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Peter von Kant de François Ozon

par | 7 Juil 2022 | CINEMA, z - 2eme carre gauche

Les larmes de Rainer Werner Fassbinder

Un film en chassant un autre chez François Ozon, ce 21e long métrage délaisse l’aspect naturaliste presque documentaire fictionnalisé au cœur de la mise en scène de Tout s’est bien passé pour un retour à la substantifique moelle des motifs d’une partie son cinéma. Celle où s’opère le mélange des genres. La transformation de Petra en Peter s’inscrit inéluctablement dans l’infusion de l’œuvre de R.W. Fassbinder à travers les films de François Ozon depuis les prémisses. Plus concrètement, il lui rend hommage par trois fois. Et ce dès son troisième long métrage qui n’est autre que l’adaptation de la première pièce de jeunesse du réalisateur allemand, Gouttes d’eau sur pierres brûlantes (2000), huis clos théâtral et pervers adoptant les codes fassbinderiens imprégnés d’œuvres plus tardives comme L’Année des 13 lunes ou Berlin Alexandersplatz. 

En 2007, le réalisateur réalise pour les bonus d’un coffret DVD consacré à Douglas Sirk, un étrange objet filmique, peu connu mais accessible sur internet, retraçant un parallèle entre le mélodrame initial, Tout ce que le ciel permet de Sirk et son faux-remake Tous les autres s’appellent Ali de Fassbinder. En près de trente minutes, ce « film-mix », intitulé Quand la peur dévore l’âme du nom original du film allemand « Peur dévorer âme » narre une troisième histoire. De cette approche ludique d’un jeu des 7 différences, Ozon fait la démonstration d’un film n’étant pas un remake, mais une œuvre « contaminée » dont il ressort quelque chose de personnel chez Fassbinder. Une démarche qu’il va appliquer à sa variation des Larmes amères de Petra von Kant, immense pièce et film du cinéaste adulé avec lequel il partage le goût des références cinématographiques variées, une certaine liberté totale dans le travail, l’art de la distanciation et la frénésie d’enchainements des projets.  

Son regard au générique d’ouverture indique le véritable hommage. Si le déroulé narratif légèrement réduit, moins littéraire, et ses dialogues retracent le film original à la limite du fan-service, il évite constamment le piège de l’exercice de style. Ici, la métamorphose de Petra en Peter, de la créatrice de mode au réalisateur, annonce intrinsèquement la véritable thématique de Peter von Kant : l’amour passionnel voué à Fassbinder et d’une manière plus générale, au cinéma. Denis Ménochet incarne intensément ce personnage éponyme dans un jeu de ressemblance troublant. Ce réalisateur célèbre, vit donc dans son appartement avec son assistant Karl, aussi mutique que la Marlène de Petra, aussi esclave des folies de son employeur. Stefan Crepon adopte à la perfection ce jeu silencieux particulier dans lequel les approbations et protestations se jouent uniquement dans les expressions des yeux et du corps. Le retour de la grande actrice Sidonie (Isabelle Adjani, toujours au sommet) bouleverse le quotidien du duo, par l’introduction de l’élément perturbateur, un jeune homme Amir révélant Khalil Gharbia dans l’incarnation des différents amants-muses de Fassbinder (Günther Kaufmann et Hedi Ben Salem). Le personnage Peter von Kant va s’éprendre de lui, lui ouvrant les portes du cinéma pour en faire son acteur. Enfermés dans cette « souricière de l’amour » à la Belle du seigneur, le jeu cruel de dépendance affective s’installe tandis que le désir d’échappatoire anime Amir.

L’appartement devient le réceptacle des souffrances diffuses dans les larmes et dans la sueur de Peter, de l’homme et du cinéaste renvoyé à sa propre destruction par les nombreux miroirs qui composent le décor. Dès lors, la virtuosité de la mise en scène d’Ozon place dans une jouissance perverse l’observation de la déchéance du protagoniste tout en posant ce regard amoureux sur ces personnages détestables et touchants malgré leurs tares. Le cinéaste pousse à la perfection le grotesque et le kitsch théâtral dans cette transposition hantée par son maître. Peu à peu, la distanciation méta de la caméra dans le film permet le craquèlement de l’émotion derrière l’aspect drama-queen grandiloquent. Viennent alors les larmes du créateur, celles de R.W. Fassbinder. 

Réalisé et écrit par François Ozon, d’après Les Larmes amères de Petra von Kant de R.W. Fassbinder avec Denis Ménochet, Isabelle Adjani, Khalil Gharbia, Hanna Schygulla , Stefan Crépon…France – 1h25 – En salles le 6 juillet 2022 – Foz/Diaphana Distribution.  

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