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Pauline Loquès (Nino) : « Théodore Pellerin est un des plus grands acteurs du monde »

par | 17 Sep 2025 | Interview, z - 2eme carre gauche

Dans Nino, son premier long métrage, Pauline Loquès chronique l’errance d’un jeune homme – incarné par le merveilleux Théodore Pellerin – après l’annonce par une médecin de son cancer. Un parcours dans Paris, de l’ombre à la lumière. Rencontre avec la réalisatrice.

Quel a été le point de départ de ce scénario ? 

Pauline Loquès : Tout est parti d’une histoire personnelle. Il y a quelques années, j’ai perdu un jeune homme de ma famille d’un cancer. J’ai évidemment été très marquée par sa disparition et j’étais fâchée contre la vie, contre la maladie. J’ai d’abord écrit pour essayer d’apaiser ma tristesse et puis, au fur et à mesure, ça a pris la forme d’une recherche, d’une quête. Je me suis demandée si, finalement, ça pouvait être une opportunité pour un jeune homme de se sauver ou de se réinventer. Donc, j’y suis allée un peu comme on affronte un défi, pour savoir si la maladie pouvait apporter quelque chose dans la vie d’un jeune homme. C’est comme ça que ça a commencé à devenir un film dans ma tête.

En effet, le personnage de Nino est comme bloqué dans sa vie et on a le sentiment que pendant ces 3 jours avant le début de son traitement, tout va se révéler à lui… 

Pauline Loquès : Oui, Nino se met en mouvement, doucement. J’avais l’impression qu’il était un peu anesthésié, que si on le pince, il ne ressent pas grand chose. C’est comme si l’énergie ne circulait pas dans son corps, ni dans sa tête d’ailleurs. Ce n’est pas un blocage social ni un blocage professionnel, ni même un blocage amoureux, mais il y a quelque chose qui n’est plus très vivant chez lui. Est-ce qu’une grande montée d’adrénaline comme celle-là peut réveiller des petites choses qui vont finalement faire bifurquer sa vie ? C’est la question que je me suis posée en abordant ce personnage qui évolue, un pas après l’autre. 

Nino sent qu’il ne va pas très bien, il consulte car il a un peu mal à la gorge et pense faire un burn-out.  La santé mentale chez les jeunes est un sujet que vous vouliez aborder ? 

Pauline Loquès : Nino a un petit coup de fatigue, c’est vrai. Dès le départ, on a l’impression qu’il est isolé, qu’il n’est pas allé au travail depuis un petit moment, qu’il ne trouve pas vraiment de sens à sa vie. C’est quelque chose de générationnel. Une quête de sens, qui n’est pas forcément de la dépression, mais une sorte de vague à l’âme, de petite léthargie qui, dans le cas de Nino, le pousse à demander un arrêt de travail et à faire des examens approfondis, pour trouver des réponses à ses questions.

Aviez-vous en tête des références littéraires ou cinématographiques pour guider l’écriture de ce personnage ? 

Pauline Loquès : Pendant écrire le film, j’avais en tête La Guerre est déclarée de Valérie Donzelli, dans l’idée de faire un film lumineux sur le cancer. Ça m’avait beaucoup marqué à l’époque. Pour le personnage de Nino, j’ai été assez inspirée par le héros de Oslo, 31 août de Joachim Trier, même si la trajectoire du personnage chez Trier est beaucoup plus tragique. Ce que je recherchais, c’est une forme d’empathie immédiate pour un personnage, comme celle que j’avais ressentie vis-à-vis du personnage d’Oslo 31, qu’on suit également tout le long du film et à qui j’avais tout le temps envie de dire “Tu vas t’en sortir”, même s’il est à bout de souffle. Je voulais retrouver cet aspect et accompagner Nino à chaque seconde de son parcours intérieur. Donc, ça m’a guidé pour écrire ce personnage introspectif, pour qu’il ne lasse pas à l’écran et que l’on regarde avec attention et amour.

Pendant l’écriture, j’avais en tête La Guerre est déclarée de Valérie Donzelli, dans l’idée de faire un film lumineux sur le cancer.

Pourquoi avez-vous opté pour narration sur un temps court, sur trois jours ? 

Pauline Loquès : J’avais déjà fait un court métrage sur trois jours, sur un enterrement de vie de jeune fille (La vie de jeune fille, ndlr). Ce temps court est un aveu d’incompétence (rires) ! Je ne sais pas faire autre chose, je ne sais pas construire un récit long pour l’instant… Ça m’intimide, j’ai l’impression que je vais choisir les événements moi-même et qu’ils vont être fabriqués. Ici, on suit Nino de l’annonce du diagnostic jusqu’au premier jour de son traitement à l’hôpital, du vendredi au lundi. Comme le film est une chronique, la capsule temporelle crée une contrainte et donc de la tension. J’aime ce rapport au quotidien au cinéma en général et donc ça m’a semblé naturel d’épouser le quotidien de Nino durant ses trois jours et de montrer que ce temps, qu’on croit mort, est en fait un temps plein de remous, de surprises et de vie.

Vous vouliez apporter du romanesque dans ce quotidien ?

Pauline Loquès : Oui, ou plutôt, je voulais qu’on se rende compte que le quotidien est romanesque. Nino a perdu ses clés d’appartement et il va passer trois jours dehors, dans Paris. Au même titre que Nino, Paris est en construction et en reconstruction permanentes. Il y a des travaux partout dans les rues et, pour moi, ce sont des scènes du quotidien qui ont une dimension cinématographique évidente. Le défi était de faire en sorte que le scénario ne soit pas trop artificiel, trouver la bonne distance pour ressentir les choses le plus justement possible.

Le film a parfois un côté documentaire. Le cadre est serré, la caméra bouge souvent… Comment avez-vous travaillez ces aspects-là ? 

Pauline Loquès : Le film commence par une première scène en prise directe, sur Nino. Je voulais que le spectateur soit tout de suite en immersion avec lui, sans savoir qui il est ou d’où il vient. Il y a un côté un peu abrupt, j’en conviens, mais ça me plaisait d’y aller franco et de suivre le mouvement, un peu à la manière d’un documentaire en effet. Le film se joue au présent. Et dans la vie, nous ne sommes pas toujours la même personne le lundi que le samedi. C’est le moment qui nous fait être si je puis dire. Entre le moment où Nino apprend qu’il a un cancer et le moment où il doit le dire à ses proches, il a déjà évolué, il n’est plus complètement le même.

Je voulais que le spectateur soit tout de suite en immersion avec lui, sans savoir qui il est ou d’où il vient.

C’est un film de personnages et de dialogues et, en même temps, on a le sentiment que la communication n’est pas le fort de Nino. Il butte sur les mots. Ils ne sortent pas. 

Pauline Loquès : Je crois qu’il se surprend à ne pas réussir à les dire. Puis dire les mots, c’est faire exister totalement la maladie. Non pas qu’il la fuit, mais verbaliser son cas revient à tout rendre réel et grave. Le film raconte essentiellement comment, dans un cas comme celui-ci, on se connecte aux gens. Aujourd’hui, j’ai l’impression que ça passe beaucoup par la parole. On parle, beaucoup, au téléphone, dans des cafés, dans les transports en communs. Mais en fait, il y a peut-être d’autres façons que celle-ci de communiquer. Ça peut passer par le toucher, par le regard. On peut, je crois, se parler même quand on est silencieux. Ce n’est pas le fait de parler aux autres qui va le plus aider Nino, c’est la proximité soudaine avec les gens qui le réconforte, avec sa mère (Jeanne Balibar, Ndlr), qui lui caresse les cheveux dans un lit, avec Zoé (Salomé Dewaels, Ndlr), une ancienne copine de lycée, qui a des yeux très expressifs et un regard très profond qui lui donne l’impression d’être vivant…

Il y a une autre thématique en filigrane dans votre film, c’est la paternité et la filiation…

Pauline Loquès : Je ne m’en suis pas rendue compte tout de suite à l’écriture. En fait, c’était Théodore lui-même qui m’a dit pendant la préparation qu’il avait l’impression que c’était aussi un film sur la parentalité. Et effectivement, l’annonce du cancer se double pour Nino d’une autre réalité, celle de sa possible paternité mise à mal par la maladie. Pendant ces trois jours, il doit remplir un petit pot de sperme et le remettre aux médecins pour le conserver aux cas-où, mais comment faire pour jouir quand on vous apprend que vous avez un cancer ? On ne parle pas souvent de cette question d’horloge biologique pour les garçons et, là, la situation le met face à ça. Puis, Nino a perdu son père quand il était plus jeune et durant ces quelques jours, il va beaucoup repenser à lui.

Ce n’est pas si commun d’interroger ces choses-là…

Pauline Loquès : Oui, ça m’amusait, cette forme de prise de conscience qui tombe sur un jeune homme qui ne s’est jamais vraiment posé la question de sa paternité potentielle, s’il voulait des enfants ou pas. Et qu’on lui dise que s’il en veut, c’est maintenant ou jamais, ça crée une étincelle. Ça renvoie à l’horloge biologique pour les femmes qui fait beaucoup plus partie de leur réalité. Nino est traversé par tous ces questionnements-là. Il ne se sent pas prêt à être père et, en même temps, quand on le voit avec l’enfant de Zoé, il a une révélation. Nino, c’est aussi le passage de l’adolescence à l’âge adulte.

Est-ce que vous pouvez nous dire quelques mots sur cette scène aux bains publics avec Mathieu Amalric, sorte d’apparition magique ?

Pauline Loquès : J’aime beaucoup cette scène aussi. À l’écriture, je recherchais un personnage qui serait capable de redonner un petit souffle de vie à Nino et aussi de la magie au film. Je voulais montrer que la vie a un peu le sens que tu veux bien lui donner, qu’elle peut aussi être fantasque. Ce personnage montre à Nino une photo de sa femme et la photo est en fait une photo de Romy Schneider. Nino est un personnage qui n’a pas beaucoup d’imagination, alors quand le personnage que joue Mathieu déboule, c’est comme s’il invitait Nino à rêver et à ouvrir son imaginaire en grand. Il se trouve que ma chef opératrice (Lucie Baudinaud, Ndlr) avait bossé avec Amalric sur Barbara. Elle lui a demandé si ça lui disait de faire une apparition dans Nino. Il a lu les deux scènes et m’a laissé un message vocal en me disant «  Je n’ai pas lu le reste. Mais je viens, ça me fait trop marrer Romy Schneider ». Il ne voulait pas lire le scénario car son personnage n’est pas censé savoir ce qui arrive à Nino. C’est une rencontre, au hasard. Je dois dire que Mathieu Amalric fait partie des gens qui m’ont donné envie de faire du cinéma.

Qu’est ce qui vous a plu chez Théodore Pellerin, qui incarne Nino ? 

Pauline Loquès : À vrai dire, je ne le connaissais pas du tout. Ma directrice de casting (Youna de Peretti, Ndrl) m’a demandé de regarder ce qu’il faisait. J’ai immédiatement été fascinée par son charisme et sa présence, mais j’avais des doutes, car c’est un rôle très intérieur, tout l’inverse d’une performance. Mais dès que j’ai rencontré Théodore, j’ai su que c’était lui et pas un autre. C’était comme une évidence fulgurante. Il avait une espèce de vulnérabilité très assumée qui m’a touchée, et ce physique majestueux… C’est un génie du jeu. Un des plus grands acteurs du monde. Il peut tout faire ! C’est un bosseur acharné et c’est fascinant de le regarder évoluer. Comme tous les autres acteurs du film d’ailleurs. Je voulais m’entourer de gens talentueux, mais aussi de gens gentils.  William Lebghil, qui joue le meilleur ami de Nino, est quelqu’un de très tendre et je crois qu’on ne voit pas assez cet aspect là de lui au cinéma. Chez Théodore, je voyais une pureté et j’avais envie que tout le monde puisse la remarquer aussi.

Dès que j’ai rencontré Théodore, j’ai su que c’était lui et pas un autre. 

Vous avez travaillé en majorité avec de femmes aux différents postes techniques, est-ce que c’était une volonté de votre part ? 

Pauline Loquès : Ce n’était pas une volonté affichée, mais ce scénario a “appelé” beaucoup de femmes. Celles qui parlaient le mieux du scénario, c’étaient des femmes. Je les ai choisies parce que c’était les meilleures à mes yeux. Donc, en effet, ça a donné une équipe majoritairement féminine, une chef-opératrice, une monteuse, une productrice, une directrice de casting… Mais il y avait aussi des hommes merveilleux sur le film. Je ne suis pas exclusive ! C’était avant tout une équipe de personnes compétentes, bienveillantes et gentilles, ça compte beaucoup pour moi.  

Nino de Pauline Loquès. En salles le 17 septembre 2025.

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