Son premier long métrage – Le Paradis – est actuellement en salles. Entretien avec le jeune réalisateur Zeno Graton, nouvel espoir du cinéma belge francophone.
L’influence de Jean Genet innerve votre premier film…
Zeno Graton : J’ai découvert cet auteur à la fin de l’adolescence. Il m’a permis de me construire en tant que personne désirante. Son regard homo-érotique ne s’excuse jamais malgré le contexte répressif des années 40. Il me parle de désir comme personne auparavant. Puis, j’ai lu ses écrits plus militants, rédigés dans la deuxième partie de sa vie, où il délaisse la fiction et se rapproche de luttes qui me tiennent à cœur. Genet possède un panel total d’artiste et d’homme. La conjonction de ces approches m’a fortement inspiré pour écrire ce film.
C’est aussi un hommage au Chant d’amour, film culte de l’écrivain. Comment l’avez-vous découvert ?
Zeno Graton : J’ai vingt ans. Un ami me parle du film et ça a été un véritable choc cinématographique. J’aime comment à travers le montage Genet filme le désir circulant à travers les murs, les œilletons. Il canalise une pensée militante et sulfureuse. C’est pour cela que j’avais envie que dans Le Paradis, la question de l’homosexualité n’en soit pas une. Je voulais faire un film romanesque avec des conflits liés à une histoire d’amour. C’est-à-dire la trahison, l’abandon, la passion… du coup Joe et William s’embrassent très vite dans le film. Comme une volonté d’évacuer tout de suite cette question-là afin de regarder ce qui se passe après.
Comment avez-vous été amené à vous intéresser à ces centres de redressement ?
Zeno Graton : Mon cousin était régulièrement incarcéré quand il était ado – nous avons le même âge – et cela m’a permis de développer un regard critique sur ces institutions. Des lieux cachés, invisibilisés. J’ai été témoin du cortège d’opinions assez méprisants des gens de ma famille sur la carcéralité de mon cousin et sur sa prise en charge.
Comment avez-vous nourri le scénario ?
Zeno Graton : J’ai été en immersion dans ces centres après avoir reçu une autorisation du ministère de la jeunesse en Belgique. J’ai passé deux fois un mois dans des centres de détention pour mineurs où j’ai pu discuter entre autres avec ces jeunes de la possibilité d’une histoire d’amour entre eux. J’ai compris que cela arrivait et qu’ils n’avaient aucun problème avec cela. Les problèmes dont ils me parlaient étaient en revanche liés à l’incarcération, au fait de ne plus voir leurs proches, d’être stigmatisés. Ils sont d’une génération pour laquelle l’homosexualité n’est plus une question. Du coup, j’ai compris qu’aujourd’hui il fallait raconter les histoires queers autrement. Souvent, les thèmes du dépassement de la honte et de l’inhibition prennent tout le temps du film. J’avais envie que cela n’existe plus afin de calquer à l’élan d’une jeunesse qui est plus fluide.
Raconter autrement passe aussi par la mise en scène qui prend complètement en charge le récit…
Zeno Graton : J’ai une formation de chef opérateur. En tant que metteur en scène, j’ai envie de raconter des histoires par le cadre, les mouvements et la lumière. Et avec Olivier Boonjing, mon chef opérateur, nous avions envie d’une forme lyrique, colorée, pour coder le film de manière romanesque. Que l’on ne soit ni dans le film social sur les centres de détentions, ni dans celui du dépassement de la honte. Les ressorts dramatiques auxquels nous avons eu recours avec Clara Bourreau, ma coscénariste, empruntent beaucoup plus à Shakespeare. Notre réflexion sur l’amour était universelle.
Il y a cette magnifique scène du tatouage qui début de façon très intime avant que la cadre n’accueille les autres détenus. Comme des apôtres témoins de l’amour…
Zeno Graton : J’avais d’abord envie de parler du rayonnement sur le collectif de cette tendresse. Que cet amour resplendisse sur ces personnages secondaires que nous avons voulu écrire pour dire une masculinité alternative. En dehors des codes habituels de la violence, la compétition et la dureté. Je préfère parler de solidarité et de lien. J’évacue l’homophobie pour normaliser la tolérance. C’est un choix politique. La scène du tatouage était d’abord écrite de manière secrète. Comme d’autres scènes. Et le jour du tournage, j’ai senti qu’il était temps de parler de communion, de cette famille qui allait se créer autour de cet amour.
Dans votre film vous privilégiez le factuel et l’organique au dialogue.
Zeno Graton : J’ai eu l’intuition dès le début de l’écriture de raconter cette histoire par des images, des regards, des gestes et des actions. Sans passer nécessairement par les mots. Comme je savais qu’il y en aurait peu, j’avais envie que les rares choses dites soient impactantes et qu’elles aient un vrai enjeu. Les personnages passent par d’autres moyens d’expression. Pour William c’est le dessin, pour Joe c’est la danse ou le rap. Je voulais également montrer du talent dans ce projet d’humanisation de ces jeunes souvent méprisés.
Vous les filmez beaucoup au travail…
Zeno Graton : Je pense que ce centre de détention est comme un grand théâtre fermé sur lui-même. Une grande boîte noire. Une hétérotopie. Avec ces jeunes qui répètent leur entrée en scène qui sera leur entrée dans la société. Les filmer au travail participe de cela puisqu’ils y reproduisent des gestes à l’infini. Une sorte de litanie épuisante qui me permet de questionner la notion de liberté.
Le regard que vous portez sur ces centres de détention est à la fois de l’ordre du documentaire et du politique…
Zeno Graton Une fois que nous avions défini cette ‘arène’ dans laquelle allait se dérouler le film, m’importait de la raconter de la manière la plus authentique possible. Je voulais retranscrire ce dont j’avais été témoin au cours de mes immersions. Raconter les ateliers. Les activités. Le problème avec ces lieux invisibles pour le commun des mortels, c’est qu’ils suscitent des opinions extrêmes. Soit ce sont des clubs de vacances où tout le monde s’amuse et où les ‘criminels‘ ne sont pas assez punis. Soit ce sont des goulags qui achèvent de perdre les gamins. Je souhaitais trouver entre ces deux opinions l’endroit de justesse. De rendre visibles ces éducatrices et éducateurs qui font leur maximum. D’où l’envie de créer avec Sophie (Eye Haïdara, NDLA) un personnage bienveillant et fort pour permette que le problème de ne se situe pas là. Qu’il est structurel. Que l’enferment n’est pas la solution pour ces jeunes. Il y a des pays comme le Québec ou en Hollande où ces structures n’existent plus. Elles ont été remplacées par des lieux dans la cité, en lien avec le tissu social. Sans toxicité. En réflexion sur la manière de les rendre citoyens. Les mettre au ban de la société est un message très violent. Je rejoins la parole d’Angela Davis qui disait que la responsabilité de la criminalité n’est pas individuelle mais collective. Elle démontrait que la création de la délinquance est systémique. Et cette question me semble encore plus d’actualité actuellement avec les mineurs. Et la dernière partie du film raconte l’impuissance de l’institution.
La musique occupe une place prépondérante dans le récit.
Zeno Graton : Je voulais travailler avec Bachar Mar-Khalifé dont j’aime beaucoup la musique. Il a très bien compris le film que je voulais faire et a manifesté une vraie envie de nous accompagner. Le projet musical célèbre les origines culturelles de Joe. Elle me permet de parler de fierté. Une envie forte, mais que je ne voulais déployer à travers le texte. C’est un endroit émotionnel fort et cela passe ici par la partition. Je veux raconter un personnage sujet, queer et maghrébin, qui ne soit pas pour autant un objet d’exotisation ou de victimisation. Le fait qu’il soit maghrébin n’est pas du tout une entrave à l’idée qu’il se fait de sa sexualité. Et la musique a été un vecteur déterminant dans ce projet.
Comment avez-vous collaboré avec vous comédiens ?
Zeno Graton : Ils ont très bien compris que la tendresse était l’enjeu politique du film. Voilà pour le côté théorique. En pratique, j’ai beaucoup insisté auprès de mes chères productrices (rires) pour faire des répétitions. Ce qui est un coût mais c’était essentiel à mes yeux. Ces répétitions ont permis qu’ils se connaissent, se découvrent et s’apprivoisent. Nous avons tourné à 95 % dans cette prison. S’est donc récréée naturellement cette notion de famille et de confiance qui en découle. Mon directeur de production était très regardant sur la notion de parité. Cela peut sembler anecdotique mais le fait qu’il y ait sur le plateau plein de filles a permis de créer une ambiance détendue, pas du tout dans le jugement, qui a permis aux acteurs d’oser et de se lâcher pour être plus fragiles.