Sélectionner une page

Soy Libre de Laure Portier

par | 10 Mar 2022 | CINEMA, z- 1er carré gauche

L’Odyssée d’Arnaud

Quel objet singulier et radical que Soy Libre, le premier long métrage de Laure Portier, présenté à l’ACID au dernier Festival de Cannes. Comme la fable politique Municipale de Thomas Paulot ou Ghost Song l’opéra crépusculaire de Nicolas Peduzzi (en salle le 27 avril), il s’inscrit dans cette frontière perméable chère à cette sélection où le documentaire et la fiction se mêlent. Là où les protagonistes du réel s’échappent de leur condition de personnages filmés, s’emparant du récit pour reconstruire le film et en faire une fabrique d’images, dans un acte presque politique.
Ici, il s’agit d’une sœur qui place une caméra entre elle et son frère Arnaud pour l’observer ainsi pendant quinze ans. Ils sont liés par une mère dépressive dont ils ne s’émancipent pas de la même manière, séparés par le déterminisme social, les études pour elle, la prison pour mineur pour lui. Et il y a cette grand-mère, précédemment filmée dans un court métrage, Dans l’œil du chien, que l’on retrouve dans un face-à-face troublant entre deux solitudes figurées par la vieillesse et la marginalité. Laure Portier puise son art auprès des siens. Dans un geste de générosité extrême, elle va chercher en eux ce qui en fait des êtres mythologiques et donc de cinéma.
Mais Arnaud fuit vers une autre vie. Il y serait libre et pourrait retrouver une identité propre, s’affranchir d’une société qui l’enfermait. Cette échappée offre au film une métamorphose :  le jeune homme va s’emparer de la caméra pour documenter comme il l’entend son odyssée initiée en Espagne. L’objet filmé devient alors sujet, le portrait d’un frère se mue en autoportrait, la langue française est remplacée par l’espagnol. Soy Libre se dessine ainsi comme une œuvre double et toute sa puissance réside dans ce rapport en tension entre un frère et une sœur. Le montage trouve sa forme finale à travers une temporalité bousculée par des ellipses, pour créer cette narration sans cesse réinventée, contrariée et questionnée par son héros. Car si le périple d’Arnaud s’arrête de l’autre côté de l’Atlantique, le film prend fin quand il commence une nouvelle vie. Le titre Soy Libre  prend enfin tout son sens et Arnaud peut clamer qu’il est libre. Libre comme un film.

Diane Lestage

Réalisé par Laure Portier, avec Arnaud Gomez et Jacqueline Puygrenier – France/Belgique – 1h18 – En salles le 9 mars 2022 – Perspective Films, Need Productions / Les Alchimistes

Pin It on Pinterest

Share This