Elle est à l’affiche d‘Éléonore en salles le 23 septembre 2020, portrait d’une trentenaire pas sage qui cherche le sens de la vie. Un premier premier rôle pour Nora Hamzawi, humoriste et comédienne qui a fait ses armes chez Assayas et Pariser. Entretien express réalisé au Festival du Film Francophone d’Angoulême 2020 où ce premier long métrage, réalisé par Amro Hamzawi, était présenté en compétition.
Le personnage d’Éléonore, c’est beaucoup d’Amro et un peu de vous ?
Nora Hamzawi : Oui ! Comme elle, je suis pleine de questions sur la manière dont on se positionne dans le monde, surtout face à la pression sociale, la norme, l’importance qu’on accorde au regard des autres, et qui pour certains est une dépendance vraiment toxique. Comme elle, je me demande ce que c’est d’être une femme « bien », une femme accomplie. Ce qui me plait, c’est qu’Amro n’évite pas non plus la question de la pression familiale, qui est un vrai enjeu dans le film. Ce n’est pas toujours un mec ou des histoires d’amour foireuses qui empêchent une fille d’avancer et Amro n’est pas tombé de ce cliché. Parfois, ta propre famille ou ta propre immaturité suffisent à te bloquer dans ta construction. Le personnage d’Éléonore subit beaucoup, elle a encore quelque chose de très adolescent, ce qui me touche, et elle va devoir se secouer si elle ne veut pas que sa vie stagne. Elle regarde les choses avec une certaine distance, toujours. Comme si elle n’était jamais totalement dans l’instant mais plutôt dans l’analyse de chaque situation, et ça crée à la fois des moments de comédie et des moments un peu plus pathétiques, parce qu’elle frôle la paranoïa par endroit quand même… Et puis elle dégage une certaine gaucherie, elle est déprimée quand il ne faut pas, elle est toujours à côté du tempo. Éléonore, c’est moi, c’est vous, c’est nos copines, à différents moments de nos vies. Je ne sais pas si c’est propre à notre génération, mais ce personnage, on a l’impression de l’avoir déjà croisé quelque part dans le réel.
Le contre-point d’Éléonore, c’est en effet sa famille, notamment sa mère et sa sœur. Elles vont ensemble essayer de « reformater » votre personnage.
Nora Hamzawi : Complètement. Ce que je remarque, c’est que ceux qui donnent souvent des leçons sont ceux qui ont le plus peur de perdre l’équilibre en fin de compte, là où Éléonore, même si elle est paumée, n’a pas peur des pas de côté. Là, tout de suite, je pense par exemple à certaines personnes qui veulent devenir coach de vie alors que c’est le bordel dans la leur. C’est souvent comme ça non ? Y a des gens qui te donnent des leçons sur ce que tu devrais faire alors qu’ils sont à côté de leurs pompes. Je trouve que le film met aussi ça en lumière, le fait d’être prisonnier, comme c’est le cas de la mère et de la sœur d’Éléonore, du regard social. L’une et l’autre trouvent qu’Éléonore est embarrassante. Elle déçoit parce qu’elle gène, parce qu’elle n’est pas conforme aux attentes de sa mère, parce qu’elle n’est pas comme elle, ou comme sa sœur qui réussit tout ce qu’elle touche. C’est le fameux « Mais qu’est-ce que je vais dire à mes amis ? » quoi. Alors qu’on s’en fiche totalement …
L’affiche du film laisse présumer une comédie, or le film a plus de graves que d’aigus, justement pour les raisons que vous évoquiez, le point de vue du réalisateur, les thèmes brassés…
Nora Hamzawi : Avec Amro, on ne voulait surtout pas que ce film soit une adaptation de mon spectacle, et on a eu tendance effectivement à en prendre plutôt le contre-pied. Le tempo du film est réglé sur celui du personnage qui lui-même est à contre-courant. Donc, ça donne forcément quelque chose d’un peu plus hybride, de moins codifié. Ce n’est pas une comédie au sens conventionnel du terme, parce que ce que traverse le personnage ne justifie pas non plus qu’on se tape toujours sur les cuisses.
On vous a vue dans Doubles vies d’Olivier Assayas ou encore dans Alice et le maire de Nicolas Pariser. Des seconds rôles remarqués. Là, c’est un premier premier rôle…
Nora Hamzawi : Bon, déjà, j’ai été très gâtée jusqu’ici. Je me dois de dire que j’ai une chance incroyable et qu’avec Olivier, comme avec Nicolas, j’ai appris plein plein de choses, et j’ai certainement gagné en confiance en moi, ce qui n’est pas ma plus grande qualité. Je n’avais pas envie qu’on me dise que mon premier rôle, je l’avais eu seulement parce que mon frère me l’avait confié. D’avoir tourné avant ce film-ci avec des cinéastes comme Olivier et Nicolas, ça m’a forcément un peu décomplexée. Je savais un peu mieux ce qu’était un plateau, mon appréhension des choses était différente. Je le dis vraiment sans coquetterie mais quand j’ai été choisie au casting du film d’Olivier, je n’en revenais pas, surtout parce que je ne comprenais pas ce qui chez moi pouvait lui plaire. Et en discutant avec lui, en le voyant travailler, j’ai mieux compris aussi comment le désir d’un cinéaste pour un acteur se constituait. Chez lui, ce n’est pas douloureux, je ne sais pas comment le dire autrement. Olivier vous choisit pour ce que vous êtes. Je suis un peu étonnée quand on me dit que dans le film d’Amro, je fais du “Nora Hamzawi”, parce que, justement, j’ai l’impression que ce personnage est différent et qu’il m’a amenée à jouer sur d’autres registres…
Ne serait-ce que sur le débit, que vous avez d’ordinaire mitraillette. Dans le film, il est plus freiné.
Nora Hamzawi : Oui, et puis si nous avons des points communs avec Éléonore, nos névroses ne s’expriment pas de la même manière, mais ça, peut-être que ça regarde mon psy seulement…
A quel endroit Amro vous a-t-il le plus surpris, en tant que réalisateur ?
Nora Hamzawi : Sa ténacité. Justement vis-à-vis de la teneur du film et de sa tonalité. Il n’a pas cédé sur son désir, ni moi sur le mien. Donc il m’a emmenée dans ce film de manière extrêmement précise. Il l’était vis-à-vis du texte comme vis-à-vis de la direction des acteurs en général. Il s’amuse à dire à droite à gauche qu’il y a eu de l’impro durant le tournage, mais tout était très écrit, tout était au carré. Je l’ai trouvé plus serein que ce que je pensais, mais parce qu’il savait où il allait tout simplement, et du coup, nous aussi. C’est marrant, mais rétrospectivement, on a été hyper pudique je trouve.
Et la suite alors ?
Nora Hamzawi : Je suis en tournage avec Jacques Doillon, je suis trop contente. Et je ne sais pas ce que j’ai le droit de dire ou pas sur le film parce que rien n’a été pour l’instant dévoilé, donc je ne dis rien parce que je ne veux pas me faire virer (rires) !
Éléonore, réalisé par Amro Hamzawi. Avec Nora Hamzawi, Julia Faure, André Marcon… Durée : 1H25. En salles le 23 septembre 2020. FRANCE