Crises diplomatiques
Hier encore elle était surnommée la mère Teresa de l’humanitaire. Un parcours sans faute qui l’avait menée dans la plupart des pays en conflits où son empathie débordante, sa façon de se dépenser sans compter pour les autres et son opiniâtreté infatigable avaient fini par lui valoir une admiration et une reconnaissance internationale. Alors, lorsque le président de la république française lui offre le poste de ministre des Affaires étrangères (le précédent étant indisponible à la suite d’un burn-out tenu secret), Marie Tessier y voit l’occasion de poursuivre son action. Mais hélas, ce n’est que le début d’une longue série poisseuse d’emmerdements puisque, dès son arrivée sous les ors de son ministère, une prise d’otages à lieu au Sahel. La femme de terrain que rien n’effrayait se trouve aux prises avec une diplomatie dont elle ne possède ni les codes, ni le double langage ni la pratique du coup bas. Gaffeuse malgré elle, elle ne fait qu’envenimer les choses. La situation déraille. Et elle aussi. Sous l’œil impassible de son fidèle adjoint, de sa fille qui s’éloigne d’elle et surtout d’un président moins préoccupé par le sort des prisonniers que par son image soigneusement lissée.
Nul besoin de se greffer une main pour compter sur ses doigts le nombres de fictions françaises consacrées à la vie politique française. De L’état de grâce en 2006, série laborieuse que même le talent d’Anne Consigny dans le rôle d’une présidente enceinte ne parvenait à sauver, aux excellentes Les Sauvages de Rebecca Zlotowski et Sabri Louatah (2019) et Parlement de Noé Debré, on sent bien que le sujet déconcerte les chaînes hexagonales. Trop clivant ? Pas assez dramaturgique ? Cette frilosité semble enfin se fissurer. La preuve avec cette série en six épisodes hilarants, qui combine à merveille le ton de la comédie fielleuse avec une acuité sociologique finement distillée, le tout porté à des sommets de virtuosité par une mise en scène burlesque (mais savamment mesurée) et une interprétation où l’on cherchera en vain le moindre défaut. Signé par Charly Delwart, auteur belge (dont le dernier livre Que ferais-je à ma place ? sorti chez Flammarion, recueil de question décalées et réponses ironiques est un pur délice) signe une mécanique imparable d’humour caustique. Sans jamais tomber pour autant dans le moindre systématisme ou ton inutilement pamphlétaire. La situation est suffisamment sarcastique pour ne pas en ajouter et c’est au contraire derrière les rouages de son humour pince sans rire que se tapit une manière très fine et souvent touchante de dessiner des caractères pris au piège d’une machine qui les engloutit. La caricature sait parfaitement céder le terrain à l’émotion. Et les répliques souvent imparables d’efficacité ne sont jamais une seule et stérile succession de bons mots ou punchlines. Un travail d’orfèvre que la mise en scène alerte, enlevée et pleine de trouvailles d’Erwan Le Duc (La Fille de son père, le 20 décembre prochain au cinéma) cristallise dans une impulsion cocasse qui irait de Blake Edwards à Jacques Tati pour sa vélocité légère et un enthousiasmant sens de la rupture de tonalités. Deux écritures conjuguées offrant à leurs comédiennes et comédiens une place de choix pour prouver leur vertigineux talent. Impossible (hélas) de les citer tous mais Laurent Stocker en Emmanuel Macron individualiste (pléonasme ?) et Samir Guesmi en assistant débonnaire sont réjouissants d’intelligence et de pétillance de jeu. Tout comme la juste géniale Léa Drucker qui, dans le rôle de cette héroïne tout en mouvement ininterrompu, compose brillamment une femme essayant de ne pas perdre pied dans un monde effarent de bêtise et de phallocratie d’un autre temps. Énorme coup de cœur.
Sur arte.tv jusqu’au 5 décembre et sur Arte le 5 octobre