French Bilan
Tout au long de l’année 2019, le cinéma français et francophone nous a fait frissonner. Premier coup de poing, L’heure de la sortie de Sébastien Marnier, dystopie qui a donné le ton de la nouvelle année. Synonymes lui a emboité le pas en février, repartant avec l’Ours d’or de la Berlinale. Comme le manteau jaune moutarde de Yoav (Tom Mercier), les costumes futuristes de Jessica Forever nous ont tapé dans l’œil tout comme le regard si neuf qu’ont Poggi et Vinel sur les images et leur époque. La griffe de Vincent Mariette ne nous a pas laissés insensible non plus. Les Fauves, son teen-movie aux accents fantastiques a fait briller le visage lunaire de Lily-Rose Depp. Puis il y a eu Grâce à Dieu, certainement le plus grand film de François Ozon, peintre ici de plusieurs portraits d’hommes victimes d’abus sexuels par un seul et même prêtre. Une fiction qui croisait alors la réalité – celle du procès de Barbarin au moment de la sortie du film. Une autre réalité, dure elle aussi : celle que choisit de montrer Yolande Zuberman dans M, documentaire qui raconte là encore l’histoire vraie d’un jeune homme natif de Bnei Brak abusé par des membres de la communauté juive orthodoxe. On a regardé des hommes tomber et se relever. Des héros ordinaires. Mais il y a eu des héroïnes aussi qui nous ont fait battre le coeur.
Le Festival de Cannes, pour sa 72e édition, a joué à fond la carte de l’hétéroclisme, témoignant ainsi de la fin de cet absurde clivage entre le cinéma d’auteur et le cinéma de genre. Monia Chokri et Justine Triet ont chacune pris le parti de la comédie allenienne pour parler des désirs féminins, de leur accomplissement ou leur insatisfaction. Céline Sciamma, elle, a choisi le film d’époque pour parler d’amour et de condition féminine, racontant dans Portrait de la jeune fille en feu une histoire qui n’avait jamais été racontée encore. “Sororité”. Le mot a désormais trouvé sa place dans notre vocabulaire. La révolution des représentations est actée. Atlantique de Mati Diop y tient aussi, abordant à travers les yeux du personnage d’Ada le drame de la disparition en mer de la jeunesse dakaroise. Un film hanté et réaliste qui flirte avec les codes du cinéma fantastique, comme le fait Zombi Child de Bertrand Bonello, où culture adolescente occidentale et culture vaudoue ancestrale se rencontrent avec grâce. Dans Zombi Child, comme dans Tu mérites un amour, il est question de violentes peines de cœur et des manières de panser les plaies. Hafsia Herzi signe un premier film plein d’oxygène qui fait aussi le portrait d’une jeune fille en feu qui apprend à sécher ses larmes.
On a vu encore des garçons s’embrasser pour de faux et pour de vrai sous la caméra de Xavier Dolan dans Matthias et Maxime, chronique toute en délicatesse sur l’amitié masculine. On en a vu d’autres surjouer leur virilité pour tenter de garder la face face à des mômes qui jouent avec des pistolets à eau. C’était dans Les Misérables de Ladj Ly, thriller brûlant qui s’est partagé le prix de la mise en scène à Cannes avec Bacurau de Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles, autre western moderne. Politique toujours avec Ne Croyez surtout pas que je hurle, journal intime déchirant de Frank Beauvais qui joue si bien avec les images pour raconter la France telle qu’elle est, et avec Sympathie pour le diable, premier film de Guillaume de Fontenay qui remonte le temps jusqu’en 1992, sept mois après le début du siège de Sarajevo. C’est Niels Schneider qui interprète le rôle de Paul Marchand, reporter de guerre qui avait son style et sa manière. Le combat de Charlotte dans Charlotte a 17 ans vise quant à lui le sexisme et les préjugés, tout ça dans un superbe noir et blanc qui donne un autre éclat à cette comédie où les filles jouissent et s’émancipent. Olivier Ducastel et Jacques Martineau nous ont invité, eux, dans un appartement avec vue sur Paris où un drôle de dîner s’est organisé. Une femme, quatre hommes, et l’amant qu’ils ont tous partagé séquestré dans une chambre. Lagarce et Fassbinder, au tableau. Nous avons même visité Paris à hauteur de main avec J’ai perdu mon corps, film d’animation bluffant, en route pour les Oscars 2020. Enfin, nous avons retenu deux portraits de famille, celui que croque sévèrement Robert Guédiguian dans Gloria Mundi, et celui qu’offre Laurent Micheli, réalisateur belge, dans Lola vers la mer, montrant sans fard, mais dans un road movie, les rapports conflictuels d’un père et de sa fille trans. Bref, 2019 s’achève mais elle a donné naissance à un nouvel élan. Le cinéma d’auteur français et francophone est bel et bien vivant. Pluriel, ambitieux, engagé, audacieux. La preuve par ce top 20.
1 – Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma
2- Synonymes de Nadav Lapid
Lire notre critique, lire notre interview de Nadav Lapid, de Tom Mercier
3 – Ne Croyez surtout pas que je hurle de Frank Beauvais
Lire notre critique, lire notre interview de Frank Beauvais
4- Sibyl de Justine Triet
Lire notre critique, lire notre interview de Justine Triet
5 – Matthias et Maxime de Xavier Dolan
Lire notre critique, lire notre interview de Xavier Dolan
6 – Sympathie pour le diable de Guillaume de Fontenay
Lire notre critique, lire notre interview de Guillaume de Fontenay, de Niels Schneider
7 – J’ai perdu mon corps de Jérémy Clapin
Lire notre critique, lire notre interview de Jérémy Clapin
8 – Les Misérables de Ladj Ly
9 – L’Heure de la sortie de Sébastien Marnier
Lire notre critique, lire notre interview de Sébastien Marnier
10 – La femme de mon frère de Monia Chokri
Lire notre critique, lire notre interview de Monia Chokri
11 – Tu mérites un amour de Hafsia Herzi
Lire notre critique, lire notre interview de Hafsia Herzi, d’Antony Bajon, Jérémie Laheurte et Djanis Bouzyani
12 – M de Yolande Zauberman
13 – Jessica Forever de Caroline Poggi et Jonathan Vinel
Lire notre critique, lire notre interview de Caroline Poggi et Jonathan Vinel
14 – Atlantique de Mati Diop
15 – Grâce à Dieu de François Ozon
Lire notre critique (dans notre journal berlinois)
16 – Haut Perchés d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau
Lire notre critique, lire notre interview d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau
17 – Charlotte a 17 ans de Sophie Lorain
18 – Les Fauves de Vincent Mariette
Lire notre critique, lire notre interview de Vincent Mariette
19 – (ex-aequo) Zombi Child de Bertrand Bonello et Gloria Mundi de Robert Guédiguian
Lire notre critique de Zombi Child
Lire notre critique de Gloria Mundi, lire notre interview de Grégoire Leprince-Ringuet
20 – Lola vers la mer de Laurent Micheli
Lire notre critique, lire notre interview de Laurent Micheli et Mya Bollaers