Suprêmes avait tout du projet casse-gueule. Raconter les premières années du mythique duo de rap NTM, c’est aussi faire le chronique d’une époque, de la naissance du mouvement hip hop dans les banlieues françaises et de bouleversements sociétaux majeurs. Malgré quelques affèteries évitables sur le fond et la forme, la réalisatrice Audrey Estrougo gagne ce pari difficile en parvenant à faire exister à l’écran cette fièvre particulière et ses échos intimes et collectifs. Le film doit beaucoup à un duo de comédiens d’une intensité folle qui donnent chair (et voix) à cette épopée. Sandor Funtek et Théo Christine sont en fusion totale dans Suprêmes. Ils racontent à FrenchMania les coulisses de leurs prestations incandescentes.
Pouvez-vous nous parler de votre rencontre, des débuts de cette aventure particulière ?
Sandor Funtek : La première fois qu’on s’est rencontré c’était à la deuxième session de casting. Il y avait eu une première session classique et Audrey a fait une deuxième session qui était une semaine de travail et d’ateliers dans un théâtre. Il y a avait cinq prétendants pour incarner Joey Starr et cinq prétendants pour le rôle de Kool Shen, c’était un peu comme une téléréalité ! C’était Un, dos, très, tous les jours nous avions des ateliers d’impro, de rap, de jeu…
Théo Christine : C’était hyper formateur et il n’y avait pas de place pour la triche.
Sandor Funtek : Moi j’ai tout de suite ressenti que c’était Théo qui jouait le mieux, de loin.
Théo Christine : On n’a pas forcément eu le feeling tout se suite, d’autant que j’avais un autre pote à moi qui auditionnait pour le rôle de Kool Shen et je voyais Sandor comme une menace !
Sandor Funtek : A partir du moment où on est entré dans le travail en profondeur, on a matché direct parce qu’il y avait chez Théo une simplicité, une humilité et une forme de sincérité qui a fait qu’on ne s’est pas raconté d’histoires. Quand ça marchait, ça marchait ! Il n’y avait pas de questions de susceptibilité entre nous.
Théo Christine : Depuis que j’ai fait les cours Florent, j’étais vraiment le mec qui bossait tout le temps et là, j’ai rencontré quelqu’un qui était au-dessus en termes de travail. Je me suis mis la pression parce Sandor est encore plus exigent que tous les comédiens que j’avais rencontré avant même au théâtre. Ca m’a plu direct cette passion, cet acharnement.
Sandor Funtek : J’ai un côté obsessionnel, je voulais qu’on fasse un truc parfait. On n’avait pas le droit de se planter ! On est devenus amis, ce qui aurait pu ne pas se passer et on savait, lui comme moi, que si l’un des deux n’était pas à la hauteur, c’était le duo qui foirait. Il fallait que ça marche.
Théo Christine : On était tellement tous les deux dans le « ça passe ou ça casse » que cela créé des liens de façon très rapide.
NTM, cela représentait quelque chose pour vous ?
Théo Christine : Pour moi c’était assez lointain. Je n’écoutais pas beaucoup de rap ou de hip hop mais. Quand j’ai commencé à travailler j’avais pas mal de retard à rattraper ! J’avais beaucoup de lacunes.
Sandor Funtek : Moi j’ai baigné dans le hip hop, j’ai traîné avec des rappeurs, j’ai fait du graffiti donc il y avait juste une mise à jour à faire pour que je m’en rapproche. On a écouté les titres des millions de fois. Les « live » du film n’ont pas été filmés, les images n’existent pas donc on a appris avec tous les concerts qui ont été filmés et on a ensuite travaillé en decrescendo du plus connu à la genèse. Il a vraiment fallu bosser comme des malades, on a été entouré de gens qui avaient une vision objective de cette période.
Rien que ces scènes de concert vraiment hallucinantes ont représenté un travail assez loin de celui habituel de l’acteur ?
Sandor Funtek : Non seulement c’est différent de notre boulot d’acteur habituel mais, quelque part, cela devrait être tout le temps comme ça. En fait, on s’est mépris jusqu’ici et l’exigence qu’on a mis dans ce film parce qu’il y avait une urgence à leur ressembler, on devrait la mettre de la même façon dans la création de personnages fictifs. On devrait toujours être autant engagé.
Théo Christine : C’est vrai que cette exigence qu’on a eu là, on a envie de la retrouver désormais sur tous nos projets, le plus possible en tout cas.
Sandor Funtek : On avait un programme précis. Chaque semaine on avait deux à trois sessions de théâtre avec Audrey pour improviser sur tout ce qui se passe en amont du film.
Théo Christine : On se construisait une histoire parallèle au scénario qui nous permettait d’avoir cet esprit bande de potes dès le début du tournage.
Sandor Funtek : Et on avait aussi, parallèlement à ça, des cours de danse, des cours de rap et d’interprétation scénique ainsi que des cours de graffiti. Et, de façon autonome, on s’est appelé tout le temps pour se retrouver et pour bosser tous les deux, chez lui ou chez moi. On voulait que tous nos coachs qu’on admirait soient fiers de nous même pendant les répétitions, on voulait les impressionner. Entre chaque séance, on voulait qu’ils voient l’évolution.
Théo Christine : Audrey nous a donné une telle confiance qu’on ne voulait vraiment pas la décevoir.
Quels ont été vos échanges avec ceux que vous incarnez ?
Théo Christine : Ils nous ont emmenés un peu en tournée avec eux pour qu’on s’imprègne de cette ambiance et, ensuite, on a bossé plusieurs mois avant qu’ils reviennent. On voulait être sûrs de nous avant qu’ils viennent nous voir. S’ils avaient trouvé ça nul, ça nous aurait plombé ! Ils sont venus checker plusieurs fois pour nous aider à régler certains détails. Et sur le tournage, ils sont passés aussi quelques fois.
Sandor Funtek : Comme ils avaient déjà vu un « work in progres », ils avaient, je pense, vu notre détermination et ça les a touchés. En nous voyant bosser, je pense qu’ils se sont dit que les petits étaient sérieux ! Ils ont toujours répondu à toutes les questions qu’on avait. Didier a été le plus paternaliste, il nous a pris sous son aile, nous a raconté des anecdotes en buvant des verres le soir. Kool Shen est plus pudique, plus réservé, ce qui aide à comprendre l’équilibre entre les personnages. Dans les non-dits, il y a beaucoup de choses.
Vous avez tout de suite compris que ce film constituait un vrai défi d’acteurs et que cela ne serait pas une expérience comme les autres ?
Théo Christine : C’est comme ça que je l’ai vu dès le début et c’est pour ce genre de projet et de personnage que j’ai voulu faire ce métier. Des gens qui sont très loin de moi et qui racontent quelque chose de plus grand qu’eux. Ca fait 3 ans qu’on travaille, on a su que c’était nous en novembre 2018, cela a accompagné nos vies, pour moi le passage de 22 à 25 ans par exemple. C’est une expérience forte et authentique qui nous a fait grandir.
Sandor Funtek : Ce qui a été fort, c’est le lien entre nous aussi, je n’ai jamais eu d’amitié telle sur un tournage. J’ai tourné avec La Rumeur mais on était déjà amis avant.
Théo Christine : Il y eu quelque chose de l’ordre de la nécessité. J’avais besoin de Sandor. Et j’ai l’impression que j’ai enfin trouvé la façon dont je voulais travailler.
Sandor Funtek : En tout cas, on ne pourra pas nous dire qu’on a pas été honnête, et qu’on a mal fait notre taf ! Et ça, ça compte.