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Passages d’Ira Sachs

par | 28 Juin 2023 | CINEMA, z - 2eme carre gauche

Cul-de-sac

Quatre ans après Frankie, tourné dans les jardins de Sintra au Portugal, Ira Sachs reste en Europe, mais revient en ville. Passages est tourné à Paris, capitale dans laquelle Tomas, réalisateur, et Martin, illustrateur, se sont installés. Une vie commune, dans un joli appartement avec canapé rose, la même couleur que le pull qu’Agathe portait le soir où elle a rencontré Tomas. Cette nuit-là, ils ont fait l’amour dans le lit d’Agathe, laissant Martin seul dans le sien. Le début d’une romance ? La fin d’une autre ? Minute après minute, Ira Sachs enrichit la situation initiale, la bordant de flottements et de tourments, la faisant sciemment bégayer. C’est moins le motif du triangle amoureux qui intéresse le réalisateur que celui de l’emprise, notamment dans les relations de couple, homo ou hétéro. A travers le personnage de Tomas, Sachs fait le portrait d’un artiste égoïste et obsessionnel qui dispose des corps et des décors (les appartements de Martin et Agathe) quand il le souhaite, tant qu’on lui cède. Ses désirs sont des ordres, ses manières sont rustres et crues. Franz Rogowski (Ondine, Disco Boy) parvient à rendre (parfois) sincère et touchant ce jeune homme vorace dont on découvre, dès la séquence d’ouverture, le côté obscur – son despotisme sur un plateau de cinéma. Un loup déguisé en mouton (son manteau lui en donne l’allure). Sachs déplace en permanence le centre de gravité du film et signe un drame rugueux, cruel et captivant qui revêt des apparences simples pour décrire des états complexes et confus. Plus les intrigues se nouent, plus le vertige s’installe, et plus on se prend d’empathie pour les personnages d’Agathe et Martin, joués avec brio par Adèle Exarchopoulos et Ben Whishaw – Sachs leur offre une séquence de face à face bouleversante dans le dernier quart d’heure. Passages est peut-être le plus beau (superbe photo de Josée Deshaie) et le plus âpre des films d’Ira Sachs, fin observateur des relations, familiales ou amoureuses, mises à l’épreuve du temps, dimension que le personnage de Tomas essaie jusqu’au bout de compresser. Des lignes claires, des plans serrés, et puis le flou. Splendide.

Réalisé par Ira Sachs. Avec Franz Rogowski, Adèle Exarchopoulos, Ben Whishaw … Durée : 1H30. Paname Distribution – En salles le 28 juin 2023.

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