Attrape-moi si tu peux
Tout commence dans un appartement parisien visité par un jeune voleur maladroit et malchanceux, pris la main dans le sac par le commissaire de police qui y habite. Au lieu de passer les menottes au voyou, Beffrois (Charles Berling) lui fait vider ses poches et lui propose de papoter atour d’un jus de pamplemousse. Le ton est posé dès la séquence d’ouverture, assurément ubuesque. Sur le point de partir en retraite, Beffrois, chemise à la Magnum et jean Levis coupe nineties, n’a plus de temps à perdre avec des petits délinquants sans brillant. Ce qu’il aurait voulu attraper durant sa carrière, c’est un beau voyou. Lucas Bernard, réalisateur et scénariste, comble son personnage de manière astucieuse, convoquant la figure romantique et romanesque du voleur telle que de Broca, Wilder ou Hitchcock l’ont illustrée. C’est Swann Arlaud (charmeur et enchanteur), César du meilleur acteur pour Petit Paysan, qui enfile le costume de ce voleur à la touche originale, spécialisé dans le vol de tableaux côtés et intraçables. Autre marque distinctive de son personnage : il passe par les toits de Paris, aussi agile qu’un chat sur les tôles, ou que Grant dans La Main au collet. Il n’est pas né celui qui saura l’attraper – même sa maîtresse, jouée par la pétillante Jennifer Decker, le sait insaisissable. “Je préfère les secrets aux mensonges ” lui dit-elle sans détour. Élégante comédie, graphique et maîtrisée, Un Beau voyou de Lucas Bernard s’amuse avec la réversibilité des clichés, avec les apparences, toujours trompeuses, s’inscrivant dans la grande tradition de la comédie policière française, avec romance, action et séduction. Le plaisir de jouer est communicatif, le duo Berling-Arlaud, inédit, fait des étincelles, le tempo est enlevé – on ne s’ennuie pas une minute -, et le ton est toujours juste, délicieusement décalé (dialogues ciselés). Un joli pas de côté. AC
Un Beau voyou, réalisé par Lucas Bernard. Avec : Charles Berling, Swann Arlaud, Jennifer Decker. Durée : 1H44 – En salles le 21 janvier 2019. FRANCE.
4 questions à Lucas Bernard, réalisateur de Un beau voyou.
Quel a été le point de départ de cette histoire de flic et voyou ?
Lucas Bernard : Le point de départ, c’était le voleur. J’avais une envie de voleur. Une envie qui ne date pas d’hier. Et j’avais l’image de ce voleur qui se promenait masqué sur les toits, sur Paris. Je trouvais ça chouette, beau aussi. Quand on s’est mis au travail avec Florian Mole (producteur, NDLR), on a commencé à dérouler un fil. La figure du voleur a amené celle du flic, on réfléchissait alors à l’intrigue qui pourrait les réunir, mais aussi aux particularités que chacun de ces deux personnages pouvaient avoir. Petit à petit, à force d’écriture, c’est Beffrois, le commissaire, qui est devenu le personnage principal, avec sa problématique de goût – il a du mal à trancher, à dire s’il aime tel tableau ou tel autre, et, à sa façon, admire ceux qui sont sûrs de leurs goûts. Le chemin qu’on a pris pour arriver jusqu’à cette histoire précise était amusant, inattendu.
A l’écran, Swann Arlaud et Charles Berling, respectivement voyou et flic, et entre-eux, une femme, Jennifer Decker, restauratrice de toiles et maîtresse du voyou. Comment est né le désir de travailler avec ce trio d’acteurs ?
LB : En plusieurs temps, à plusieurs endroits. On tenait avec Florian à ce qu’il y ait évidemment deux générations d’acteurs pour incarner le flic et le voyou, et on savait qu’il serait plus facile de trouver l’acteur qui jouerait Beffroi que l’acteur qui incarnerait Bertrand. Le spectre du rôle était plus large, et il y a beaucoup de jeunes talents, on est allé à leur rencontre, on a réfléchi, on a fait un tri, et on est ravi que Swann ait accepté le rôle, on savait qu’il se passerait quelque chose avec Charles, quelque chose d’inattendu. Ils aiment tous les deux jouer la comédie. Il y a une dimension de plaisir dans l’interprétation. On a eu le coup de foudre aussi pour Jennifer Decker (de la Comédie française, NDLR). De par son expérience des classiques, elle n’avait aucun problème à manger le texte, parce que tout ceci est quand même très écrit, et leur talent à tous, c’est d’avoir rendu ça vivant, d’avoir fait vivre les mots et les situations. Je tenais aussi à ce que le voyou et sa maîtresse aient le même âge, et Swann et Jennifer sont de la même année. Ça créait une égalité entre eux que je trouve vraiment importante pour le film parce que la figure de la copine du hors-la-loi est bien souvent une pente savonneuse. Je ne voulais surtout pas qu’elle soit une jolie pépette qui tombe amoureuse du voyou parce qu’il est beau et courageux. C’était l’attirance pour le danger qui m’intéressait davantage. Essayer de faire du personnage de Justine un personnage qui ne soit pas anecdotique mais fort, c’était un enjeu réel. Mécaniquement, Justine est un pivot réel puisque c’est elle qui relie Beffrois et Bertrand.
Quand on est en face d’acteurs et actrice de cette trempe, comment les dirige-t-on ?
LB : Le plus simplement du monde. Avec Charles, on a cherché le costume, on a travaillé en amont avec l’habilleuse, ça nous a aidés à trouver le personnage, son allure, sa posture. Il y a eu quelque chose qui s’est fait intuitivement avec Charles. On a fait quelques répétitions, quelques lectures, mais l’idée n’était pas de transformer les acteurs en autre chose que ce qu’ils sont déjà et qui me plaît. Ce sont des acteurs solides. La première scène qu’on a tournée, elle se trouvait vers la page 80 du scénario, c’était le face à face au commissariat de Beffrois et Bertrand, une scène capitale. Swann et Charles étaient directement projetés dans la situation, dans leur personnage. Je n’avais sur le plateau que des acteurs franchement balèzes, donc on pouvait déplacer des petites choses à droite à gauche, mais toutes simples, par exemple en disant à Swann, “là t’as qu’à retenir ta respiration”, des trucs dans le genre. J’avais des Rolls-Royce avec moi, donc rien n’a été compliqué. Le travail de directeur d’acteur n’est pas le même avec des acteurs de ce calibre en effet. Ici, chacun a pris son rôle en charge, faut juste pas le casser !
Le film a l’élégance des comédies policières franco-américaines, il convoque un certain héritage. Quelles sont vos influences ?
LB : Je me sens plus proche des comédies à la Philippe de Broca, à la Rappeneau aussi. J’aime aussi profondément le cinéma de Claude Sautet, c’est une influence avec laquelle je suis suffisamment à l’aise pour l’assumer. Il y a une forme d’humour, de mélange des genres, une façon d’attaquer tous les sujets de société un peu en biais, les opinions politiques affirmées des personnages … Une fois qu’on annonce la couleur politique de Beffrois (flic de droite, NDLR), ça rend le personnage lisible et on sait comment se positionner. En ce qui concerne la dimension comique, c’est quelque chose qui arrive assez tard dans l’écriture, elle est vraiment dans les dialogues. Tout le film pourrait être traité sur un ton plus pathos, ce ne sont pas des enjeux hilarants, mais je me serais ennuyé en écrivant ce film si j’avais pris ce chemin. J’ai une vision cynique du monde, donc c’est compliqué pour moi de revenir au premier degré.
Propos recueillis par Ava Cahen – Photos : Charles Berling et Swann Arlaud dans Un Beau voyou – Lucas Bernard / Crédit : Pyramide Distribution