Parabole d’un anticonformiste
L’idée de l’évasion ou d’une fuite en avant dont la destination n’est autre que la liberté, imprègne le cinéma de Mohamed Ben Attia depuis Hedi, un vent de liberté (2016) puis Mon cher enfant (2018). Avec ce troisième film, Par-delà les montagnes, comme dernière partie d’un triptyque suivant cette même trajectoire, le réalisateur tunisien retrouve Madj Mastoura dans un rôle d’antihéros imprévisible pour une étrange proposition où le cinéma se fait l’art de pouvoir croire en l’impossible. De nouveau, il commence par ancrer son récit dans le réalisme sociale d’une société tunisienne contemporaine post-révolution. Rafik, un homme plutôt ordinaire, vandalise son lieu de travail sur un coup de tête, saccageant ce symbole conventionnel avant de sauter par la fenêtre. Après une ellipse de quatre ans en prison, Rafik rend visite à ses beaux-parents pour récupérer femme et enfant afin de leur montrer sa vérité irrationnelle : il peut voler. Comme animé par une forme de folie inexpliquée, il kidnappe son jeune fils et l’emmène en montagne lui dévoiler le don dont il a hérité. Le fantastique s’immisce ainsi, puisque le cinéma autorise les croyances et miracles, par ce réalisme magique proche de celui de La Lune de Jupiter de l’Hongrois Kornél Mundruczó où un migrant se découvrait une capacité de lévitation. Témoin de son envol et de sa chute, un jeune berger le soigne avant de le suivre comme s’il voyait en lui un nouveau prophète les guidant par-delà les montagnes. Le film s’échappe aussi des genres dans lesquels il pourrait être enfermé. On quitte les paysages extérieurs pour plonger à l’intérieur de la maison d’une famille de classe moyenne. Toujours poussé par ce dont il est convaincu et quitte à être considéré comme un terroriste, puisqu’il se place en marge du bon déroulement de la société, le protagoniste va prendre cette famille en otage. Le malaise s’installe plus profondément dans le huis clos et la violence humaine enfouie se révéle là où on ne l’attend pas dans une ambiance à la Funny Games. Une séquestration sous tension dont la détresse semble indiquer le désespoir politique et social du pays avant de se muer en parabole stupéfiante d’un anticonformiste dont l’envol poétique ouvre des mondes possibles pour les futures générations.
Écrit et réalisé par Mohammed Ben Attia. Avec Madj Mastoura, Walid Bouchhioua, Samer Bisharat, Selma Zeghidi… Durée : 1h38 – Kinovista – En salles le 10 avril 2024.