Après Suprêmes d’Audrey Estrougo et la série BRI pour Canal+, Théo Christine continue de marquer de sa fougue corporelle et de la précision de son jeu le paysage du cinéma français. Dans Vermines de Sébastien Vaniček, il confirme tout le bien que nous pensons de lui depuis quelques années déjà.
C’est quoi être comédien pour vous ?
Théo Christine : Lorsque j’ai commencé travailler, être acteur signifiait pour moi avoir mille vies. Mais quand j’ai commencé à faire des films, je me suis aperçu que c’était assez différent. Ce n’est pas aussi fusionnel avec le personnage que je me l’imaginais. Tu ne vis pas sa vie pendant un mois. Il y a des prises, avec un début, une fin, les mots “action”, “coupez”. Le soir, tu rentres chez toi et tu fais autre chose. Ce n’était pas à proprement parler une déception. Mais il me restait cette envie de vivre le plus profondément et le plus intensément possible les aspects de mes personnages. Et c’est avec Suprêmes (2021) que j’ai compris que, plus on prépare son sujet à l’avance, plus la plongée dans le personnage est possible. Le temps de la préparation est celui de la liberté. On peut faire ce que l’on veut. Sur le film d’Audrey, on avait travaillé tous ensemble pendant près d’un an. Cette préparation préalable, c’est le moment où le cinéma se rapproche le plus du théâtre qui est une passion chez moi. La scène demande une étude de texte, de passer du temps sur les mots, d’inventer du hors champ et des situations qui ne sont pas écrites. C’est comme cela que tu te construis ta vision d’un personnage et que tu saisis sa respiration. J’aime travailler de cette manière-là. Au contraire de la méthode qui consiste à rapprocher le plus possible le rôle de soi. C’est moins mon truc. Je préfère toujours m’écarter de moi-même Même s’il faut apprendre à combiner les deux.
Comment êtes-vous arrivé sur le projet de Vermines ?
Théo Christine : C’est parti d’une rencontre avec Sébastien. Il avait vu Suprêmes et pensait à moi pour son premier long. Bon, au départ, j’vais des doutes… Le projet avait beaucoup d’ambition, mais pas mal de risques aussi. Pour que ça marche, il fallait que les effets spéciaux soient réussis. Que ce ne soit pas fauché. En plus, le cinéma de genre en France, c’est encore un peu casse-gueule. Après, les challenges, j’aime bien ça ! C’est un peu la manière dont j’ai envie de mener ma carrière, d’aller vers des choses nouvelles, d’accompagner le cinéma français dans de nouveaux univers. Et j’ai compris que Seb était complètement dans cette mentalité. Il a envie de prouver que l’on peut faire du film de genre et se mesurer aux américains. Son discours et sa motivation m’ont convaincu.
Le film n’est pas qu’un survival. C’est un film politique également…
Théo Christine : Sebastien avait en tête dès le début cette dimension sociale. L’idée centrale était de faire le lien avec ces individus qu’on l’arrache de leur environnement pour les mettre dans une boîte pour laquelle ils ne sont pas adaptés. Avec les conséquences que cela entraîne. Et se poser la question du “qui blâmer ?”. L’individu ou celui qui l’a déplacé ? Des thèmes fins, malins et forts qui m’ont plu. Portés de plus par de véritables personnages ayant chacune et chacun des vraies traversées. Une sorte d’épopée qui emprunterait à la tragédie classique.
Qui est Kaleb que vous interprétez ?
Théo Christine : C’est un personnage que l’on a placé là, qui s’est habitué à la place qui lui a été attribuée et qui ne veut pas forcément en sortir. Alors que justement la chose qui lui ferait de bien, c’est de s’échapper plutôt que de continuer à s’enterrer dans la vie qui est la sienne. Mais il n’a connu que cela et je pense qu’il y a chez lui une peur de l’inconnu. En plus, il vit dans l’appartement de sa mère décédée. C’est une attache qu’il refuse d’abandonner. Nous sommes dans un film de genre, mais dès la lecture j’ai été touché par ce garçon.
Vous parliez précédemment de l’importance pour vous de la préparation. A quoi consiste-elle précisément ?
Théo Christine : J’aime bien dessiner l’arc et l’évolution du personnage sur mon scénario. Souvent avec des codes couleurs. Sur le premier quart du film il sera plutôt en vert, puis il va passer en orange… ce sont des humeurs. C’était important que Kaleb n’ait pas toujours le même ton. Il fait accompagner sa progression. Au début, il est presque antipathique, il rejette tout le monde. Puis, il passe par une phase de culpabilité avant de prendre le leadership de la bande pour sauver ses amis. Pour à la fin s’ouvrir à ses émotions enfouies et oser enfin dire “je t’aime”. En particulier à sa sœur. Procéder ainsi est pour moi une manière de m’organiser. Et j’ai eu de la chance que Sébastien m’accompagne dans cette forme de travail. Comme on ne tourne pas dans la chronologie, cela me facilite les choses. Pour chaque scène, je sais ce que je dois interpréter et les enjeux narratifs à ce moment précis. J’ai juste à regarder mon scénario et je retrouve ce que je dois interpréter avec l’humeur requise. C’est pour cela que je bosse énormément en amont.