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Le Journal de Sébastien Marnier, épisode 3

par | 23 Jan 2021 | CINEMA, z - 2eme carre gauche

Épisode 3 : Alors hier, quand j’ai repris mes crayons, j’avais 6 ans

 

Sébastien Marnier est entré dans la phase de préparation de tournage de son troisième long métrage L’Origine du mal. Chaque jour sur les réseaux sociaux, le réalisateur tient son journal en un post et une image. Retrouvez chaque week-end sur FrenchMania l’intégralité de son journal de bord de la semaine. Au programme de ce troisième épisode : animaux empaillés, découpage et storyboard, inquiétudes et horaires des marées… Troisième annonce casting : c’est au tour de Suzanne Clément de rejoindre Doria Tillier et Laure Calamy.

 

JOUR 11

PRÉPA

Il y a des jours comme ça.

Tous les jours, nous luttons. Tous les jours nous bravons les tempêtes et la peur que tout s’arrête avec la pandémie. Tous les jours, je me réveille en apnée, le ventre en vrac.

Et puis il y a des jours comme ça.

Où la magie opère.

Depuis plusieurs semaines, je demande à Damien mon chef décorateur de nous trouver des animaux naturalisés pour décorer notre maison.

– Damien, mon rêve serait d’avoir des flamants roses dans le jardin d’hiver.

– Seb, on va essayer, mais la location des animaux empaillés, c’est hors d’atteinte pour nous. Il y a quelques maisons spécialisées, Deyrolles, notamment mais c’est tellement cher.

– Je sais… mais ça serait tellement beau, ça raconterait tant de chose sur notre famille dysfonctionnelle…

– Je vais essayer mais c’est pas gagné.

– Tu imagines, si on avait un léopard ou une panthère dans la salle à manger.

– Ça serait génial

– Damien, je pense à un truc, comme tous les musées sont fermés, ça vaudrait peut-être le coup d’appeler les musées d’histoire naturelle, leurs réserves sont souvent pleines de trucs bizarres… ça serait peut-être moins cher…

– Oui, ça se tente. Je vais regarder ça et je te dis.

Photo Sébastien Marnier

Après plusieurs jours d’enquête, un directeur de musée nous a répondu. Il nous propose de venir voir les collections. Visiblement, il a beaucoup de pièces qui pourraient nous intéresser. La réponse nous surprend et nous donne quelques raisons d’y croire.

En ce jour 11 de prépa, Serge, notre ensemblier part donc visiter le musée. Le directeur lui fait arpenter les réserves avec délectation. Il y a des centaines de spécimens, tous plus beaux les uns que les autres. Serge nous envoie des photos. Au bureau, à Paris, on est comme des fous. C’est incroyable. Il y a des léopards, des toucans, des alligators, un tigre, des perroquets et des flamants roses.

A combien la note va-t-elle s’élever ? Lucile, Joy et Anaïs retiennent leur souffle.

Serge nous lâche une bombe.

Le directeur est un fou de cinéma et accepte de nous faire un prêt.

Pour toute la durée du tournage.

– Mais Serge, pour quelles pièces ?

– Pour tout ce qu’on veut.

Joy et Damien ont versé une larme, moi j’étais à deux doigts.

Il suffit d’un jour et d’une nouvelle comme celle-ci pour nous rappeler à tous que nous faisons le plus beau métier du monde.

 

JOUR 12

PRÉPA

Le jour 11 était joyeux et euphorisant. Le jour 12 était plus angoissant. Sûrement le plus stressant depuis le début de la prépa.

Une accumulation d’embûches.

Même si la menace d’un nouveau lockdown est toujours dans un coin de nos têtes, ces menaces sur notre tournage étaient encore assez abstraites. Nous faisons attention, nous gardons nos masques toute la journée, nous nous badigeonnons de gel, ma vraie vie, celle en dehors du film, est réduite à presque rien du tout (enfin pas rien du tout car il y a l’amour de ma vie qui est toujours là et qui me supporte !). Pour autant, les nouvelles annonces gouvernementales (que je ne critique pas) commencent à contrarier nos plans. L’Origine du mal est une coproduction canadienne et une partie de l’équipe se trouve donc à l’étranger. Pour les chefs de postes qui doivent nous rejoindre avant le tournage, la quarantaine d’une semaine est devenue obligatoire. Il y a évidemment des solutions à tout mais pour être concret, il faut donc faire venir nos amis une semaine plus tôt et leur trouver des hébergements. Quand nos délais et notre budget sont si serrés, c’est un surcoût que nous n’avions pas anticipé.

Photo Sébastien Marnier

Des actrices sont en tournage en dehors de France également. Comment nous organiser ? Et moi qui doit partir faire la post-prod à Montréal ?

– Et ça et puis aussi ça. Et puis t’as pensé à ça ? Les répercussions ?

– Seb, des journées comme ça, c’est normal dans une période de prépa.

– Je sais bien. Je crois aussi que je suis crevé aujourd’hui.

– Oui si t’as pas dormi de la nuit, c’est normal.

– C’est sûr… je commence les insomnies. J’ai rêvé du plan de travail. Et puis aussi de ce décor de bureau qu’on ne trouve pas en Pays de la Loire.

– On a quasiment trouvé tout le reste et on va recevoir des nouvelles photos ce soir.

– Ok. Je crois qu’il faut que je commence ma cure de vitamines.

– Demain sera un autre jour.

La situation sanitaire nous obligera sûrement à faire une chose que nous détestons : Être raisonnable.

J’ai quitté le bureau, mon attestation de dérogation de couvre-feu en poche. J’ai enfourché un Velib électrique… qui ne marchait pas. Et puis un autre et puis encore un autre. 5 au total, mon record sur ce trajet. Il faisait froid. Je suis rentré. J’ai découvert que Bacri était mort. Mauvaise journée, définitivement.

Alors je me suis couché tôt.

Et cette nuit j’ai rêvé que c’était moi la mouche qui me faisais bouffer par la plante carnivore. (cf. Épisode 2, Jour 10)

C’était bizarrement érotique. Je me suis dit qu’il fallait absolument que j’en parle à ma psy.

 

JOUR 13

PRÉPA

S’il y a une chose que j’aime particulièrement durant la prépa, c’est faire mon découpage. Me plonger dans chaque scène du scénario, fermer les yeux et imaginer la mise en scène, élaborer les plans, les cadres. Les décrire mais surtout les dessiner : faire des croquis de déplacements, prendre du temps pour trouver les chorégraphies de chaque personnage avec des mini-gribouillis.

Délaisser les mots et revenir au trait.

Et puis me perdre dans mes pensées quelques minutes, essayer de dessiner le visage de mes acteurs ; ça ne sert à rien – au contraire, ça me retarde – mais ça me procure un plaisir fou. Ça me permet aussi de débrancher le cerveau et surtout de retrouver des sensations d’enfance.

Photo (et dessin) Sébastien Marnier

Me replonger dans les parfums de ma chambre de gamin où je passais mon temps à griffonner. Mon petit bureau sous le lit mezzanine. La moquette bouclée sous mes pieds nus, mes affiches de film volées au centre culturel, mes 33 tours de Michael Jackson qui tournaient sur ma platine.

Quand je dessinais, je ne pensais à rien.

J’oubliais la vie de la cité.

La violence de l’école.

La violence des autres gamins.

La violence du monde.

Le dessin était mon refuge. Comme une bulle entre le monde et moi. Une échappatoire vitale

Plus tard, j’ai voulu en faire mon métier, j’ai fait de longues études d’art plastique et durant toutes ces années, le dessin m’a sauvé. Comme le cinéma.

Mes illustrations sont devenues plus politiques, plus engagées et plus enragées. Au fil des années, plus érotiques, plus fantasmatiques… elles me permettaient d’accéder à d’autres mondes. A me construire et à devenir un adulte.

Désormais, à part en prépa, je ne dessine plus jamais. J’ai tout perdu.

Depuis que j’ai décidé de faire du cinéma mon métier, je ne plus fait qu’écrire. Des scénarios, des notes d’intention, des synopsis, des pitch, des séquenciers, des traitements, des dialogués…

Alors hier, quand j’ai repris mes crayons, j’avais 6 ans.

 

JOUR 14

PRÉPA

Hier, la réécriture du scénario en découpage technique touchait presque à sa fin.

Dès la semaine prochaine je raconterai à Romain, le chef opérateur, tous les plans du film. Pour l’instant, c’est encore un peu littéraire mais bientôt, ça deviendra des numéros énigmatiques, comme des codes d’agents secrets que nous seuls comprendrons.

Photo Sébastien Marnier

Pour ceux qui ne connaissent pas cette étape, voilà, à quoi ça peut ressembler.

SEQ17 / SALLE À MANGER, SALON, JARDIN D’HIVER

PLAN 17/1

PLAN MOYEN FIXE SUR PIED

Le visage de Stéphane apparait dans l’embrasure de la porte. Émerveillement.  Stéphane s’approche de la caméra.

PLAN 17/2

PLAN LARGE FIXE SUR PIED – CONTREPLONGÉE

Stéphane entre dans la salle à manger. Caméra posée au sol. Sensation de grandeur. Déformation de l’espace. Aberrations de l’anamorphique.

Stéphane marche jusqu’à la porte du salon.

PLAN 17/3

PLAN LARGE FIXE SUR PIED

Stéphane ouvre la double porte du salon. Caméra placée derrière Stéphane. Découverte de l’espace dans la profondeur de champ. Stéphane avance dans le salon.

PLAN 17/4

PLAN MOYEN – TRAVELING RONIN

Plan subjectif Stéphane. La caméra s’attarde sur des objets. Sur les animaux. Sur les empilages. Sur le bordel. Pano droite gauche qui vise la porte qui donne sur le hall. On aperçoit Louise passer.

PLAN 17/5

GROS PLAN – TRAVELING RONIN

Gros plan sur le visage de Stéphane qui cherche Louise. Cette dernière ne réapparait pas. Stéphane commence à avoir peur. Stéphane avance dans le jardin d’hiver.

PLAN 17/6

PLAN LARGE – CAMÉRA ÉPAULE TREMBLÉE

Caméra épaule dans le jardin d’hiver. Stéphane dans le décor immense. Louise parle en off. Stéphane se détourne et Louise en Pano contrarié. Effet de vertige.

 

JOUR 15

PRÉPA

🔴 Suzanne Clément rejoint le casting de L’Origine du mal.

Hier nous avons repris le train en direction du Sud pour faire, cette fois-ci, les repérages techniques dans la maison.

Le décor commence à nous être plus familier, nous nous y perdons moins et pour la première fois nous nous y sommes posés. Chaque équipe a choisi une table pour y poser ordinateurs, dossiers, plans au sol… Comme si c’était nos nouveaux bureaux de prépa. Quel luxe ! Jamais je n’ai écrit ou dessiné dans un lieu aussi dingue et aussi beau.

La journée a filé à toute allure : avoir la chance de pouvoir revenir autant de fois dans le décor est un privilège qui va nous faire gagner un temps très précieux sur le tournage.

Pendant que Damien, Joy et Serge sillonnaient chaque pièce pour faire un énième inventaire de toutes les tables, chaises, banquettes, méridiennes, animaux naturalisés et plantes (carnivores) à livrer et à installer ; pendant que Romain, Stéphane et Bertrand, vérifiaient, boussoles et éphémérides à la main, la trajectoire du soleil, son heure de lever et de coucher, choisissaient les rideaux, les voilages et les gélatines à installer pour lutter contre la rotation inéluctable de la Terre (vaste entreprise !) ; pendant que Nathalie et Laurie tentaient de trouver des solutions pour acheminer le matériel technique sur l’île et organiser le déjeuners par temps de Covid ; pendant qu’Anaïs se retournait le cerveau pour savoir comment on pouvait fabriquer le film avec notre budget… moi je prenais enfin du temps pour me familiariser avec cette demeure, qui sera notre arène de jeu pendant 20 jours. Un peu de calme avant la tempête. C’est à ce moment que j’ai vu Lucile, la première assistante faire une drôle de tête.

– Qu’est-ce qui se passe ?

– T’as vu comme la mer est déchainée en bas ?

– Bah oui, c’est trop beau.

– Je savais pas que la Méditerranée pouvait être comme ça.

– Ça serait génial que ça soit comme ça pendant le tournage.

– Ouais mais du coup j’ai regardé les sites des marées… et le 19, ça va être la plus forte.

– On tourne quoi le 19 ?

– Bah la séquence de la crique avec le bateau et le Zodiac.

– Ah génial, ça va être canon, les actrices sur la plage, la mer déchainée, hyper romantique, comme dans un tableau de Friedrich.

– Sauf que le 19, du coup… il n’y aura plus de plage.

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