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Rétrospective Louis Malle : Le maître et l’apprenti

par | 9 Nov 2022 | CINEMA, z - 1er carre droite

Découvrir ou redécouvrir la filmographie de Louis Malle, c’est faire l’expérience du paradoxe, du surprenant, du contradictoire. Six parmi ses premiers films sont présentés dans les salles de cinéma à partir du 9 novembre. Six films qui sont une constante recherche de forme et de sens, se contredisant les uns les autres et pourtant construisant une œuvre toujours au sommet. Louis Malle est à la fois le maître et l’apprenti du 7ème art.

Par Mathieu Guetta

Né très grand bourgeois, héritier des usines de sucre Béghin-Say, il est animé d’une profonde révolte lorsque, tout jeune, il se lance à pleine vitesse dans la carrière de cinéaste. Il reçoit pour cela une gifle de sa mère mais n’en est pas dissuadé, au contraire cela « m’a enfoncé dans ma décision, écrit-il dans son livre biographique “Louis Malle par Louis Malle” (éd. de l’Athanor, 1979). J’en ai fait un défi, une provocation, et peu à peu une idée fixe ». L’homme est encore un enfant, à peine 23 ans, lorsqu’il reçoit une Palme d’or et l’Oscar du meilleur film documentaire comme coréalisateur du Commandant Cousteau, le propulsant du Monde du silence (1956) au monde du 7ème art. Comment un simple étudiant de l’IDHEC s’était-il retrouvé dans cette aventure ? Savait-il mieux que ses camardes manier les caméras qui avaient toujours été présentes lors son enfance privilégiée ? Ou était-il tellement turbulent que le directeur Marcel L’Herbier souhaitait s’en débarrasser ? Oui et non, répondra-t-il peu de temps avant sa mort précoce en 1995 : « J’étais le seul de l’école à savoir nager ». Ainsi le grand bourgeois se retrouve mousse du commandant et découvre la vie au long cours. Brièvement assistant de Bresson, il le quitte en lui avouant qu’il souhaiterait être à sa place et s’entend répondre : « Je vous comprends je n’ai, moi-même, jamais été assistant ».

C’est ainsi qu’en 1957, le pied au plancher, il attaque un virage et réalise son premier film. Adapté d’un polar, Ascenseur pour l’échafaud dépoussière d’un coup tout le cinéma français, deux ans avant La Nouvelle Vague, François Truffaut et ses Quatre cents coups ! Au son de la trompette de Miles Davis, Jeanne Moreau erre la nuit à la recherche de son amant, sans maquillage, éclairée par les vitrines des magasins et filmée à la pellicule Tri-X. Les techniciens du laboratoire se révoltent : il faut empêcher Henri Decae, le chef-opérateur et Louis Malle de détruire l’actrice. « Ils étaient horrifiés, confie le réalisateur à son biographe, Philip French. Mais quand Ascenseur pour l’échafaud est sorti, les qualités intrinsèques de Jeanne Moreau sont apparues : elle pouvait être presque laide et puis, dix secondes après, elle tournait la tête et devenait d’une incroyable beauté. Ça s’est confirmé avec Les Amants, que j’ai tourné tout de suite après ». Ces deux premiers films sont des succès, aussi bien critiques que populaires. Ascenseur pour l’échafaud reçoit le Prix Louis Delluc et Les Amants, grâce à son côté sulfureux, tourne dans le monde entier. « Mon intention n’était pas de faire un film qu’on trouverait érotique et scandaleux, confie-t-il toujours à propos des Amants. C’est pourtant ce qui s’est produit car il était indispensable de comprendre comment cette femme découvrait, en une seule nuit, des choses dont elle ne supposait même pas l’existence : le côté physique de l’amour, le sexe ».

La première partie de la rétrospective Louis Malle saute quelques films pour aller directement en 1963, à ce qui est peut-être son film charnière, celui où il déclare avoir trouvé son style et être devenu vraiment un directeur d’acteurs : Le Feu follet. S’inspirant de la personnalité suicidaire d’un ami et adaptant le livre de Drieu la Rochelle, il construit tout son film autour de Maurice Ronet qu’il va contraindre sans cesse, d’abord en le faisant perdre vingt kilos. « Je me bagarrais tout le temps avec lui pour qu’il durcisse son jeu, dira Louis Malle. C’était la première fois que j’étais vraiment en mesure de diriger un acteur. Je savais désormais comment m’y prendre. Il m’a fallu quatre films pour chercher, trouver, apprendre ».

Il a appris une certaine maîtrise et a trouvé son style mais il va en prendre le contrepied et partir, avec Jean-Claude Carrière pour le Mexique, faire en 1965, un film d’aventure et de révolution rythmées des strip-teases de Brigitte Bardot et Jeanne Moreau. Viva Maria est un film détonnant et vivant, une sorte de Zazie (le livre de Queneau qu’il a adapté en 1960) sous les tropiques et à gros budget. Deux ans après c’est à nouveau une bombe contre l’ordre bourgeois qui est lancé avec le film Le Voleur mais changement de décors et de style. C’est aussi le dernier de ses films qui est une adaptation littéraire. Toujours dans ses « Conversations avec Philip French (ed. Denoël, 1993) », il raconte avoir une tendresse particulière pour ce film magnifiquement interprété par Jean-Paul Belmondo : « Je ne pouvais m’empêcher de comparer Randal le voleur avec Malle le cinéaste. Nous venions tous les deux d’un milieu aisé, conventionnel, nous avions rompu avec lui par la révolte, la colère et le désir de se venger. De tous mes films c’est le plus somptueux ». Il sort en même temps que La Chinoise de Jean-Luc Godard. Louis Malle, le gentleman provocateur, entretient plus que jamais ce paradoxe qui en fait, à la fois un compagnon de La Nouvelle Vague, et un cinéaste en dehors de tout courant, bande ou meute. Un loup solitaire qui ne mettra pas moins de vingt ans à mûrir son film le plus fragile dans ce qu’il a de sincère : Le Souffle au cœur (1971) qui a, écrit-il, « des allures de premier film, avec son côté autobiographique, nourri de personnages, de situations, de dialogues de mon adolescence ». L’écriture y est différente des autres films, épurée, simple mais aussi plus charnelle. Le souffle au cœur ouvre une nouvelle période pour Louis Malle qui n’aura eu cesse de chercher son style, de construire une œuvre à postériori cohérente mais, aux premiers abords, si hétérogène. « Je ne crois pas que c’est en tournant toujours le même film, en enfonçant constamment le même clou, mais au contraire en étant très aventureux, très curieux du monde extérieur, qu’on peut découvrir ce qui, en fin de compte, vous concerne vraiment ». Le paradoxe Louis Malle est celui d’un maître du 7ème art constamment en situation d’apprenti et qui va chercher, partout autour de lui, sa vérité la plus profonde et intime.

RÉTROSPECTIVE LOUIS MALLE, GENTLEMAN PROVOCATEUR, PARTIE 1 (Malavida)
Ascenseur pour l’échafaud, Les Amants, Le Feu follet, Viva Maria, Le Voleur, Le Souffle au cœur
Dans 40 salles en France, notamment dans les trois cinémas de la rue Champollion (75005) qui sera temporairement rebaptisée rue Louis Malle.

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