C’est le couple de cinéma qu’on attendait sans le savoir : dans Des preuves d’amour d’Alice Douard, Monia Chokri et Ella Rumpf se glissent dans la peau de Nadia et Céline, amoureuses de longue date et futures mamans. Entre les aléas de la grossesse et les galères administratives, le film raconte le parcours, à la fois singulier et universel, vers la parentalité. Un parcours qui confronte ce couple lesbien à leur « normalité ». Rencontre avec deux comédiennes à la complicité évidente, au cinéma comme dans la vie.
Que saviez-vous l’une de l’autre avant de travailler ensemble ?
Monia Chokri : Pas grand-chose. Je ne connaissais pas Ella, on s’était juste croisées une fois rapidement au festival de Cabourg, où on s’était saluées. Je savais surtout que c’était une grande actrice. Je l’avais remarquée dans Grave (de Julia Ducournau, 2016, NDLR) à l’époque, et elle m’avait vraiment hypnotisée ! J’étais fascinée. Je disais « Ella Rumpf je l’adore » chaque fois que je la voyais dans des projets ! Donc quand on m’a proposé ce film, et que j’ai su que ce serait face à elle, ça a été un moteur très fort pour accepter. J’avais vraiment envie de la rencontrer dans le jeu. Je savais qu’on allait s’entendre, je ne sais pas pourquoi ! Même les 5 minutes où on s’était croisées au festival, c’était… je ne sais pas, y avait quelque chose.
Ella Rumpf : Ouais, on était tellement contentes de se voir !
MC : J’avais déjà de l’amour pour elle ! Même si je ne savais rien. Après j’ai tout su (rire). On est devenues assez copines, donc on a beaucoup échangé. Mais j’avais l’instinct qu’on allait bien s’entendre.
ER : Quand Alice est venue avec la proposition de Monia (pour le rôle, NDLR), j’ai trouvé ça incroyable. Monia, je l’avais découverte dans Les Amours Imaginaires de Xavier Dolan (2010) quand j’avais 17 ans : c’est un des premiers films qui a vraiment changé ma manière de voir le cinéma, et mon envie de faire du cinéma. Quand j’ai vu qu’elle réalisait des films aussi, je me suis dit, c’est une putain de meuf qui fait les choses comme il faut les faire. J’ai toujours eu un regard très admiratif. Donc j’étais trop contente de la rencontrer, et c’était un très grand honneur qu’elle joue ma femme (sourire).
« Je n’avais pas la pression de me dire que je raconte leur histoire »
L’histoire des Preuves d’amour est inspirée du récit personnel d’Alice Douard. Dans quelle mesure a-t-elle a partagé cela avec vous ?
MC (à Ella) : J’ai l’impression qu’elle a plus partagé avec toi qu’avec moi…
ER : Ouais.
MC : On n’en a pas parlé quand on s’est rencontrées. Alice, c’est quelqu’un d’assez pudique. Je pense qu’elle ne voulait pas se mettre en avant, ce n’est pas une autobiographie. En tout cas moi ça a été long avant que je ne comprenne que c’est ce qu’elle avait vécu avec sa compagne. Je n’ai pas fait le lien. On l’a approché comme une fiction. Je pense que c’était bien aussi, parce que justement, je n’avais pas la pression de me dire que je racontais leur histoire.
Ça aurait été trop de poids ?
MC : Ça aurait été différent. Quand on sait qu’on fait face à un alter ego, le travail d’observation est différent que si le canal commence par nous.
« On est dans une nouvelle ère de représentation des personnes queer »
Dans les questions qu’on pose à Céline et Nadia, ainsi que dans les réponses qu’elles donnent, les dialogues du film apportent ce mélange entre intime et politique. Le film est politique de façon intime, et de façon banale : c’est aussi sa force.
MC : Longtemps au cinéma on a eu des représentations de la marginalité des personnes queer. On en a encore beaucoup – et je comprends qu’on revendique aussi cette marginalité. Mais je pense qu’on est dans une nouvelle ère, où on raconte autre chose. Dans ce film, il y avait une volonté profonde de déconstruire le cliché d’un couple lesbien, de ce qu’étaient les lesbiennes, ce dont elles peuvent avoir l’air… En fait quand on retire les étiquettes, ce sont des gens comme vous et moi, c’est tout. Qui vont au restaurant, qui ont des amis…
… mais qui n’ont pas le même parcours de vie qu’une personne sans ce poids-là…
MC : Par la force des choses, tout devient extraordinaire. Se tenir la main dans la rue, c’est extraordinaire.
Ça devient politique alors que c’est de l’intime. Le film montre bien comment les deux se mêlent.
ER : C’est là où pour moi le film ouvre les portes à un grand public. J’ai l’impression qu’énormément de monde peut s’identifier à ces deux femmes – et sera peut-être surpris par ça.
MC : C’est un film sur le quotidien, en fait. C’est un film sur le banal. Ce sont deux personnages normaux, qui veulent juste être normalisés. Ils se sentent normaux – et ils le sont ! Moi je suis dentiste dans le film, on achète des meubles, on attend un enfant… Tout est normal ! Mais dès qu’on sort de notre bulle, on est face à un monde qui nous dit « Vous n’êtes pas normales, vous devez le prouver ».
« C’était comme si on était un vrai couple »
Le film part d’un cas particulier pour raconter le rapport à la parentalité de façon générale… donc n’importe quelle personne qui se questionne sur le sujet pourra s’identifier. Quel fut pour vous le plus grand défi et le moment le plus agréable sur ce film ?
MC : Le plus facile pour moi, c’était mon rapport avec Ella. C’était juste tellement évident, on n’avait rien à inventer. En plus on n’est pas pudiques, on est très chaleureuses, donc c’était comme si on était un vrai couple (rires). On a beaucoup rigolé.
ER : Ouais. Le midi on se retrouvait pour manger ensemble, on se racontait nos vies… (rire). Pour ma part… Il y a beaucoup de scènes qui sont quotidiennes, pour le coup, et y a beaucoup qui se passe en-dessous, il y a beaucoup de non-dits à remplir disons, où auxquels donner vie. Donc la question c’était comment donner vie, je savais quel était le but de Céline, ce qu’elle voulait, mails il fallait lui rendre chair, lui donner un caractère, et c’était vraiment la question de trouver un juste milieu, sa tonalité en fait. Je me suis rendue compte à un moment donné pendant le tournage qu’Alice cherchait quand même quelque chose de très proche et intérieur, par le regard… En fait j’aime bien dans le jeu pouvoir me cacher derrière quelque chose, et là j’avais l’impression qu’il fallait partager quelque chose d’intérieur, sans que ça devienne personnel non plus. Et en fait, trouver cet équilibre, il fallait vraiment rester dans l’intimité de Céline. Et ce partage que tu fais tout à coup entre l’acteur que tu es et la personne que tu joues s’appuie sur un fil très fin, je pense que c’était vraiment important de trouver la justesse de ça. En tout cas pour moi.
Monia : Et le plus dur pour moi c’était vraiment d’être enceinte, c’est-à-dire de porter toujours une prothèse, un faux ventre… C’était super pour le personnage, pour la posture, mais toute la journée contrainte dans un faux ventre, c’était… pfiou (rire) !
Écrit et réalisé par Alice Douard. Avec Ella Rumpf, Monia Chokri, Noémie Lvovsky… 1h37. Tandem. En salles le 19 novembre 2025.


