Comme une archive
Aussi sobre que son titre, le nouveau film de Cédric Kahn se départit des artifices du thriller (ni musique, ni flash-back) sans pour autant en perdre le rythme et la tension. Le Procès Goldman saisit immédiatement par sa rigueur documentaire et son format carré, idéal pour capter les luttes théoriques et rhétoriques. En dehors de la séquence d’ouverture – qui pose les jalons de la relation houleuse entre Pierre Goldman et son avocat Georges Kiejman -, la caméra ne quitte presque plus le tribunal (exception faite des suspensions d’audience). On y est coincé, comme les spectateurs, anonymes ou célèbres (Régis Debray, Simone Signoret), venus assister au procès de ce juif guérillero qui se vit comme un révolutionnaire et comme un bouc-émissaire. Condamné en première instance à la réclusion criminelle à perpétuité pour quatre braquages à main armée, dont un ayant entraîné la mort de deux pharmaciennes, Pierre Goldman clame son innocence : “Je suis innocent parce que je suis innocent“, dit-il, rajoutant d’un coup de menton “c’est ontologique“. Ontologique, comme la dimension juive de son identité, qui joue un rôle important dans ce procès de 1975 (son livre écrit en prison, Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France, a déjà été publié et fait un tabac). Le portrait de l’accusé est complexe; d’autant plus que Goldman joue l’insaisissable et ne cesse de compromettre sa défense (ce qui donne des suées à ses avocats), jetant volontiers de l’huile sur des braises en invectivant le corps policier et en dénonçant son racisme et sa corruption. Le climat, déjà fébrile au départ, va devenir de plus en plus tempétueux; des huées, des hourras, beaucoup de bruit, mais pas pour rien. Kahn prend la température d’une époque bouillante dont Pierre Goldman est devenu l’un des symboles rageurs. Fouiller le passé peu reluisant de Goldman, c’est aussi fouiller le passé rance de la France (la collaboration, la colonisation). La plaidoirie finale de Kiejman est séchante, et Arthur Harari est magistral de bout en bout dans la robe de l’avocat. Quant à Arieh Worthalter, que le grand public a découvert dans Girl de Lukas Dhont, il épate par son interprétation physique et fiévreuse de Goldman, ce personnage charismatique à l’éloquence sèche. Tout est matière inflammable dans ce grand film de procès (qui a fait l’ouverture de la Quinzaine des cinéastes cette année). Sa radicalité formelle est différente de celle de Saint-Omer d’Alice Diop, sa dramaturgie différente aussi de celle d’Anatomie d’une chute de Justine Triet. Des approches multiples qui enrichissent notre imaginaire. Cédric Kahn vient lui aussi combler, à sa façon, les images manquantes avec Le Procès Goldman. Fort.
Réalisé par Cédric Kahn. Avec Arieh Worthalter, Arthur Harari, Stéphan Guérin-Tillié, Nicolas Briançon… Durée : 1H55. En salles le 27 septembre 2023.