Les yeux revolver
Le titre, comme le sont souvent les titres des films de George A. Romero, a valeur de pitch à lui seul : Vincent doit mourir. Est-ce une injonction ? Une prophétie ? Une résolution ? Stéphan Castang, le réalisateur, et Mathieu Naert, le scénariste, poussent aux questions plus qu’aux réponses, et nous plongent, sans nous ménager, en plein cauchemar. Les cauchemars les plus terrifiants et mémorables sont souvent les plus réalistes. Vincent doit mourir ne nous embarque pas au-delà du réel, mais plutôt à sa frontière, là où tout semble normal, mais où rien n’est plus vraiment pareil. Les règles du jeu ont bel et bien changé. Sans recourir au motif de la métamorphose ou du zombie, le réalisateur parvient à mettre en scène une contagion : des hommes, des femmes et des enfants, pris d’excès de violence, partout en France. Une violence incontrôlable, totalement déchaînée. Pas de chance pour Vincent (épatant Karim Leklou), il est la cible de ces pulsions féroces. Un échange de regard, et ça vire à la bagarre. La mort est à ses trousses, alors Vincent doit courir. Puisque rien ne justifie la violence, le film ne lui cherche pas franchement de mobile, il lui cherche, en revanche, un antidote. La lueur d’espoir dans ce cauchemar s’appelle Margaux (formidable Vimala Pons), serveuse accro à la nicotine que Vincent va rencontrer sur le parking d’un restaurant de province – comme les citadins durant le Covid, Vincent est allé se réfugier à la campagne. Cette rencontre provoque un tournant dans le récit (qui, déjà, échappait aux rails) et lui permet d’enrichir, encore plus, sa palette. Pas de doute, Vincent doit mourir est un film de genre, mais c’est surtout un film qui les mélange avec un talent fou : comédie noire, road-movie, western, survival, thriller paranoïaque, comédie-dramatique sentimentale… Mélangés, les registres le sont aussi, ce qui fait palpiter plus fort le coeur, mis à rude épreuve par ce film singulier qui s’interroge sur l’avenir de l’humanité, dans une société qui flatte ses faiblesses, ses vanités et son animalité. Violences au travail, violences conjugales, violences faites aux enfants, violences sociales, violences des images, violence des clivages idéologiques, tout exprime ici le débord, comme une fuite dans une fosse septique (séquence inoubliable). Tout remonte à la surface pour qu’on y face face, à travers les yeux de Vincent, puis de Margaux, bousculés par les événements, tenus, pour survire, de changer de lunettes pour voir moins trouble le monde, et de s’attacher quand ça secoue. Réaliste et crasseux, Vincent doit mourir travaille au corps ses sujets et ses métaphores, aidé par tous les comédiens du film (beaucoup viennent du théâtre). Un premier long métrage de troupe, de groupe, qui a une énergie brute, des tripes, du coeur, et un thème musical original bien trouvé (inspiration Carpenter), composé par John Kaced. Ça ébranle et ça déterge, comme l’eau de vie de mirabelle que boit Vincent (cru 98). À la vôtre !
Réalisé par Stéphan Castang. Avec Karim Leklou, Vimala Pons, François Chattot, Michael Perez … Durée : 1H48 . En salles le 15 novembre 2023.