Du 30 octobre au 9 novembre s’est tenue la 66ème édition du Festival de Thessalonique, avec Isabelle Huppert comme invitée d’honneur. Depuis sa conception, la manifestation grecque a toujours eu un goût prononcé pour le cinéma français. Debrief après six jours passés sur place.
Elle est connue entre autres pour son front de mer, sa Tour blanche datant du XVème siècle et son ambiance vibrante et étudiante : Thessalonique, deuxième ville de Grèce située dans le Nord du pays, entretient aussi une longue histoire avec la francophonie – notamment via son école française, et son institut français. Un lieu que l’écrivain et critique de cinéma Pavlos Zannas, francophile et traducteur de Proust, connaissait bien. En 1960, ce dernier organise la première « Semaine du cinéma grec ». Au fil des années, l’événement se dotera d’une compétition internationale et de nombreuses autres sections, pour devenir le Festival du Film de Thessalonique tel qu’on le connait aujourd’hui. De 1991 à 2005, le festival fut dirigé par le critique et programmateur franco-grec Michel Demopoulos. Avec le temps, le festival a grandi, s’est développé de façon ambitieuse, avec plusieurs sections parallèles et des événements dédiés aux professionnels comme l’Agora. Depuis 1999, le festival comporte également volet dédié au documentaire, qui se déroule en mars. Cette année, on y trouvait plus de 200 films au programme, une multitude de sections, et de nombreux invités venus du monde entier. L’occasion d’un tour d’horizon de la présence française et francophone de cette édition.

1 – des Français en tête
Après Pavlos Zannas et Michel Demopoulos, depuis 2016 le festival est dirigé par la Française Elise Jalladeau. Née à Nantes, cette dernière a développé très tôt un goût pour le cinéma, via son père Philippe Jalladeau, co-fondateur du Festival des Trois Continents. Après un stage au CNC et un passage à Unifrance, elle entame une carrière de productrice dans les années 90 et 2000, avant d’arriver en Grèce comme attachée audiovisuelle à l’Ambassade de France. Durant ces années, elle est notamment impliquée dans l’organisation du Festival du Film Francophone de Grèce. « Le cinéma d’auteur français et la nouvelle vague ont influencé la façon de faire du cinéma dans le monde entier, et le cinéma grec évidemment, d’autant plus que de nombreux réalisateurs étaient réfugiés en France pendant la junte des colonels. Aujourd’hui cette influence est sans doute plus diffuse, moins évidente. (…) Et c’est tant mieux car c’est le signe ultime de son universalisme. » confiait-t-elle en 2024 dans une interview à Grèce Hebdo. Entourée d’une équipe dynamique et dévouée, Jalladeau a remanié l’image du festival ces dernières années. Elle a notamment initié le Evia film project, un événement centré sur le cinéma vert et durable.
2 – Isabelle Huppert invitée d’honneur
« Kalispera ! (Bonsoir, Ndlr). C’est le seul mot que je connais en grec » a plaisanté l’actrice actrice française légendaire sur la scène du cinéma Olympion, avant la projection du film Elle. Actuellement en salles avec La Femme la plus riche du monde, Isabelle Huppert était l’invitée d’honneur du 66ème Festival, qui l’avait déjà accueillie une première fois en 2004. Pour l’occasion une mini-rétrospective lui était dédiée, composée de films choisis par Huppert elle-même, parmi lesquels Elle de Paul Verhoeven, 8 Femmes de François Ozon, La Cérémonie de Claude Chabrol, ou encore White Material de Claire Denis. Elle a par ailleurs donné une conférence de presse, ainsi qu’une master class, dans une salle pleine à craquer. La ville a honoré sa présence en lui remettant un prix, remis par le maire Stelios Angeloudis, qui a rappelé qu’en 1998, en tant que maitresse de cérémonie du Festival de Cannes, elle a remis la Palme d’or au grec Theo Angelopoulos pour L’Eternité et un jour.

HONORARY PRESENTATION OF ISABELLE HUPPERT
3 – Demandez le programme !
Dans le programme très éclectique de cette édition, quelques films français mais aussi et surtout, un grand nombre de coproductions. Parmi les avant-premières se glissent quelques films passés par d’autres festivals. L’occasion de (re)découvrir par exemple Kika d’Alexe Poukine ou Vie Privée de Rebecca Zlotowski – qui ont fait leurs débuts à Cannes.
En compétition officielle, Gorgonà d’Evi Kalogiropoulou, dystopie féministe ambitieuse passée par Venise, est coproduite par les Français de Kidam et Blue Monday. On y trouve au casting la Belgo-Greco-Rwandaise Aurora Marion, vue dans La Folie Almayer de Chantal Akerman. Gorgonà marque le passage au long de la réalisatrice grecque, remarquée avec son court métrage Sur le trône de Xerxès à la Semaine de la Critique. La sortie du film en France est prévue pour mars 2026.

Dans la compétition Meet the Neighbors +, dédiée aux films issus de pays voisins de la Grèce, on a repéré Le Pays d’Arto, un film franco-arménien porté par Camille Cottin et Zar Amir Ebrahimi (Holy Spider). Mais aussi Roqia de Yanis Koussim, une coproduction entre la France et l’Algérie.
A noter également, Before/After du Belge Manoël Dupont, un récit de solitude et d’implants capillaires entre Bruxelles et Istanbul. Situé aussi à Bruxelles, Real Faces est un premier long-métrage belge signé par Leni Huyghe. Et tant qu’on parle de la Belgique, signalons la présence d’On vous croit d’Arnaud Dufeys et Charlotte Devillers, présenté à Berlin et grand gagnant du Festival du Film Francophone de Namur, qui débarque ce 12 novembre sur les écrans français. Enfin, dans la section Immersive, on a repéré The Exploding Girl, un court-métrage en réalité virtuelle signé Caroline Poggi et Jonathan Vinel.
Et pour les nostalgiques du cinéma français d’antan, ils ont pu trouver leur bonheur lors de la rétrospective Marcel Pagnol, avec Topaze, La Femme du boulanger mais aussi Marcel et Monsieur Pagnol, le nouveau film d’animation de Sylvain Chomet.
4 – Focus sur le duo Cattet-Forzani
Laissez bronzer les cadavres, L’étrange couleur des larmes de ton corps… Hélène Cattet et Bruno Forzani, nés respectivement à Paris et Menton, se sont connus à Bruxelles dans les années 90, où ils vivent toujours. Depuis 2001, passant du court au long, ils ont développé un cinéma atypique et référencé, ultra-esthétique et lorgnant vers l’expérimental (avec des titres souvent aussi longs qu’énigmatiques). Une œuvre « quelque part entre Tarantino et Lynch » selon le festival, qui a souhaité leur rendre hommage cette année, en projetant l’intégralité de leurs films. De Catharsis, un court-métrage de 3 minutes datant de 2000, jusqu’à leur dernier opus, Reflet dans un diamant mort, qui a fait sa première à la Berlinale en février.

5 – Les invités
Difficile de faire mieux qu’Isabelle Huppert en termes de présence française forte cette année… L’actrice est venue accompagné de sa fille, la comédienne Lolita Chammah : l’occasion parfaite pour projeter Copacabana de Marc Fitoussi, présenté dans la rétrospective, et où elles jouaient un duo mère-fille. Citons tout de même Manon Clavel, actrice franco-américaine (La Vérité de Kore-Eda), venue présenter Kika d’Alexe Poukine, dans lequel elle tient le rôle principal : celui d’une assistante sociale précaire qui va faire un choix culotté pour joindre les deux bouts. Si ce pitch attise votre curiosité, ça tombe bien : le film sort ce 12 novembre sur les écrans français.

6 – Ça parle français à l’AGORA
Evénement professionnel parallèle du festival, l’Agora réunit chaque année vendeurs, programmateurs, exploitants, producteurs… L’occasion pour l’industrie de se rencontrer autour de différentes conférences, discussions et activités, dans le but, entre autres, d’élargir son réseau, trouver des partenaires professionnels, et dénicher des futurs projets filmiques issus de pays d’Europe du Sud-Est et du bassin méditerranéen. « Les deux pans importants de l’Agora, ce sont les projets en développement, et les ‘Work in Progress’ : les films qui attendent d’être développés, et ceux qui attendent d’être terminés. C’est ma troisième année à l’Agora, et la deuxième en tant que membre du comité de sélection des Work in Progress » explique Zahra Benasri, vendeuse internationale de films pour la compagnie belge Hors du Bocal. « Il y a un réel intérêt de découvrir ce qui se développe et ce qui est produit dans la région. Programmateurs, vendeurs internationaux et distributeurs sont dans un espace propice à découvrir des projets qui vont arriver sur le marché dans les prochains mois ou années. » « Je suis venue à Thessalonique pour prospecter des projets, connaître leur état d’avancement, pour savoir quand ils pourront être envoyés à la Semaine de la Critique » explique Chloé Caye, critique cinéma et programmatrice pour cette sélection cannoise. « Pour les projets de film encore en développement, nous avons un pitch écrit. Pour ceux qui sont en cours (Work in Progress), on a quinze minutes d’extraits. »

7 – L’Institut Français, partenaire du festival
Pavlos Zannas, le fondateur du festival, était un grand ami de Henri Ehret, historien, conseiller culturel et directeur de l’Institut Français de Thessalonique dans les années 50. C’est de là qu’est né le lien fort entre le festival et l’Institut, et qui perdure jusqu’à aujourd’hui. « Concrètement, ce lien s’articule de diverses manières, notamment via une subvention financière annuelle, qui contribue aux coûts de programmation des films francophones (droits de projection, sous-titrage, invitations…) ; mais aussi la remise d’un prix dans la section podcast du festival à un ou une jeune podcaster grec(que) (la lauréate cette année fut Katerina Giannisi). Par ailleurs l’Institut accueille les 2 conférences de presse par an du festival (fiction et documentaire) » nous explique Aimé Besson, attaché audiovisuel à l’Institut Français d’Athènes.
8 – Le palmarès
Le verdict des différents jurys est tombé dimanche 9 novembre, dernier jour du festival. L’Alexandre d’Or a été remis à Cotton Queen, premier long-métrage de la Russo-Soudanaise Suzannah Mirghani. Si aucun film 100% français n’était repris cette année dans la compétition internationale, Cotton Queen est une coproduction entre le Soudan, l’Allemagne, l’Égypte, l’Arabie saoudite, le Qatar et la France, via la compagnie de production Maneki Films (Promis le ciel) … donc c’est un petit Cocorico, mais un Cocorico quand même.
Dans leurs compétitions respectives, Roqia a remporté le prix du scénario, et Manoël Dupont celui de la mise en scène pour Before/After, ainsi qu’une mention spéciale pour ses deux acteurs. Dans les prix parallèles, citons le « Location award » du Centre Grec du Cinéma et de l’Audiovisuel qui est allé à Petros Hitiris, location manager pour Gorgonà, situé dans un paysage post-industriel grec fait d’eau de mer, d’immeubles à l’abandon et de raffineries de pétrole.
Rendez-vous en mars 2026 pour la compétition documentaire, et dans un an exactement pour l’édition fiction. Et comme dirait Isabelle Huppert sur la scène du cinéma Olympion : « Vive le cinéma… et vive Thessalonique ».


