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Rewind and play de Alain Gomis

par | 14 Jan 2023 | CINEMA, z - 2eme carre droite

Une certaine idée d’un enfer médiatique

Étrange et fascinant objet filmique ce nouveau métrage du cinéaste Alain Gomis ! Rewind and play se compose et se recompose par un montage d’images rares, des archives de l’INA, retrouvées alors que le réalisateur se documentait sur le grand pianiste de jazz, Thelonious Monk avec pour dessein orignal de réaliser une fiction. Ces rushes montrent les coulisses de l’émission française télévisée « Jazz Portrait » enregistrée en 1969 lors d’un passage à Paris de l’artiste américain. Ce portrait présenté par le pianiste Henri Renaud, grand amateur de sa musique, est bien connu des aficionados de Monk et pourtant… Ce sont ici d’autres images, bien plus gênantes qui apparaissent sous nos yeux interloqués. Alain Gomis conserve la trame narrative : l’arrivée à l’aéroport de Monk et de son épouse Nelly, le passage dans un bistrot typique et enfin le tournage sur le plateau de l’émission. Se joue alors par l’intelligence de la structure mise en place par le  réalisateur, appuyé par quelques retours en arrière, comme l’indique le titre, une fabrique médiatique malaisante dans laquelle Monk se retrouve pris au piège. La caméra impudique se colle à son visage comme à celui d’une bête curieuse et devient aussi dérangeante que les questions posées par l’intervieweur. Renaud, représentant ici, de l’intelligentsia blanche dominante, malgré son amitié pour Monk, s’enfonce dans un racisme ahurissant. Il tente d’arracher au jazzman des réponses bien pensées en amont qu’il ne veut pas leur donner. Deux mondes semblent s’opposer : l’émission déjà écrite confrontée à l’artiste vivant, résistant avec classe, presque mutique face à cette machinerie télévisuelle. Monk, dont le film nous fait adopter le point de vue, fait preuve d’une immense honnêteté, en restant lui-même malgré l’humiliation. Et quand il ose répondre sur son ressenti intime pour évoquer sa première venue en France en 1954 et le mauvais traitement qu’il a alors reçu, Renaud lui rétorque que « ce n’est pas gentil » et demande que ce soit coupé au montage. Rewind and play se fait le puissant témoignage, de cette extrême solitude ressentie sur ce plateau en tant que musicien noir, reflet malheureux et toujours très actuel d’un racisme systémique intégré à nos sociétés. Mais comme des respirations de beauté et d’admiration, il y a ces longs et sublimes moments de musique où Monk peut interpréter quatre morceaux avec ferveur, faisant presque oublier le brouhaha irrespectueux des techniciens sur le plateau. Les notes de « Crepuscule With Nellie », « Ugly Beauty » ou « Don’t blame me » résonnent et Monk est alors l’incarnation du présent par sa musique. Quand il joue, son esprit semble ailleurs, au-dessus de la médiocrité et du racisme qui l’entourent. Il reste en creux cette profonde réflexion sur qui est vraiment l’artiste et le stéréotype créé par sa médiatisation, nous invitant à relancer le film en arrière pour revoir ces images, encore, et encore.

Réalisé et monté par Alain Gomis – 1h05 – France – En salles le 11 janvier 2023 – JHR Films.

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