pour des actrices. Je ne pensais pas que je pouvais jouer dans un western fantastique, parce qu’il n’y avait pas jusqu’ici de modèle de référence. C’est comme si on ne me l’autorisait pas, et Emma, elle, elle l’a fait, elle me l’a permis. J’ai regardé beaucoup de cinéma et série américains quand j’étais plus jeune, sans forcément me poser la question de la place et de la condition des femmes dans ces films, mais aujourd’hui, je vois bien que quelque chose change, grâce à des réalisatrices comme Emma, comme Julia Ducournau ou Coralie Fargeat, qui ne filment pas les femmes de la même façon, sans les essentialiser, qui envisagent le body horror sous un autre angle, pas seulement pour “faire peur” ou pour faire “kiffer”. C’est rare de voir des héroïnes qui ne sont pas des filles amoureuses ou des filles qu’un homme, à un moment donné, doit sauver. Nejma est une vraie héroïne pour moi.
Vous rêviez de pouvoir incarner cette puissance féminine ?
Oulaya Amamra : Complètement, j’en rêvais depuis que je suis petite. Au cinéma, les hommes peuvent tout faire, endosser la blouse des médecins, l’armure des chevaliers, la robe des avocats, le costume des superhéros, se transformer en loup-garou … Moi, je voulais être De Niro ou Pacino quand j’étais petite, mais il n’y avait pas tellement d’équivalents au féminin. C’est progressivement en train de changer, doucement mais sûrement.
Le rôle de Nejma est un rôle très engagent physiquement, parce qu’en plus son corps se métamorphose…
Oulaya Amamra : Oui ! Nejma est passionnée par les taureaux, elle se sent profondément connectée à eux. J’ai beaucoup observé les taureaux comme je vous disais, parce que je voulais trouver dans le langage corporel de Nejma quelque chose qui ressemble à la manière dont ils se meuvent. C’est un animal qui a un corps très lourd, mais qui a aussi beaucoup de grâce et de majesté. On n’interprète pas un personnage puissant en poussant ou en jouant la force. Je voulais trouver un juste équilibre, exprimer la puissance, mais aussi ce qu’il peut y avoir de fragile ou de tragique dedans. Le plus dur, ça a été de devoir jouer la douleur, parce que Nejma est en souffrance, elle est blessée au bras, son corps se déforme, sa peau la gratte, elle a des maux d’estomac et des nausées. Toute la violence que subit Nejma se manifeste par le corps, dans son corps. Le personnage de Nejma ne parle pas beaucoup, mais son corps parle, lui, et c’était un des défis du film d’arriver à faire ressentir la douleur de Nejma. Ca passe autant par la mise en scène et par les moyens du cinéma de genre que par le jeu en fait.
Comment choisissez-vous vos rôles ? On a l’impression que tous les films que que vous faites sont le fruit d’une mûre réflexion.
Oulaya Amamra : Oh c’est gentil ! En fait, je ne me dis pas qu’il faut que je fasse ceci ou cela. J’ai beaucoup de chance que les projets viennent à moi, et, souvent, ils ont quelque chose à défendre, une dimension féministe ou sociale qui me donne encore plus envie de m’engager.
Vous avez envie de travailler plutôt avec des réalisatrices que des réalisateurs, ou vous ne vous posez pas la question ?
Oulaya Amamra : Je ne me la pose pas en ces termes. En vérité, c’est l’histoire et les personnages qui m’intéressent le plus. Jouer pour jouer, c’est vide. Pour faire tourner le moteur, faut se demander ce qu’on peut apporter et raconter à travers un personnage et un film. Le personnage de Nejma, c’est la combinaison de plusieurs expériences et identités, celles de Marie Ségretier, qui est une vraie raseteuse, et qu’Emma a filmée dans un documentaire, celles d’Emma et les miennes. Je n’avais jamais joué un personnage aussi dense et blessé. Faire ce film était très intense, et, à un endroit, il m’a rendu moins naïve, parce que les sujets que brasse le film sont secouants, et qu’après le cri que je pousse à la fin, rien ne pouvait complètement redevenir comme avant.
Comme si vous aviez ressenti la douleur de Nejma ?
Oulaya Amamra : Complètement, et en même temps, ça m’a rendue plus forte. Nejma est à un moment de sa vie où elle a besoin de crier pour se faire entendre et pour dire qu’elle ne se laissera plus faire. J’ai ressenti son besoin viscéral. De la couleur et de la colère.
Quels sont les films dans lesquels on pourra vous voir après Animale ?
Oulaya Amamra : Je joue dans Toute pour une de ma soeur, Houda Benyamina, avec une super bande de filles, Déborah Lukumuena, Daphné Patakia, Sabrina Ouazzani… C’est son deuxième long métrage, il sort en janvier. Là, je suis en train de tourner un film qui s’appelle La Maison des femmes de Mélissa Godet. Un premier film sur la maison des femmes de Saint-Denis, qui s’occupe des femmes violées, battues ou excisées.
Vous aimeriez passer de l’autre côté de la caméra et réaliser un film ?
Oulaya Amamra : Oui, j’aimerais bien, j’y pense de plus en plus. Je vais d’abord commencer par écrire, et on va voir ce que ça donne !
Animale, en salles le 27 novembre 2024.