Entre Asako et Baku, c’est le coup de foudre. Il aura suffi d’un regard (et de quelques pétards qui éclatent à leurs pieds) pour que ces deux jeunes gens tombent amoureux. Si les débuts sont idylliques, Asako découvre vite le côté taciturne et égoïste de son amant. “Je reviendrai toujours vers toi” lui dit-il alors qu’il s’apprête à disparaître. Désemparée, sans nouvelles de l’homme qu’elle aime, Asako va partir sur ses traces jusqu’à ce qu’elle tombe nez à nez avec la copie conforme de son bien-aimé. Une ressemblance vertigineuse qui va pousser l’héroïne dans les bras de cet autre garçon. Émouvant portrait d’une jeune femme romantique qui, petit à petit, va se libérer de la main de l’homme qui tient son cœur, Asako 1 et 2 séduit par son approche sensible et féminine tout autant que par sa mise en scène – soignée et gracieuse -, sa photographie (chef op’ Ryûto Kondô) ou encore sa distribution – formidable Erika Karata (Asako). Côté émotion, la déflagration est interne. Nous avons rencontré le réalisateur japonais Ryusuke Hamaguchi qui rend à la France l’amour qu’elle lui porte – Asako 1 et 2 est une coproduction franco-japonaise.
Votre film parle des premières amours, et vous étiez cette année pour la première fois en compétition officielle à Cannes. Le début d’une romance avec le festival ? Quel souvenir gardez-vous de votre passage ?
Ryusuke Hamaguchi : J’avais comme l’impression de ne pas avoir les pieds sur terre ! J’étais en train de flotter. En tant que fan de cinéma, j’ai toujours vu le festival de Cannes avec les yeux d’un enfant, celui que j’étais et qui regardais des films tout le temps. Le fait d’y avoir été invité m’a rempli de joie, je suis très reconnaissant envers le festival. Asako est mon premier film commercial, et je savais que son parcours ne serait pas le même que pour mes précédents films puisque celui-ci allait sortir en salles. Jusqu’ici, je faisais du cinéma indépendant, sans la garantie de voir mes films projetés au cinéma, et c’était par les festivals qu’on pouvait alors découvrir mon travail. Sans les festivals, je n’aurais sûrement pas pu continuer ma carrière de cinéaste.
En France, c’est en 2015 que la rencontre avec le public a lieu, autour de Senses. Les attentes des spectateurs français vous tiennent à cœur ?
Ryusuke Hamaguchi : Je dois vous avouer que les réactions des spectateurs français me sont chères en effet. Pour Senses, le nombre d’entrées en France est cinq fois supérieur aux chiffres au Japon ! Pour un film indépendant comme celui-ci, c’est à la fois surprenant et émouvant. Il faut saluer le travail du distributeur français (Art House, NDLR) qui a fait un travail de promotion très efficace. Après, je ne sais pas ce qui a été décisif dans le succès de Senses en France, mais c’est vrai que j’ai toujours eu un goût prononcé pour le cinéma français, j’aime beaucoup les films de la Nouvelle Vague, de Rohmer, dans ceux de la génération précédente, ceux de Renoir ou Becker. J’adore aussi le cinéma de Leos Carax et d’Arnaud Desplechin ! Ce sont tous des cinéastes qui, quelque part, m’ont influencé, et peut-être que le public français a remarqué ce parfum, cette sensibilité, je l’espère en tout cas.
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’adapter le roman de l’écrivaine Tomoka Shibasaki et, par la même, d’écrire en duo avec Sachiko Tanaka, coscénariste entre autre des films de Kiyoshi Kurosawa ?
Ryusuke Hamaguchi : C’est une combinaison de différents facteurs, mais pour le dire simplement, il s’agissait d’une commande, pour Sachiko comme pour moi. Ce projet est né il y a environ 4 ans. Senses n’avait pas encore été présenté au public et je craignais que mon travail ne soit jamais montré en salles. Mon producteur à l’époque m’avait dit qu’un jeune réalisateur comme moi ne pouvait guère compter sur le succès d’un film au scénario original et qu’il valait mieux commencer par l’adaptation d’un roman qui avait déjà plusieurs dizaine de milliers de lecteurs, ce qui peut s’entendre. Tomoka Shibasaki est une romancière qui a rencontré le succès avec un roman en particulier et remporté un prix, mais le roman qui est à l’origine d’Asako est un roman qu’elle a écrit plus tôt et dont le tirage a été plus confidentiel. Je l’avais lu et aimé, et on a donc décidé de l’adapter. Ce qui me plaisait dans cette histoire, c’était son traitement presque naturaliste, l’histoire simple de deux hommes au même visage et d’une femme qui est partagée entre ces deux hommes. C’était un roman long de 200 pages, et évidemment, un scénario fait moins de 100 pages au Japon, alors nous avons du compresser un certain nombre de choses, et c’est là que le secours de Sachiko a été bénéfique, principalement sur la structure du scénario.
Vous parliez de l’approche réaliste du roman, le film la conserve, même si vous semblez ouvrir le champ à quelque chose de plus mystérieux. La mise en scène joue avec des codes qui sont parfois à la lisière de ceux du cinéma fantastique…
Ryusuke Hamaguchi : Je vous remercie si vous avez pu voir les choses de cette manière parce qu’il était effectivement question de jouer avec les éléments du réel et du fantastique. Dans le roman, c’est le personnage de Baku qui fait sortir le récit du réel. Dès qu’il bouge, la réalité bouge avec lui, le monde bouge avec lui, à la différence du personnage de Ryohei qui est un personnage du quotidien, de la société. Je tenais à restituer à l’écran ces impressions que laissait le roman.
Les femmes jouent un rôle important dans vos derniers films. Pourquoi aimez-vous les filmer et raconter leurs histoires ?
Ryusuke Hamaguchi : C’est vrai que mes deux derniers films, Senses et Asako, mettent en scène des personnages féminins, mais je pense que c’est le fruit du hasard… Il est vrai cependant que j’ai été très influencé par des films qui faisaient la part belle aux femmes, comme ceux de Cassavetes. Ces films-là ont un pouvoir d’attraction très fort sur moi parce qu’ils mettent aussi en scène des femmes qui résistent à la société malgré le fait qu’elles soient sous son influence. Pour Senses, en amont du tournage, je suis allé à la rencontre de plusieurs femmes pour les faire témoigner de leur situation. Je me suis rendu compte à quel point il était nécessaire de dépeindre la société du point de vue des femmes parce que la société exerce sur elles une pression qui me semble très forte. J’ai l’impression que les taches qu’on leur demande d’exécuter sont extrêmement nombreuses dans la société japonaise : il faut qu’elles soient belles, qu’elles aient du succès auprès des hommes, ensuite qu’elles soient de bonnes épouses, de bonnes mères, et en même temps, il faut qu’elles travaillent et qu’elles rayonnent. Tout ce que demande la société japonaise à ces femmes est très contradictoire, et il y a de quoi en perdre la tête. Dans mes films, les femmes se montrent bien souvent directes et découvrent que c’est lorsqu’elles expriment leurs sentiments qu’elles sont les plus fortes et non pas les plus vulnérables. Se ré-accaparer ses sentiments, les exprimer, c’est aussi une forme de rébellion.
Quelques mots pour finir sur Erika Karata qui interprète Asako ?
Ryusuke Hamaguchi : Elle joue une jeune femme qui, là aussi, va à l’encontre des valeurs de la société japonaise, j’ai essuyé beaucoup de refus de la part d’actrices pour ce rôle parce qu’elles craignaient qu’il ne soit pas aimable. A quelques mois du début du tournage, je n’avais toujours pas trouvé l’actrice pour incarner Asako. On a alors organisé un casting et c’est là que s’est présentée Erika Karata. Elle avait surtout tourné dans des publicités et dans quelques séries télévisées. Elle a lu une scène du scénario comme toutes les autres actrices qui ont passé le casting, et j’ai trouvé que c’était elle qui avait la voix la plus franche. Elle avait la voix que je me figurais d’Asako dans ma tête. Le choix c’est donc fait de cette manière-là.
Propos recueillis par Ava Cahen.
Copyright Art House.