FrenchMania a rencontré Xavier Dolan pour évoquer son huitième long métrage, Matthias et Maxime, un film de bande à la fois drôle et sensible, un film qui semble clore un chapitre sans se départir des motifs du talentueux cinéaste québécois. Nous avons évoqué le plaisir, la liberté, la langue et sa relation avec le milieu du cinéma qui l’a vu débarquer il y a 10 ans déjà !
Quand on voit Matthias et Maxime, on se dit que vous n’avez sans doute jamais pris autant de plaisir à la fois à jouer et à filmer, est-ce qu’on est dans le vrai ?
Xavier Dolan : Je pense que c’est juste. C’est sans doute l’expérience la plus agréable de ma vie. Il y a eu Mommy qui était pas mal quand même, mais là, j’avoue que cela atteint un autre niveau.
Quelque chose de l’ordre d’une liberté acquise pendant toutes ses années ?
Xavier Dolan : Oui, et pourtant c’est un film qui en fait moins que tous les précédents. Sur le plan formel, c’est un film qui est plus réservé, plus neutre, plus simple, plus frontal que tous les autres longs que j’ai fait avant lui. C’est une caméra à l’épaule, qui suit l’action, les personnages; la caméra est solidaire des personnages, de leur énergie mais ce que je veux dire, c’est qu’il n’y a presque pas d’effets de style, si ce n’est très tard dans le film. Avec Matthias et Maxime, on est vraiment dans la simplicité, l’épure, c’était notre idée : faire un film plus discret, plus tendre, plus simple. Et c’est ça je pense la liberté, réaliser ce qu’on peut s’autoriser et aussi ce qu’on peut se refuser, comment on peut se retenir, s’oublier un peu, occulter certains instincts. Je pense que c’est une liberté qui a été acquise au fil du temps, de film en film, à force d’erreurs.
Le travail sur la langue est passionnant, d’où vient cette envie de foisonnement de dialogues dès les premières secondes du film ?
Xavier Dolan : Pour moi, c’est le concept de bande qui est défini par la parole, la blague, le souvenir, la mémoire, le flot continu de mots. J’imagine mal, à mon niveau, qu’un groupe puisse se définir par ses silences, même s’il y a des silences et des regards dans Matthias et Maxime qui sont primordiaux quand le film se calme, à mesure que le conflit grandit et que la tension augmente. Cette loquacité, c’est ce que je remarque dans la vie, dans mon groupe d’amis. Et il n’y pas que les dialogues qui étaient importants à mes yeux, il y a également les niveaux de langage qui sont différents, ceux de trois générations qui s’entrechoquent, issues des milieux sociaux distincts, et quand ces générations entrent en collision, on le remarque surtout à travers le langage, qu’il soit plus oral, plus littéraire, plus sophistiqué ou plus relâché. Ces différents niveaux de langage étaient essentiels pour moi car ils parlent du Québec dans lequel je vis, du Québec actuel.
Avec la question la maîtrise de l’anglais comme marqueur social …
Xavier Dolan : Oui d’ailleurs dans le film, il y a des personnages qui ne parlent pas du tout bien l’anglais. C’est un marqueur social mais aussi générationnel. Ceux qui maîtrisent l’anglais sont les plus jeunes personnages, ceux qui ont 16 ou 17 ans, mais ceux qui ont 30 ans, comme mon personnage, peuvent parler un très mauvais anglais, très pauvre, très élémentaire ou rudimentaire. Les personnages de mère qui sont dans la soixantaine n’ont aucun repère par rapport à la langue de leurs enfants et surtout par rapport à l’anglais. Il y a une mère qui dit à un moment « J’comprends rien, c’est en anglais ». On a un dédain de l’anglais lié à de vieux conflits historiques, c’est un peu atavique, on en hérite forcément à travers nos parents, nos grands-parents. Donc, comme tout ce dont on a peur, on le connait mal, donc on le parle mal mais en même temps, il est omniprésent et menace de détruire le français. Du coup, le français qui essaye de se protéger s’appauvrit aussi, ce sont des phénomènes qui se nourrissent.
Le film semble boucler une boucle avec votre premier film J’ai tué ma mère. Voyez-vous comme un lien de filiation entre les deux films ?
Xavier Dolan : Ah bon ? Vous avez sans doute raison. D’ailleurs, la maison dans laquelle on a tourné les scènes avec mon petit copain, c’est la même maison que celle dans laquelle vit la mère de Matthias dans le film, et je pense que cela n’est pas anodin comme coïncidence. Ce n’est pas forcément un film-anniversaire mais oui, il y a une boucle qui est bouclée. Le film ne dialogue pas seulement avec J’ai tué ma mère mais également avec les autres. C’est l’occasion pour moi de regrouper plusieurs choses. Je parle souvent d’un individu, de deux individus, ou de trois, et ce sont des dynamiques particulières qui souvent ne racontent qu’un milieu social à la fois, qu’une génération à la fois. Là c’était plusieurs générations, plusieurs milieux sociaux et plusieurs individus qui constituent une bande, c’est un film collectif, et cela à plusieurs niveaux.
C’est assez symbolique et signifiant que le déclencheur de l’intrigue soit un baiser de cinéma, cela dit des choses sur votre relation au cinéma ?
Xavier Dolan : Je n’y ai pas vraiment pensé au départ, mais c’est typique de ce que les gens voient et qu’on réalise après. Je n’ai pas réalisé que c’était un baiser de cinéma, il n’y avait pas de rapport mais, évidemment, il y en a un. Mais si ce baiser avait été un pari perdu, ou gagné plutôt, je pense que le même malaise aurait existé, il y aurait eu un film, mais sans film dans le film !
Vous avez écrit un beau texte sur Instagram, pendant le festival de Cannes, pour dire tout le bien que vous pensiez du Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma, c’est important pour vous de déclarer sa flamme aux autres réalisateurs ou réalisatrices ?
Xavier Dolan : Ce n’est pas comme si j’avais été payé pour le faire ! Je l’ai toujours fait. Quand j’aime un film, je le dis, je pense que c’est essentiel de se soutenir dans cette industrie, pas de façon systématique et pas de manière artificielle. Quand on aime un film, quand on aime quelqu’un, il faut le dire, je l’ai toujours fait et je continuerai toujours à le faire. Surtout parce que je me rappelle à quel point, pour moi, ça a été difficile au début de sentir que j’avais ma place, ma légitimité. Et ce sont surtout les réalisateurs qui m’ont fait sentir que je ne l’avais pas cette place, ces dîners passés à être assis à voir des gens qui se parlent en m’ignorant. Ce n’est pas de la persécution, je comprends, j’étais jeune, j’étais irritant avec les cheveux, les lunettes et une espèce d’arrogance, d’inculture et de mauvaise compréhension des codes. Cela a été très long avant que quelqu’un me tende la main et m’accueille ! Le premier a été Pablo Larrain, le premier vrai commentaire fraternel dans ce milieu. Puis Damian Chazelle aussi. J’étais persuadé que les cinéastes me méprisaient. Mais, moi, j’ai décidé que quand j’aimais un film je le disais. C’est important parce ce sont des gens qui nous ressemblent dans leur passion, même si on est très différent les uns des autres. Céline Sciamma et moi, on fait des films très différents, on est sur deux planètes, mais dans le même univers.
Et qu’est-ce qui vous a particulièrement touché dans le film de Céline Sciamma ?
Xavier Dolan : L’interprétation d’Adèle Haenel ! C’est de l’or liquide, c’est bouleversant, c’est tellement vrai, c’est tellement pur, tellement à fleur de peau. Et c’est l’écriture du film aussi qui m’a séduit, cela faisait longtemps que je n’avais pas vu une écriture aussi droite, directe et bouleversante. Je suis hanté par une réplique : « – J’ai parlé à Madame votre mère et elle me dit que serez libre d’aller seule à la plage aujourd’hui – Être libre c’est donc être seule ? ». C’est une réplique qui va influencer et informer mon écriture pour le reste de ma vie, je penserai souvent à cette réplique quand j’essaierai d’écrire quelque chose de fort. Il faut se rappeler à quel point l’écriture c’est quelque chose de simple même quand c’est complexe. Ce sont les écritures les plus pures et les plus blanches, comme le dit Philippe Besson, dont la richesse est mise en exergue. L’écriture dénudée.