Un premier long métrage – Les Rencontres d’après minuit – sélectionné à La Semaine de la Critique en 2013. Un court métrage – Les Iles – récompensé de la Queer Palm du court métrage en 2017. Rien n’arrête Yann Gonzalez dans son ascension vers les sommets. Son deuxième long, Un couteau dans le cœur, était d’ailleurs présenté en compétition officielle du dernier Festival de Cannes. Le 27 juin, cette romance/slasher/comédie noire qui se déroule dans le milieu du porno gay à Paris fin des années 70 va révéler ses charmes et faire fondre bien des cœurs. Nous avons rencontré le maestro, à quelques minutes de l’avant-première du film à la Cinémathèque française.
Des cinéastes queer et romantiques, le cinéma français en compte peu. Des cinéastes qui savent mettre en scène une romance lesbienne avec finesse, idem. Seriez-vous un extra-terrestre ?
(Rires) Non, je crois que je suis tout à fait humain ! J’aime le monde dans lequel je vis, et je me sens faire partie de lui, même si parfois d’autres mondes s’animent dans ma tête de façon bizarre, un peu transgenre… Mais je pense que plus ça va et plus j’aime le monde dans lequel je vis et les amis dont je suis entouré. C’est une période heureuse en ce moment avec la sortie du film, donc je me sens encore plus vivant.
Dans Un couteau dans le cœur, le monde est réversible. Le queer devient la norme quand il est habituellement hors-norme …
Oui, absolument, c’est ma norme à moi. C’est le monde dans lequel je vis et du coup j’ai envie de parler de ce que je connais. Alors évidemment, je ne peux pas faire qu’avec ce monde là, mais c’est le monde de mes amis, de mes sentiments aussi. C’est tout ce qui impulse mon cinéma. L’impulsion de vie passe par ces zones là. Ce sont pour moi les plus précieuses et les plus émouvantes, les plus libres et les plus transgressives. Ce pouvoir de transgression, on l’a un peu perdu au fil des années.
Comment avez-vous convaincu Vanessa Paradis de jouer une productrice de film X lesbienne et de lui faire porter un marcel blanc ?
Je crois qu’il y avait une envie d’intensité, de romantisme. Il y avait aussi de la part de Vanessa une envie de sortie de ses gonds. Elle avait envie de s’embarquer dans ce voyage qui ressemble à un aller sans retour. Elle avait envie d’être surprise, décontenancée, et en même temps, être en confiance pour pouvoir se livrer totalement et toucher du doigt quelques extrêmes. Je pense que quand Vanessa fait confiance, elle est prête à aller très loin. Sur le tournage, elle s’est lâchée, elle s’est amusée, et elle a ôté le poids lourd et tragique du personnage qu’elle campe.
Nicolas Maury et Kate Moran nous ont confié qu’ils avait avec vous sur le tournage un rapport quasi télépathique. C’est le cas avec les autres acteurs ou c’est propre à ceux avec qui vous avez déjà travaillé ?
Ouais, c’est vrai, c’est un lien magique, presque cosmique entre nous. Mais avec Vanessa aussi ça s’est produit. C’est comme une musique qu’on entend dans sa tête et que mes acteurs reproduisent à la perfection, tout en arrivant à me surprendre. C’est la musique idéale, rêvée, parfois lointaine, qu’on a du mal à décrypter, un chuchotement dans l’oreille… Et tout d’un coup, elle est de pleine voix, grâce aux acteurs. Plus on travaille ensemble, plus on est libéré et cette magie peut advenir.
Tout le casting est incroyable, très signifiant aussi, jusqu’aux rôles clin d’œil, comme celui de Jacques Nolot ou Romane Bohringer …
Oui, il y a des acteurs et actrices comme ça qui hantent mon film, certains auxquels j’ai pensé dès l’écriture, d’autres plus tard. C’est des amours d’adolescence aussi. Les amours des films de Téchiné pour Jacques Nolot, les amours des Nuits Fauves pour Romane Bohringer… Puis Jacques Nolot, c’est aussi ma passion pour le cinéaste qu’il est qui m’a décidé à l’inviter. Et inviter des cinéastes amis- même si avec Jacques on n’est pas vraiment ami mais on se suit, on suit nos parcours respectifs -, c’est important pour moi. J’ai tellement d’admiration pour le cinéma de Nolot que ça m’a paru en effet signifiant de l’inviter dans ce film. Idem pour Bertrand Mandico. Bertrand, c’est comme un frère, on est de la même génération, on a un imaginaire et une culture de cinéma très proche. Il est important pour moi de tisser cette fraternité jusqu’au tournage d’un film. J’ai adoré voir Bertrand sur le plateau en dandy un peu hirsute. C’était un plaisir. Et en plus, je me sentais protégé car j’avais entour de moi mes amis. Mes amis de cinéma, des compagnons d’imaginaire qui sont là et vous aident à affronter un plateau.
Je pense que quand Vanessa fait confiance, elle est prête à aller très loin. Sur le tournage, elle s’est lâchée, elle s’est amusée, et elle a ôté le poids lourd et tragique du personnage qu’elle campe.
Pendant le tournage, vous continuiez d’écrire certaines scènes ? Elles naissaient de l’instant ?
Forcément, parce que quand on manque de budget, il y a des scènes sur lesquelles il faut travailler plus vite, il y a moins de plans que prévu alors on réécrit un peu, on condense des choses, on crée des ellipses aussi. Mais c’est souvent dans ces improvisations, quand on joue avec le feu, qu’on trouve de bonnes idées. Mon cinéma, c’est du cinéma un peu bricoleur, architecte du rien, et c’est à partir de rien qu’on arrive à inventer des choses. On arrive avec des cadres et des idées formelles qui se transforment au fil de la journée parce que ça passe par le corps et le visage des acteurs. Ça mute, et c’est ça qui est passionnant. Sinon on ferait du cinéma avec des poupées. Mais pour ma part j’ai besoin que ça soit vivant, vibrant.
Est-ce que vous avez l’impression qu’avec ce deuxième long métrage vos méthodes de travail ont changé ?
Oui et non. J’ai l’impression de m’octroyer davantage d’espace et de liberté, de me faire un peu plus confiance, de faire absolument confiance à mes acteurs et mes techniciens. Je suis traversé en permanence par le doute. Mais je suis porté par une énergie… Et je pense que je choisis de mieux en mieux les gens avec lesquels je travaille. S’entourer de bonnes énergies, c’est important pour se sentir plus confiant.
C’est aussi parce que vous percevez le cinéma comme une affaire collective…
Oui, le collectif, l’esprit d’émulation. Se nourrir de la créativité des autres même si on définit un cadre bien précis au départ. Mais il faut savoir, au sein de ce cadre là, laisser des libertés. Que chacun ait sa chose à créer chaque jour. Qu’il y ait un petit pari personnel à se faire sur un personnage, une couleur, un décor, mais un pari qui fasse partie de mon univers, de mon cadre. Laisser une liberté aux autres en soit. Je crois que c’est particulier, mais ça marche.
Parlez-nous du titre du film. On peut lui prêter bien des sens, comme par exemple, l’empreinte que laisse le cinéma chez un cinéphile…
Ouais, tout à fait. Le premier titre était très alambiqué. C’était le titre de travail : “L’amour dévore l’amour”. Très fassbinderien ! “Un couteau dans le cœur”, c’était plus imagé, moins tautologique. Et il accompagne bien la férocité du personnage joué par Vanessa, cette rage d’amour qui est la sienne. Ça aurait pu s’appeler Zone rouge si le titre n’avait pas déjà été pris par Robert Enrico (Rires) !
C’est M83 – votre frère – qui compose la musique originale du film. Comment procédez-vous ? Quels sont vos méthodes de travail ?
Je travaille beaucoup en écoutant de la musique. Je travaille mon découpage en écoutant de la musique. Je travaille mon écriture en écoutant de la musique. Elle innerve la plupart de mes images. J’aime mettre de la musique sur mon plateau aussi. Ce fut le cas notamment pour les scènes de club qui sont des scènes muettes mais pas silencieuses ! On a mis de la musique a fond sur le plateau et tout de suite ça a pris une autre dimension. C’est de la direction d’acteur aussi, avec l’économie de la parole. Ça passe juste par des émotions et des ressentis. Je crée une humeur, un univers dans lesquels les personnages circulent. Les journées où on peut s’autoriser sur un plateau à mettre de la musique, c’est très précieux pour moi. J’ai l’impression que les émotions passent sans filtre. Parfois les mots peuvent emprisonner les émotions alors que là tout d’un coup, c’est libérateur.
Propos recueillis par Ava Cahen et Franck Finance-Madureira.