Trois petits coups et puis s’en vont
Après la classe (ou)verte de la Tabac Force (Fumer fait tousser), retour en ville et aux tenues de soirée. C’est dans la salle d’un théâtre de boulevard parisien que Quentin Dupieux nous installe plus ou moins confortablement. Malgré le velours qui les habille, les fauteuils grincent; et ils grincent de plus belle lorsqu’un spectateur prénommé Yannick se lève pour interrompre la pièce qui ne vaut pas un clou (“Y a un pépin dans votre histoire“) et le déprime au lieu de le divertir. Si le film semble démarrer comme une farce sur le quart d’heure de célébrité warholien, Quentin Dupieux va beaucoup plus loin (grâce au personnage de Yannick) et pirate les conventions classiques, pas seulement par goût de la provoc’, mais pour raconter un choc des classes et des cultures. Veilleur de nuit venu à Paris depuis Melun en transports en commun, Yannick et ses opinions sont d’office mouchés par les acteurs et les spectateurs qui rabrouent et sermonnent le jeune homme depuis la salle et la scène, avant de rire à gorge déployée de son maniement approximatif de la langue de Molière, alors qu’on joue en sa demeure. Attention, danger, la mèche est allumée, et Raphaël Quenard, qui interprète Yannick, brûle les planches, flingue à la main. Il a tantôt la mesure déglingo-comique d’un Jim Carrey, tantôt la gravité perturbante d’un Patrick Dewaere. Il est de la trempe des grands, terrien et lunaire, flegmatique et exalté, clown, punk et poète à la fois. Avec Yannick, Quentin Dupieux revient à l’essentiel : un décor unique, une situation critique (un conflit) et des personnages sous pression, à deux doigts d’exploser et de salir les murs. Il n’en faut pas plus pour que le malaise gonfle, comme les veines du cou de Paul Larivière (excellent Pio Marmaï), acteur péteux que Yannick rend chèvre. La comédie tombe le masque et Yannick se transforme progressivement en une tragédie contemporaine au dernier acte bouleversant. Plus réaliste qu’à l’accoutumé, la fiction déploie ici une cohérence et une logique interne sans faille : pas de tours de passe-passe élaborés au montage (Incroyable, mais vrai), pas de métaphores poétiques ou de correspondances psychanalytiques (Réalité, Au poste). L’unité de lieu et l’unité de temps canalisent Quentin Dupieux qui signe un huis clos glaçant, remarquablement écrit et dialogué, où la question du loisir et du divertissement est corrélée à celle des privilèges et des inégalités sociales. Entre le jeu et le sérieux. Épatant.
Réalisé par Quentin Dupieux. Avec Raphaël Quenard, Blanche Gardin, Pio Marmaï, Sébastien Chassagne … Durée : 1H07. En salles le 2 août 2023.