Zadi, président !
Rire de soi, avec tout le monde, voilà un pari qui est ambitieux… D’une part, parce que l’autodérision est un art qui se manie avec subtilité, et d’autre part, parce qu’elle doit, à un endroit, trouver son écho dans d’autres cœurs. Jean-Pascal Zadi, coscénariste, réalisateur et acteur principal de Tout simplement noir, relève le pari haut la main. La première bonne idée, c’est le choix du dispositif. Zadi joue un acteur de second plan qu’une équipe de reporters suit dans son nouveau projet : organiser une marche de contestation des hommes noirs, et pour cela, il lui faut lancer une grande opération de séduction/communication. Le quatrième mur est d’office brisé, et, comme dans les comédies de Sacha Baron Cohen (Borat, Bruno), les codes du documentaire brouillent les frontières entre fiction et réalité. Ici, nous ne sommes pas seulement spectateurs, nous sommes engagés par le regard à réfléchir à la question posée dès le départ : c’est quoi être noir aujourd’hui en France ? Et évidemment, les chemins pris pour répondre à la question se démultiplient à mesure des situations auxquelles se retrouve confronté le personnage de Zadi, candide et maladroit. Des situations de comédie pure, mais aussi des situations plus tendues, comme ces arrestations musclées et humiliantes dont le héros est victime par deux fois dans le film. La deuxième bonne idée, qui va toujours dans le sens du brouillage des frontières, c’est d’avoir invité des actrices et des acteurs qui, sous leur identité propre, jouent avec les clichés qui leur collent à la peau. Citons Fary, formidable, Eric Judor, devant une boîte de nuit parisienne, inspiré, ou encore Lucien Jean-Baptiste et Fabrice Eboué s’accusant l’un et l’autre d’avoir fait, pour le premier, un film de “bounty”, et pour le second, un film qui flatte les colons. Non seulement l’effet comique est assuré, mais en plus cela permet de déconstruire avec simplicité la rhétorique du racisme ordinaire. En 2016, Yvan Attal avait entrepris de démonter les clichés antisémites dans Ils sont partout, satire à sketch qui manquait d’audace, et sa cible. Zadi, lui, ne manque rien, et fiche un grand coup de pied dans la crétinerie ambiante. Rien n’est mis sous le tapis, aucun mot n’est tabou, mais l’esprit (critique) est partout (dialogues impeccables). On rit aux larmes, comme on est parfois gêné de rire, sentiment qui fait partie de l’expérience globale. Troublante aussi la résonance du film avec l’actualité et la manière dont certains mots enflamment la toile, comme communautarisme et militantisme. Avec justesse et beaucoup d’efficacité, à l’opposé de Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? et ses suites boursoufflées qui au lieu de défaire les préjugés les alimentent sans gêne, Tout simplement noir fait du rire un allié, un facteur d’intégration à tous les niveaux, le moteur d’une société rassemblée.
Réalisé par Jean-Pascal Zadi. Avec Jean-Pascal Zadi, Fary, Caroline Anglade, Claudia Tagbo… Durée : 1H30. En salles le 8 juillet 2020. FRANCE.