Il était le président du jury de cette 7e édition du Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz : Xavier Legrand, réalisateur de Jusqu’à la garde, primé au même festival il y a trois ans, commente le palmarès 2020. Le jury était composé de Marie Gillain, Clémence Poésy, Loup-Denis Elion et Robin Coudert. Dix longs métrages étaient en compétition.
En tant que jeune réalisateur, comment avez-vous abordé votre rôle de président du jury ?
Xavier Legrand : Avec beaucoup d’honneur. J’étais flatté qu’on me confie une responsabilité aussi importante. J’y ai vu un très joli signe car je me suis dit qu’on allait sortir des sentiers battus, je n’ai fait qu’un long métrage pour l’instant, je suis en train de préparer le deuxième, et là, on me demande de voir des premières ou deuxièmes oeuvres. Mon regard est forcément nourri par la capacité des autres à faire du cinéma, par les films que je vois. Donc j’ai vraiment abordé ça comme un échange avec mes contemporains, des cinéastes qui font du cinéma aujourd’hui, comme moi, de la même génération que moi.
Quelle est votre appréciation globale de la programmation de cette édition ?
Xavier Legrand : J’ai été très agréablement surpris par la force de propositions, par la diversité de celles-ci aussi. Il y a des tendances qui se dégagent, comme toujours, des thèmes qui reviennent, et c’est normal parce que nous vivons tous dans le même monde et qu’il y a des sujets dont on a plus envie de parler que d’autres. C’est très difficile de convoquer des émotions fortes au cinéma et en une semaine, on a été servis ! Il y a eu des rires, quelques moments tendres, mais globalement, les sujets abordés par les films de cette sélection étaient sombres, difficiles… C’était une très belle programmation et je le dis sans flagornerie.
Quel président avez-vous été durant cette semaine luzienne ?
Xavier Legrand : Tyrannique évidemment ! Je plaisante bien sûr. Ce qui était super avec ce jury c’est qu’on fait partie de la même génération, on a des visions qui convergent. Donc j’ai essayé de coordonner les choix de chacun mais ça n’a pas été très difficile parce qu’on était relativement d’accord, à une ou deux choses près. Ma mission, c’était de faire en sorte que tout le monde soit entendu. J’ai été, je l’espère, un président à l’écoute des opinions des autres, quand elles avaient envie de s’exprimer. Je n’ai jamais forcé la parole, chacun a trouvé son rythme, si on avait envie de parler des films à la sortie des projections, on le faisait, mais si on en n’avait pas envie, parce qu’il fallait plus de temps ou de recul pour les digérer, ça nous allait aussi. C’est un truc qui se fait d’instinct, je n’ai rien voulu précipiter. On faisait des points d’étape tous les jours, chaque soir avant le diner, avec la liberté de prendre part ou pas à la conversation. Mais ces points étapes étaient importants afin de ne mettre de côté aucun film, de n’en oublier aucun.
Le Grand Prix a été attribué à La Terre des hommes de Naël Marandin. Vous l’avez décidé à l’unanimité ?
Xavier Legrand : Cela a été un emballement général, oui. Ce film est d’une force incroyable, sur le courage d’une jeune femme merveilleusement campée par Diane Rouxel. On voit comment il nait ce courage, la trajectoire de cette héroïne qui va porter plainte contre son agresseur… J’en ai encore des frissons rien que de vous en parler. Naël Marandin est un grand cinéaste, c’est sont deuxième long métrage, et je suis très ému de le voir confirmer son grand talent avec ce film-ci. Le projet, le sujet, comment il l’aborde, la direction d’acteurs tellement puissante, tout est là. Il y a des scènes extrêmement difficiles à faire ou à tenir et on a l’impression d’une fluidité totale, que c’est simple pour Naël… C’est un film dur, mais on ne souffre jamais pour les acteurs, il y a une pudeur folle. Puis la réalisation est implacable… Naël fait des plans qui m’ont fait chavirer, j’en suis presque jaloux ! Je suis flatté et fier d’avoir remis ce prix à ce réalisateur dont j’ai déjà envie de voir le troisième film.
Votre jury est composé de plusieurs acteurs, Marie Gillain, Loup-Denis Elion, Clémence Poésy, vous-même. Comment discute-t-on des prix d’interprétation dans ces cas-là ?
Xavier Legrand : Ça a été plus difficile pour le prix d’interprétation masculine parce qu’il y a eu dans la majorité des films de grands rôles féminins, et on voit là la tendance, on voit que les choses changent. Il y avait très peu de partitions masculines à noter. Il y avait Les Séminaristes, mais c’est l’ensemble du casting qui participe de la force du film, il est choral. On a tous salué aussi la prestation de Vincent Lacoste dans De nos frères blessés, parce que c’est un rôle très fort qu’il incarne avec justesse, puis nous avons reparlé de ce jeune acteur bhoutanais, et nos élans ont convergé vers lui. L’école du bout du monde est un film très tendre que nous voulions tous voir au palmarès. Il nous a donné des émotions très belles. Pour les partitions féminines, on a eu l’embarras du choix si je puis dire, Diane Rouxel est géniale, mais on s’est dit qu’elle était aussi récompensée par ce Grand prix que nous avons attribué à La Terre des hommes, Emmanuelle Béart dans L’étreinte m’a bouleversé, c’est un film hybride dans lequel on redécouvre cette actrice merveilleuse… Mais nous aimions aussi beaucoup ce film croate qu’est Mère et fille et il nous a semblé juste de récompenser Daria Lorenci-Flatz. Elle est formidable, de tous les plans, elle guide la réalisation du film, elle lui donne sa dimension. Ce film m’a retourné.
Le prix de la mise en scène pour Les Séminaristes s’est lui aussi imposé ?
Xavier Legrand : Ivan Ostrochovsky est un grand formaliste, mais au delà de ça, il y a un scénario, une distribution, des corps, un soin, une rugosité, bref, tout ça est au service de la mise en scène… J’ai été bluffé par le sens du rythme, par le montage, la manière dont il coupe ses séquences, en créant chez nous de la tension, de l’émotion, de la frustration, c’est très très fort. C’est une enquête totalement prenante, un film radical. Une claque, à tous les niveaux. Puis on était tous d’accord aussi pour lui décerner le prix de la meilleure musique parce que chaque son est un événement dans le film, chaque son est un acteur, et la musique de film, c’est aussi ça, le bruit d’une mouche qui se transforme en une note tendue, un grincement, une sirène, les silences… Tout devient musique et ce travail est totalement en harmonie avec la réalisation. C’est le seul film où l’emploi de la musique n’était pas illustratif mais organique.