La Belle et la meute est un film brut et fort sur le parcours d’une combattante (lire notre critique ici : “Les cercles de l’Enfer”). Des choix de mise en scène à la réception du film en Tunisie, en passant par l’affaire Weinstein, Kaouther Ben Hania, réalisatrice du film s’est confiée à FrenchMania en compagnie de sa comédienne principale, Mariam Al Ferjani.
“Avec cette affaire on a la démonstration parfaite que ces mécanismes des hommes de pouvoir, qu’ils soient flics de quartier en Tunisie ou grand producteur d’Hollywood, sont toujours les mêmes.” – Kaouther Ben Hania
Kaouther, comment est venue l’envie de traiter de ce parcours du combattant d’une femme après que des policiers l’ont violée ?
Kaouther Ben Hania : C’est parti d’une histoire vraie qui avait secoué la Tunisie en 2012, un an après la révolution. Cela a été une affaire très médiatisée que j’ai suivie de près. J’étais vraiment frappée par le courage de cette fille et je me suis dit : « Voilà une héroïne contemporaine, elle mériterait un film : ». C’est resté un moment dans ma tête, ça me travaillait alors j’ai commencé à écrire. J’ai pris beaucoup de liberté par rapport à l’histoire pour la faire mienne, la structurer comme j’avais envie de la montrer.
Et comment vous êtes-vous trouvées toutes les deux pour que Mariam Al Ferjani incarne ce rôle ?
K.B.H. : Je cherchais une comédienne pour le rôle principal en sachant pertinemment que c’était un rôle très très difficile, parce que le personnage ici fait le film. A un moment j’ai vu le photo de Mariam sur Facebook et je trouvais qu’elle dégageait ce que je cherchais pour le rôle, j’ai découvert qu’elle avait joué dans un court métrage, je l’ai contactée. Je lui ai demandé de m’envoyer des essais, ensuite on s’est rencontré et beaucoup parlé.
Mariam Al Ferjani : Au début, j’ai lu le scénario et je me suis rendue compte de la difficulté, on a tout le temps la caméra avec soi. C’est presque tout le temps le personnage qui guide la caméra. On a beaucoup dialogué pour la construire, je faisais des propositions, Kaouther me disait « oui, non, peut-être ».
K.B.H. : Le tournage était court vu les partis pris esthétiques du film (de longs plans séquences, Ndlr), c’était un mois. Mais ce qui était long c’était la préparation pour mettre en place
M.A.F. : Les répétitions surtout ! Les répétitions étaient très longues, nombreuses aussi. Le film ne laissait pas d’espace à l’improvisation et tout devait vraiment être bien préparé à l’avance, surtout dans les scènes avec plusieurs comédiens. Quand je rentrais, je dormais, je n’avais plus le temps de penser à quoi que ce soit d’autre.
Et justement, pourquoi ce choix des plans séquences pour raconter cette histoire ?
K.B.H. : Ce n’est presque pas une volonté ! C’est l’histoire qui m’a suggéré ça, elle m’a dit qu’elle voulait être filmée comme ça ! Au départ, on se questionne sur ce qu’on veut raconter de cette histoire, sur ce qui nous intéresse. Quand on a les réponses à ces questions-là, la forme peut prendre forme si j’ose dire. Le plan séquence, il nous plonge dans le moment, on est vraiment avec elle et c’est ce que j’avais envie de faire. Cette nuit m’intéressait alors que l’affaire a duré longtemps et que j’aurais aussi pu choisir le procès au cours duquel le jeune femme a eu gain de cause et les policiers ont écopé chacun de 15 ans de prison. Mais ce qui m’intéressait c’est l’après-viol et comment on va porter plainte, cette démarche-là ! Je me suis dit « Qu’est-ce que j’ai ? », il y a des lieux qui ne sont pas des châteaux, ce sont des corridors, des bureaux … Comment être avec elle et rendre ce côté à la fois labyrinthique et kafkaïen ? Comment intégrer l’ellipse dans le récit ? En choisissant certains fragments sur ces 12 heures que dure cette nuit, en invitant le spectateur à penser aux autres moments, ceux que l’on ne montre pas. J’aime beaucoup les films d’horreur et je pense que parfois l’horreur peut être très réelle. J’avais envie d’explorer cette piste-là en empruntant quelques codes aux films de genre pour souligner cette émotion et les sensations.
Le film sort bientôt en Tunisie ?
K.B.H. : Oui le 12 novembre !
M.A.F. : C’est un film polémique, forcément ! Je ne pense pas que les gens vont rejeter le film, ils vont surtout en parler. J’ai plus peur de la réaction des policiers, ils sont impliqués et leur égo est mis en cause.
K.B.H. : C’est toujours un débat qu’on a dans la société tunisienne depuis la révolution. L’institution policière en Tunisie était très forte, une sorte de bras droit de la dictature. Sa remise en question est un travail permanent que ce soit au Parlement, dans les médias, sur les réseaux sociaux, … Je n’arrive pas sur un terrain vierge, le débat est très vif en Tunisie sur comment on peut construire une police républicaine au service des citoyens … Le film est donc très attendu, ça sera une belle sortie.
M.A.F. : Et la sélection à Cannes (à Un Certain Regard, Ndlr) l’a rendu encore plus “attendu” !
Et puis l’actualité avec cette affaire Weinstein …
K.B.H. : J’espère que c’est le début de quelque chose. Il y a eu déjà des prises de parole au moment de l’affaire DSK… Quand j’écris j’essaie toujours de penser au monde entier car si on me cantonne dans la « niche » film arabe, tunisien, de société musulmane, de femme, je ne supporterais pas. Avec cette affaire, on a la démonstration parfaite que ces mécanismes des hommes de pouvoir, qu’ils soient flics de quartier en Tunisie ou grand producteur d’Hollywood, sont toujours les mêmes. Le chantage à la honte, les menaces sont les mêmes partout. Si la parole se libère, cela ne peut être qu’une bonne chose.
Propos recueillis par Franck Finance-Madureira
Photos : Mariam Al Ferjani dans “La Belle et la meute” – Jour2Fête / Portrait de Kaouther Ben Hania : ©-Abdel-Belhadi.