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T.Jenkoe / D.S.Bouzgarrou (The Last Hillbilly) : “On cherchait à montrer à quel point le mythe américain est en pièces”

par | 13 Juin 2021 | Interview, z - 2eme carre droite

The Last Hillbilly est un film pas comme les autres à l’affiche depuis mercredi dernier. Un documentaire poétique et quasi mystique, une plongée dans le fin fond du Kentucky, la découverte d’une communauté et d’un être à part. Plus de 130 heures de rush hétérogènes pour en tirer un film d’1h20 entre terre, ciel et feu qui offre un point de vue inédit sur l’Amérique, ses traditions et les fantômes de son histoire violente. FrenchMania a rencontré Thomas Jenkoe et Diane Sara Bouzgarrou, le duo de réalisateurs français qui s’est consacré corps et âme à cette expérience de vie et de création inédite.

Comment avez-vous rencontré Brian Richie, l’inspirateur du film, qui se décrit lui-même comme The Last Hillbilly, le dernier des “péquenauds” ?

Diana Sara Bouzgarrou : On l’a rencontré en 2013 lors d’un séjour dans le sud des États-Unis. Nous voulions aller dans des endroits pas très médiatisés, pas très touristiques pour vraiment avoir une expérience véritable de ce que c’est que d’être américain dans ces territoires. On avait décidé d’aller dans e Kentucky et c’est Brian qui est venu à nous. Il nous a entendu parler français et ça l’a surpris et amusé parce que c’est un état auquel les Américains ne s’intéressent pas et les internationaux encore moins. Il a tout de suite voulu nous emmener dans son coin qu’il définissait comme le vrai Kentucky, les Appalaches. Ils nous a dit “Venez avec moi demain et je vous montrerai“. Là, ça a été le début d’une grande amitié. On a échangé avec lui pendant deux ans, on a compris ce que c’était d’être un “Hillbilly”, on était très intéressé par tout ça. Ensuite, nous avons passé un mois chez lui en 2015 et c’est là qu’on a découvert ses poèmes, son univers, son territoire, les gens. C’est à partir de ce moment-là qu’on a vraiment commencé à travailler avec lui.

Comment lui avez-vous présenté le projet ?

Thomas Jenkoe : Finalement tout s’est fait assez facilement parce que, dès le début, il savait qu’on était cinéaste parce qu’on avait nos appareils photos, nos enregistreurs et qu’on lui a montré nos films précédents. Il savait dans quoi il s’embarquait et c’était important pur nous. Il était avide de partager au sujet de sa région, de son monde. Il a tout de suite été partant. Au départ, il nous montrait les choses et, plus le tournage avançait, plus il s’impliquait et plus le travail prenait une forme participative. Il a été force de proposition.

Diana Sara Bouzgarrou : Il a commencé à écrire des textes pour le film et on a eu accès à la vie intime de Brian et de sa famille, il nous laissait vraiment libres. Je pense qu’ils avançaient un peu dans le brouillard et qu’ils étaient juste contents de nous aider. Le fait d’être Français nous a aidé parce qu’on avait pas de préjugé par rapport à ce qu’était un “Hillbilly”. On a vécu chez eux dans ces collines qui sont la fin des Appalaches. Ils vivent tous ensemble, à chaque étage de la colline, il y a le frère, la sœur, la mère, et la ferme au-dessus. De 2015 à 2019 nous sommes allés les voir chaque année, soit deux fois 15 jours, soit un mois ou deux, voire quatre… On a passé beaucoup de temps avec eux.

Qu’est-ce qu’il avait fondamentalement envie de raconter, de partager avec vous ?

Thomas Jenkoe : Je pense qu’il était à un moment charnière parce qu’il a des enfants et qu’il avait cette envie de transmettre quelque chose au moment où il sentait son identité menacée. Plus encore que son identité, c’est son mode de vie qu’il sentait également menacé, la manière dont il a toujours vécu. Il avait envie de transmettre qui ils sont vraiment et comment ils se sont toujours organisé avec cette idée en arrière-plan de se voir comme le dernier témoin d’un monde en train de disparaître pour plein de raison. Les mines ont disparu et il n’y a plus de boulot, les gens sont coincés et doivent partir, et les problèmes sociaux, écologiques et politiques se multiplient. Les choses ont progressé parce qu’au début l’état d’esprit restait très positif et qu’au fil du temps, et voyant les nuages s’amonceler autour de la région, on a vu les choses évoluer. En passant d’Obama à Trump, cela a changé le rapport de l’Amérique à cette région.

Diana Sara Bouzgarrou : C’est un des rares états qui fait encore partie du Commonwealth et qui s’est bâti sur des clans familiaux. Il y a toujours eu une volonté d’être libres et indépendants quitte à vivre dans une grande misère. Ce sont un peu les derniers des États-Unis, les oubliés des politiques, ils sont comme marqués au fer rouge dès qu’il quittent leurs collines.

Thomas Jenkoe : Cette idée de malédiction est très présente dans leur histoire qui est très liée à celle des états du sud, à la guerre de Sécession et donc, forcément, à l’histoire de l’esclavage. Quelque soient leurs positionnements idéologiques par rapport la question, ils en portent la marque, celle des perdants d’une guerre civile, ce qui n’est pas rien. Aux yeux du monde, ils sont racistes, même si c’est plus complexe que ça.

Comment avez-vous envisagé votre travail d’un point de vue technique ? On a déjà ce format qui casse un peu les attendus sur les grands espaces américains…

Diana Sara Bouzgarrou :On voulait effectivement être dans un rapport différent aux paysages et, plutôt que de montrer les grands espaces comme dans les westerns, on a voulu déconstruire le mythe en filmant verticalement de la terre jusqu’aux cieux. On a voulu montrer des débris, des morceaux qui résultent de la fracture de l’histoire américaine qui est violente et qui est de plus en plus fracturée entre la ville et la campagne, le Nord et le Sud. Le format carré nous permettait aussi de rappeler l’origine du cinéma sans tomber dans la facilité. On a aussi voulu faire un travail de photographe en recadrant pour trouver l’angle parfait, le 4/3 permettait ça. C’était aussi important pour nous d’être absents du film, on voulait se fondre dans leur vie et devenir invisibles et ne pas être dans l’entretien ou le cinéma direct. On a tout de suite voulu être dans le flux de conscience, plongés dans l’intériorité de Brian. C’est un style documentaire qui se démarque du genre, on voulait aller ailleurs, être dans l’ellipse, attraper une information et l’exprimer par une musique, une phrase.

Thomas Jenkoe : On aime bien que le spectateur puisse trouver son propre chemin dans le film, on ne lui impose pas les choses il peut naviguer, se faire ses propres idées, projeter quelque chose de lui. On cherchait à montrer à quel point le mythe américain est en pièces, le format carré permettait de capturer ces pièces, ces morceaux, ces lambeaux.

Diana Sara Bouzgarrou :On a tourné pendant de longues années donc on voulait vraiment faire une fresque. On a vu la situation se dégrader, on a vu les enfants grandir et on voulait que tout cela reste dans le film final sans date, sans carton.

Le style et le format donnent un résultat très organique, les corps et la terre sont presque en fusion dans un mouvement quasi funébre…

Diana Sara Bouzgarrou : C’est vrai que c’est une terre hantée de nombreux fantômes de l’histoire et on voulait ce coté un peu crépusculaire où on puisse vraiment errer entre les vivants et les morts.

Thomas Jenkoe : Et ce qui est important, c’est que, dès le début, le film est construit sur ce rapport tellurique. Quand il prêche au début, il y avait cette envie que tout parte de la terre dans le film pour remonter comme un passé enfoui.

A quel moment le fait d’utiliser les textes de Brian s’est imposé ?

Thomas Jenkoe : Rencontrer Brian, c’est une forme de hasard et, après, dans son mobil-home en 2015, on découvre des carnets un peu partout qu’il nous autorise à les lire. Les textes son très beaux et la langue qu’il emploie traduit vraiment la géographie locale, il y a quelque chose de très ancré dans les Appalaches. Personne ne savait qu’il écrivait car il est très timide mais cela lui a plus qu’on les ai trouvé beaux et très vite c’est entré dans le processus d’écriture. Et le texte du prêche du début, il l’avait enregistré pour nous et cela durait plus de onze minutes. C’était puissant.

Diana Sara Bouzgarrou : Et cela nous a vraiment passionné, nous avons travaillé ensemble, cela a été un point de départ, en plus de son corps et de son être. Il est devenu performer au fil du temps. C’est un peu comme du Faulkner, il embrasse une histoire littéraire, la revisite. C’était comme un cadeau des dieux que de tomber sur un mec aussi talentueux. Au-delà du texte, il est capable en “live” d’articuler une pensée poétique, politique et métaphysique.

The Last Hillbilly – crédit : New Story

The Last Hillbilly de Thomas Jenkoe et Diane Sara Bouzgarrou. en salles depuis le 9 juin 2021 – 1h20 – Distribution : New Story

 

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