Tempête scolaire
Un lycée de périphérie urbaine de nos jours. Julien, fougueux et enthousiaste professeur de littérature se passionne pour son métier. Face à une classe qui, avec la belle richesse de sa diversité, incarne le message universaliste de notre société, il enseigne Ronsard et autres poètes, soulignant le modernisme et le double langage propre aux auteurs d’autrefois. Mais lors d’un cours sur la flatterie, il a recours à un exemple qui tombe mal. L’une de ses élèves, incluse malgré elle dans l’explication de texte, jeune fille timide et ombrageuse, prend au pied de la lettre les mots de l’enseignant et dépose plainte contre lui pour harcèlement. Le frère de cette dernière, réagit au quart de tour et menace Julien. Face à cela le corps enseignant se divise avant de se déliter. Désemparé, Julien ne sait comment affronter cette vague déferlante qui s’abat sur lui. On pourrait craindre face à ce résumé une version contemporaine des Risques du métier d’André Cayatte, fiction brûlot qui, en 1967, plaçait son héros Jacques Brel dans une situation similaire. Si le film a vieilli, le sujet est toujours d’actualité. Audrey Diwan (L’Évènement) et Teddy Lussi-Modeste s’en emparent à travers une écriture scénaristique d’une belle intensité sociétale. Leur but n’est pas de dénoncer mais au contraire de tenter de comprendre comment on en arrive là. Alors oui bien sûr, si l’apparente pusillanimité de l’éducation nationale est pointée du doigt, le film est lucide, inquiet, mais jamais inquisiteur. Il embrasse la complexité de ce tragique sujet en prenant une distance trop souvent délaissée par les journalistes. Et les auteurs se posent les questions trop souvent mises de côté. Les trois personnages centraux, le prof, la lycéenne et son frère ne sont que les sommes comportementales induites par le monde dans lequel nous évoluons. La jeune fille voit son espace vital réduit par le patriarcat qui sévit au cœur de sa famille. Son aîné surjoue les protecteurs virils et toxiques, registre que lui impose le repliement culturel et cultuel dans lequel il a été élevé. Quant à Julien, il sait que révéler son homosexualité dans ce contexte ne servirait à rien et raviverait au contraire les amalgames qu’il a déjà subis. Ce refus de juger, cette manière de reconsidérer le drame latent (et en partie autobiographique) redistribue les responsabilités. La mise en scène de l’auteur de Jimmy Rivière du Prix à payer cisèle son récit mais ne tranche jamais. Sa nervosité fait écho à celle de son héros, fait ressentir son isolement, son désarroi et le soutient dans son humanisme et son implication sociale. Un pas de deux entre scénario et réalisation dans lequel François Civil, décidément l’un de nos meilleurs comédiens, trouve sa place avec sa candeur et sa juvénilité. Un corps qui s’espérait émancipé, mais qui se retrouve à nouveau claquemuré dans un silence imposé dont il espérait être débarrassé : le fameux “Pas de vagues“ du titre de ce film remarquable.
Par Teddy Lussi-Modeste avec François Civil, Shaïn Boumedine. Ad Vitam. 1h32. En salles le 27 mars